Élections tchèques : après le succès des populistes de l'ANO, Andrej Babiš en quête de partenaires
Le parti ANO de l’ancien Premier ministre Andrej Babiš est sorti vainqueur des élections législatives tchèques. Mais la formation d’une majorité s’annonce délicate pour le milliardaire, confronté à une extrême droite divisée et à un président déterminé à défendre la ligne pro-européenne du pays.
Des négociations de coalition difficiles attendent Andrej Babiš après que son parti, l'Action des citoyens mécontents (ANO), a remporté 80 sièges sur 200 à la Chambre basse du parlement tchèque. L’ancien Premier ministre et homme d’affaires, à la tête de ce parti considéré comme oligarchique et populiste, doit désormais trouver des alliés pour gouverner.
Andrej Babiš mise sur le soutien du Parti de la liberté et de la démocratie directe (SPD) et du Parti des automobilistes. Ces deux formations eurosceptiques, populistes et d'extrême droite, qui ont remporté des sièges au parlement, refusent toutefois de se contenter d'apporter un appui extérieur et exigent de participer au gouvernement.
Les lignes défendues par ces partis pourraient toutefois être difficiles à concilier avec les plans d'Andrej Babiš, qui défend notamment un référendum sur l'adhésion à l'UE et à l'OTAN.
Le président de centre-droit et pro-européen Petr Pavel, qui soutient la coalition sortante, a prévenu qu'il ne nommerait pas de ministre opposé à l'adhésion du pays à l'UE et à l'OTAN.
Pourquoi l'ANO a-t-elle gagné ?
Le gouvernement sortant - une coalition formée par deux partis de centre-droit, SPOLU et STAN, après le départ du Parti Pirate - a pris le pouvoir en 2021 pour s'opposer aux politiques populistes d'Andrej Babiš.
Cette coalition avait notamment promis de réduire le déficit budgétaire de 5 % à 1,9 % et d'adopter une réforme des retraites qui porterait progressivement l'âge de la retraite à 67 ans.
Après la pandémie de COVID, la hausse du coût de la vie et des prix de l’énergie a nourri un profond mécontentement populaire.
Andrej Babiš a promis de relever cette situation, à coups de de promesses chiffrées à plusieurs milliards d'euros et financées, selon lui, par une administration plus efficace, l'abandon de la réforme des retraites et la lutte contre la corruption.
De leur coté, les partis de la coalition au pouvoir ont axé leur campagne sur le risque qu’un retour d’Andrej Babiš ferait courir à l’État de droit et à la démocratie, évoquant notamment un renforcement de la corruption et un virage pro-russe en politique étrangère.
Ces arguments, efficaces lors des législatives de 2021 et de la présidentielle de 2023, ont cette fois perdu de leur poids face à un vote de contestation massif du pouvoir.
L'ANO reste traditionnellement forte dans les régions les plus pauvres du pays et dans les petites municipalités, et a le mieux réussi à mobiliser les électeurs de la classe moyenne et les plus pauvres, en particulier dans la périphérie intérieure du pays.
Dans les grandes villes, le parti d'Andrej Babiš est désavantagé parmi les jeunes et les plus éduqués. Or, c'est précisément dans ces régions que la participation a été la plus faible.
En outre, le fait qu'un nombre relativement important de partis populistes se soient présentés aux élections a permis à Andrej Babiš de se positionner comme une force gouvernable et non extrémiste par rapport à eux.
Les schémas de vote montrent que de nombreux électeurs de dernière minute du SPD et du parti d'extrême gauche Stacilo ! (Ensemble !) ont migré vers ANO, qui prone la prospérité, un certain euroscepticisme et un soutien moindre à l'Ukraine, sans pour autant promettre de mettre fin à l'adhésion à l'OTAN ou à l'UE. Ses positions conférent au confèrent au parti une l'image d'un parti solide et modéré au au sein du camp populiste.
Qui sont les partenaires potentiels de la coalition ?
Andrej Babiš avait initialement envisagé un gouvernement à parti unique et un soutien extérieur du Parti de la liberté et de la démocratie directe (SPD) et du Parti des automobilistes.
Dimanche, leurs dirigeants de ses deux formations, Tomio Okamura (SPD) et Filip Turek (Parti des automobilistes), ont annoncé qu'ils ne se contenteraient pas d'un soutien extérieur, mais qu'ils chercheraient à partager le pouvoir et les responsabilités.
Les analystes tchèques considèrent qu'une coalition avec les Automobilistes - moins alarmistes à l'égard de l'OTAN et de l'UE que le SPD - est plausible.
