Un avenir prospère pour la pêche est encore à portée de main. C'est sur cet héritage que les décideurs politiques doivent s'engager aujourd'hui, et non demain. Fermer les yeux sur les réalités de notre situation ne mène nulle part, écrivent Pascale Moehrle et Monica Verbeek.
Un nouveau rapport publié par la Commission européenne le 14 janvier, intitulé "Les pêcheurs du futur", décrit quatre scénarios différents pour les pêcheries et les écosystèmes marins d'ici 2050, du meilleur au pire.
Ceux d'entre nous qui connaissent l'état actuel de nos mers reconnaissent que les scénarios les plus pessimistes sont déjà en cours de réalisation, ce qui jette le doute sur les projections les plus optimistes du rapport.
Au lieu de mers prospères, de pratiques durables et de moyens de subsistance équitables, nous avons de vastes étendues de fonds marins marqués et stériles - vestiges d'une exploitation incontrôlée - et des écosystèmes marins en chute libre, aggravés par les effets du changement climatique.
Les scénarios les plus optimistes partent du principe que des ajustements politiques progressifs, des avancées technologiques et des évolutions du marché conduiront à un secteur de la pêche durable.
Toutefois, ces hypothèses reposent sur des bases irréalistes. Des éléments clés de la politique commune de la pêche (PCP) n'ont toujours pas été mis en œuvre et les subventions continuent d'alimenter les pratiques industrielles à l'origine de l'effondrement écologique.
Des expériences vécues à contre-courant
Dans les communautés touchées, comme Thorupstrand au Danemark, la privatisation incontrôlée des quotas (l'attribution ou le transfert de droits de pêche à des particuliers ou à des entreprises, souvent par le biais de mécanismes fondés sur le marché) a poussé les pêcheurs à bout.
Des subventions néfastes (qui rendent la pêche artificiellement rentable malgré son inefficacité et ses coûts environnementaux élevés) et des exonérations de taxes sur les carburants ont perpétué la pêche industrielle destructrice au détriment des opérations à petite échelle.
L'optimisme du rapport va à l'encontre de ces expériences vécues et risque de retarder l'adoption de mesures urgentes.
Le chalutage de fond, méthode de pêche destructrice consistant à traîner de lourds filets sur les fonds marins, continue de dévaster les fonds marins et la biodiversité, même dans les zones marines protégées (ZMP), régions désignées de l'océan où l'activité humaine est gérée ou restreinte afin de préserver les écosystèmes.
Malgré les engagements de l'UE, seuls deux États membres ont pris des mesures pour interdire le chalutage de fond dans les ZMP, laissant la plupart des zones sans protection.
Ces échecs sont aggravés par un manque d'application et une régression de la gouvernance de la pêche, illustrés par les nombreuses affaires portées par des groupes environnementaux devant les tribunaux nationaux l'année dernière en France, en Espagne, en Allemagne, en Suède et aux Pays-Bas.
Cinq millions de moyens de subsistance en jeu
L'absence de gestion adéquate des Aires marines protégées (AMP) coûte cher aux Européens, car des AMP bien protégées, exemptes de pêche destructrice, offrent de vastes avantages économiques en plus de la biodiversité et de la résilience climatique, en stimulant la pêche artisanale, le tourisme et les activités récréatives dans de nombreuses régions côtières de l'Union européenne.
De nombreux exemples en Europe ont eu des effets socio-économiques positifs, comme le parc national marin de Kosterhavet (Suède), la réserve marine d'Os Miñarzos (Espagne) et l'AMP de Torre Guaceto (Italie).
Le secteur de l'économie bleue emploie près de 5 millions de personnes dans l'UE, et la mise en place d'AMP efficaces est essentielle pour soutenir les secteurs importants qui opèrent autour et à proximité des AMP, comme la pêche, la navigation de plaisance, la plongée et la pêche à la ligne.
Le rapport reste vague sur l'exclusion des petits pêcheurs, des communautés côtières et des ONG des processus de prise de décision, ce qui renforce les inégalités dans l'allocation des ressources.
Les flottes industrielles, qui bénéficient souvent de la majeure partie des quotas distribués et des subventions, dominent le secteur, tandis que les pêcheurs traditionnels voient leur accès aux ressources se réduire.
Bien qu'elle mette en évidence les possibilités économiques offertes par les pratiques durables, elle ne s'attaque pas à la précarité économique du secteur actuel.
Le chalutage industriel de fond persiste parce qu'il est artificiellement soutenu par des subventions, notamment des exonérations de taxes sur les carburants, malgré son inefficacité économique et ses effets néfastes sur l'environnement. Il est urgent de procéder à une comparaison détaillée des coûts de la pêche industrielle et des avantages d'une transition vers des méthodes à faible impact.
Nous ne pouvons pas continuer à fermer les yeux sur la situation
La fenêtre du changement se referme. Les cinq prochaines années détermineront si les pêcheries de l'Union européenne pourront survivre à la crise actuelle. Des mesures immédiates doivent être prises, notamment l'application intégrale de la PCP, l'interdiction du chalutage de fond dans toutes les zones marines protégées et la réorientation des subventions vers les pêcheries à faible impact.
Sans ces mesures, les scénarios les plus pessimistes décrits dans le rapport se réaliseront bien avant 2050.
Si elles sont bien gérées, les pêcheries peuvent fournir des aliments sains et soutenir les communautés locales tout en respectant l'environnement marin. L'Europe dispose de tous les outils nécessaires pour y parvenir. En effet, là où les règles de la PCP (Politique commune de la pèche) ont été bien appliquées, nous avons vu les stocks de poissons se reconstituer, avec des retombées positives pour les pêcheurs qui en dépendent.
Un avenir prospère pour la pêche est encore à portée de main - un avenir où la pêche durable prospère, où les communautés côtières sont responsabilisées et où les écosystèmes océaniques sont restaurés.
C'est sur cet héritage que les décideurs politiques doivent s'engager aujourd'hui, et non demain. Fermer les yeux sur les réalités de notre situation ne mène nulle part.
Pascale Moehrle est directrice exécutive et vice-présidente d'Oceana en Europe, et Monica Verbeek est directrice exécutive de Seas At Risk.