"Notre responsabilité est claire : éviter tout affrontement mais nous y préparer, et consolider l’esprit de défense, cette force morale collective sans laquelle aucune nation ne pourrait tenir dans l’épreuve", a déclaré jeudi la ministre des Armées, Catherine Vautrin.
"Accepter de perdre nos enfants" afin de "protéger ce que l'on est" : ces propos du général Fabien Mandon, le chef d'état-major de l'armée française, ont fait couler beaucoup d'encre ces derniers jours.
Mardi, devant le congrès des maires de France, le plus haut gradé français a appelé à un regain de "force d'âme" alors que Moscou se prépare, selon lui, "à une confrontation avec nos pays d'ici 2030".
"Éviter tout affrontement mais nous y préparer"
"Si notre pays flanche parce qu’il n’est pas prêt à accepter de perdre ses enfants, parce qu’il faut dire les choses, de souffrir économiquement parce que les priorités iront à de la production défense, alors on est en risque", a déclaré Fabien Mandon devant les maires.
"On a tout le savoir, toute la force économique et démographique pour dissuader le régime de Moscou d'essayer de tenter sa chance plus loin. Ce qu'il nous manque, [...] c'est la force d'âme pour accepter de nous faire mal pour protéger ce que l'on est".
Cette déclaration s'inscrit dans la lignée de l'avertissement qu'il avait adressé aux députés en octobre, quand il avait déclaré que l'armée française envisageait un "choc dans trois, quatre ans" contre Moscou.
La ministre des Armées, Catherine Vautrin, s'est rangée jeudi derrière Fabien Mandon, estimant que le chef d'état-major (CEMA) "est pleinement légitime à s'exprimer sur les menaces qui continuent de progresser".
"Ses propos, sortis de leur contexte à des fins politiciennes, relèvent du langage militaire d'un chef qui, chaque jour, sait que de jeunes soldats risquent leur vie pour la Nation", a-t-elle affirmé jeudi sur X.
"Notre responsabilité est claire : éviter tout affrontement mais nous y préparer, et consolider l’esprit de défense, cette force morale collective sans laquelle aucune nation ne pourrait tenir dans l’épreuve".
L'opposition vent debout contre les propos du chef d'état-major
Cette déclaration de la ministre des Armées fait suite aux vives réactions de nombreux responsables politiques d'opposition, qui accusent Fabien Mandon de propager un discours belligérant.
Le leader de La France Insoumise (LFI), Jean-Luc Mélenchon, a notamment exprimé son "désaccord total avec le discours du chef d'état-major des armées", estime que ce dernier a outrepassé son rôle.
Il affirme que "ce n'est pas [au général Mandon] d'aller inviter les maires ni qui que ce soit à des préparations guerrières décidées par personne", ni de "prévoir des sacrifices qui seraient la conséquence de nos échecs diplomatiques sur lesquels son avis public n'a pas été demandé !".
Dans la foulée, le groupe parlementaire du parti de gauche radicale a publié un communiqué de presse, dans lequel il affirme que "de telles déclarations publiques, qui engagent le pays dans un imaginaire de guerre, n'ont pas à avoir lieu".
"La France insoumise demande au président de la République, chef des armées, de rappeler publiquement à l'ordre le général Mandon et de réaffirmer que les orientations stratégiques de la France relèvent exclusivement du débat démocratique et des autorités civiles placées sous le contrôle du Parlement", conclut le document.
"Non aux discours va-t-en guerre insupportables", tonne de son côté Fabien Roussel, le secrétaire national du Parti communiste français, qui dénonce une "dangereuse intervention" du chef d'état-major.
"Au budget 2026, 7 milliards en plus pour les Armées, 7 milliards en moins pour les collectivités. Nous sommes face à un choix de société ! Nous choisissons la Paix et refusons les logiques de guerre", ajoute-t-il.
Même son de cloche à l'autre extrémité du spectre politique : Sébastien Chenu, le vice-président du Rassemblement national (RN) a dénoncé sur la chaîne LCI "une faute" de Fabien Mandon, estimant que le chef d'état-major n’avait pas "la légitimité" pour prononcer cette déclaration.
"Ou alors le président de la République lui a demandé de le faire et c’est encore plus énorme", a-t-il ajouté.
Une opinion partagée par Louis Aliot, le maire RN de Perpignan.
"Il faut être prêt à mourir pour son pays [...] en revanche, il faut que la guerre qui soit menée soit juste [...] ou que la nécessité fasse que ce soit carrément la survie de la nation qui soit en jeu. Je ne pense pas qu'il y ait beaucoup de Français qui sont prêts à aller mourir pour l'Ukraine".
"Nous entrons dans une nouvelle ère", estime le gouvernement
Dans le même temps, le gouvernement a publié ce jeudi un guide intitulé "Tous responsables". Ce document, conçu par le secrétariat général de la Défense et de la Sécurité nationale (SGDSN), vise à préparer les Français "à faire face à une crise majeure, quelle qu'en soit l'origine".
Le guide mentionne notamment clairement le risque d'une "menace en lien avec un engagement majeur de nos forces armées en dehors du territoire national".
"La France devra compter sur chaque citoyen, que ce soit par un engagement au sein des Forces Armées, au sein de diverses réserves opérationnelles, ou encore en apportant votre concours volontaire pour continuer à faire fonctionner le pays, partout où vos compétences pourraient être utiles", indique le document.
Par ailleurs, les déclarations du général Fabien Mandon font écho à la dernière revue nationale stratégique (RNS 2025), que le gouvernement français a publiée le 14 juillet dernier, à l'occasion de la Fête nationale.
"La Russie, en particulier, menace le plus directement aujourd’hui et pour les années à venir les intérêts de la France, ceux de ses partenaires et alliés, et la stabilité même du continent européen et de l’espace euro-atlantique", indique l'un des premiers paragraphes du document.
"Il est désormais clair que nous entrons dans une nouvelle ère, celle d’un risque particulièrement élevé d’une guerre majeure de haute intensité en dehors du territoire national en Europe, qui impliquerait la France et ses alliés en particulier européens, à l’horizon 2030, et verrait notre territoire visé en même temps par des actions hybrides massives", poursuit-il.
La revue stratégique indique que "l’Europe est à un tournant majeur de son histoire" et appelle les Européens "à endosser une responsabilité accrue dans la sécurité du continent" et à "mettre en œuvre tous les moyens à leur disposition pour mieux se défendre et dissuader de toute nouvelle agression".
L'OTAN se prépare à une confrontation avec la Russie d'ici la fin de la décennie
Le constat dressé par les autorités françaises est partagé par de nombreux experts en défense et responsables politiques européens, alors que l’OTAN a récemment averti que Moscou pourrait être militairement prêt à lancer une attaque d’envergure d’ici cinq ans.
Affirmant que la Russie dépasse actuellement l’Alliance en matière de production de munitions, le chef de l’OTAN, Mark Rutte, a récemment exhorté les pays membres à renforcer massivement leurs capacités de défense.
"Les illusions ne nous protégeront pas", a-t-il déclaré. "Nous ne pouvons pas rêver le danger. L’espoir n’est pas une stratégie. L’OTAN doit devenir une alliance plus forte, plus équitable et plus létale."
En juin dernier, sous l'impulsion du président américain, Donald Trump, la quasi-totalité des membres de l'OTAN - l'Espagne faisant figure d'exception - se sont engagés à porter leurs dépenses de défense à 5 % de leur PIB, à l'occasion du sommet de La Haye.