Le leader du SPD a dores et déjà prévenu qu''il lancerait un référendum et ferait campagne pour le retrait des automobilistes en cas de coalition entre le parti et l'ANO.
D'autres points de conflit existent entre le SPD et l'ANO : Tomio Okamura n'a pas soutenu Andrej Babiš au second tour de l'élection présidentielle, et le résultat de l'élection montre également que les bases électorales des deux partis se chevauchent largement, ce qui signifie qu'une coopération étroite soulève le risque que l'ANO, comme tant d'autres partis, cannibalise le SPD.
Dans le même temps, la mentalité d'homme d'affaires d'Tomio Okamura pourrait l'amener à faire une offre à Andrej Babiš qui pourrait encore le convaincre de chercher un soutien extérieur.
Obstacles à la formation d'un gouvernement
Le premier obstacle réside dans les négociations de coalition elles-mêmes, car Andrej Babiš aura besoin du soutien des deux partis populistes pour obtenir une majorité gouvernementale.
La formule est d'autant plus compliquée que le président de centre-droit de la république, l'ancien général de l'OTAN Petr Pavel, a déclaré qu'il ne nommerait pas un ministre qui s'oppose à l'adhésion du pays à l'UE et à l'OTAN.
Un autre obstacle réside dans le fait qu'Andrej Babiš est propriétaire d'Agrofert, l'une des plus grandes entreprises du pays, ce qui est pratiquement incompatible avec le poste de Premier ministre. Lors de son précédent mandat, le dirigeant s'est séparé d'Agrofert sur le papier, mais de nombreux éléments indiquent qu'il aurait conservé le contrôle réel de l'entreprise.
Cette fois, Andrej Babiš devra fournir des garanties qui convaincront le président Petr Pavel. Ce dernier a toutefois déclaré dimanche que le milliardaire lui avait présenté un plan convaincant pour éliminer le conflit d'intérêts.
Le troisième obstacle n'a pas encore été franchi, mais l'affaire dite du "Nid de cigognes" - qui concerne une entreprise que Babis a sortie de son empire commercial sur le papier, qui a reçu d'importantes subventions de l'UE et qui est redevenue la propriété d'Andrej Babiš une fois le projet achevé - est toujours devant les tribunaux.
Promesses de réductions d'impôts et des augmentations de salaires et de pensions
Le chef de l'ANO entend stimuler la croissance économique principalement par des réductions d'impôts, notamment de l'impôt sur les sociétés et de la taxe sur les détaillants.
Il prévoit également d'introduire l'enregistrement électronique des ventes pour lutter contre la corruption et de s'opposer au Green Deal européen.
Andrej Babiš a également promis des prêts hypothécaires subventionnés par l'État pour atténuer la crise du logement.
L'un des projets importants de Andrej Babiš est de faire accéder l'État à la pleine propriété de la société d'énergie ČEZ, actuellement détenue à 70 % par l'État, ce qui ferait baisser les prix de l'énergie pour les ménages et lui permettrait de poursuivre de grands projets énergétiques, tels que des centrales nucléaires, sans propriétaires extérieurs. Le plan du milliaire consiste à faire racheter à l'Etat ses propres actions .
Ces projets sont extrêmement coûteux et pourraient entraîner une nouvelle détérioration du déficit public, ainsi que la perte de certaines recettes de l'État ou de fonds de l'UE.
Un rapprochement plausible avec Viktor Orbán
Au sein de l'UE, l'ANO ne fait plus partie du groupe libéral ADLE, mais des Patriotes, fondés par le Premier ministre hongrois Viktor Orbán. En outre, l'un de ses partenaires de coalition potentiels, le parti des Automobilistes, est également membre du groupe européen d'extrême-droite.
Au cours de sa campagne, Andrej Babiš a clairement exprimé son soutien à l'adhésion de la République tchèque à l'UE et à l'OTAN, ainsi que son opposition à un référendum sur le sujet.
Dans le même temps, le gouvernement tchèque sortant a été l'un des plus fervents défenseurs de l'Ukraine au sein de l'UE.
La République tchèque a été le coordinateur de l'achat de munitions de l'UE à l'Ukraine, un programme dont Andrej Babiš se débarrasserait. Dans l'ensemble, l'ANO apporterait moins de soutien à l'Ukraine, tant sur le plan symbolique que matériel.
Sur la scène européenne, Andrej Babiš suivrait également une ligne populiste classique en s'opposant aux politiques vertes et au pacte de migration.
Un rapprochement de la République Tchèque avec la Hongrie, et une alliance entre les deux pays offrirait au Premier ministre hongrois Viktor Orban une protection contre le retrait des fonds de l'UE à la Hongrie.