La culture pour réinventer l'Europe ?

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Par Thomas Seymat
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En session inaugurale de la quatrième édition du forum European Lab, sous les chandeliers de l’Hôtel de Ville de Lyon, se tenait mardi 27 mai une conférence internationale pour “réinventer les politiques culturelles,” notamment à l‘échelon municipale.

Mais les élections européennes deux jours auparavant, marquées par une forte abstention et une victoire des partis euro-sceptiques dans de nombreux pays de l’Union, sont encore présentes dans les esprits.

Le ton est grave. “Les acteurs culturelles doivent répondre aux chocs politiques en France,” explique Vincent Carry, directeur des Nuits Sonores, pour qui la culture a également un rôle à jouer pour “sortir l’Europe de l’impasse”. La modératrice, Mercedes Giovinazzo, part du même constat. “Les élections européennes sont la toile de fond de la conférence”, explique-t-elle, “et 2014 est une année cruciale pour l’Europe”.

La discussion est lancée autour de trois thèmes, la Ville, l’espace public, et l’Europe. Première à parler, Myriam Picot, maire du 7e arrondissement de Lyon et vice-présidente du Grand Lyon déléguée à la culture, exprime elle aussi son “inquiétude” par rapport aux résultats de dimanche. “La progression des idées populistes et anti-européennes” risque selon elle de faire “entrer l’univers culturel dans une période de turbulences”, notamment en terme de pérennité d’investissements publics dans des projets culturels. Pour cette avocate de profession, et première femme au Barreau de Lyon, c’est d’autant plus dommageable car “l‘éducation et la culture sont nécessaire pour réinventer le projet européen mis à mal”.

Recentrant ensuite son propos sur les thèmes évoqués dans l’introduction de la conférence, elle explique que “[les métropoles] sont le meilleur échelon pour innover, ville et culture s’entretiennent l’un l’autre”. Et de citer les Nuits Sonores pour illustrer son argument, qui depuis 12 ans, re-explorent la ville de Lyon : les choix du festival en terme de lieux (souvent des anciens bâtiments industriels) précèdent, initient presque, des projets de réaménagement de la part des pouvoirs publics. Comme si le succès indéniable du festival de musiques électroniques déteignait sur l’équipe de l’actuel maire de Lyon, en poste depuis 2001.

Quelle culture en ville?

Les autres participants de cette conférence, venant d’Hambourg, Helsinki ou encore Bogota, sont, comme Mme Picot, adjointes à la culture de leur ville, ou bien acteurs de la sphère culturelle, aussi bien du côté artistique que business. Chacun à leur tour, ils expliquent leur vision des politiques culturelles au sein des villes.

La Suédoise Birgitta Persson, secrétaire général de du réseau Trans Europe Halles (TEH), estime que bien souvent les politiques culturelles municipales se limitent d’un côté à l’entretien de bâtiments historiques quand de l’autre les artistes se méfient des institutions locales.
Le réseau TEH, qui rassemble près de 66 centres culturels et associations indépendantes en Europe, agit comme un forum de partages d’idées et d’expériences pour dépasser ces obstacles et permettre des collaborations artistiques à l‘échelle du continent.
“La société civile et la culture sont cruciales pour les développements locaux,” explique Birgitta. Le premier espace d’art contemporain de Slovaquie, aménagé dans l’ancienne synagogue de Žilina, a par exemple été rendu possible par l’aide de TEH, et de la communauté locale, y compris le club de foot de la ville.

Currently listening to Ritva Viljanen, Helsinski vice-mayor #eurolabforumpic.twitter.com/yxr5PW2B5n

— Thomas Seymat (@tseymat) 27 Mai 2014

Angela Spizig, vice-maire de Cologne, considère, elle, la culture comme un droit de l’Homme, qu’elle a dû défendre à la mairie de sa ville contre tous les partis, y compris le sien, les Verts. Parmi les expériences réussies qu’elle a pu accompagnées depuis 14 ans, l’installation d’un théâtre “du mauvais côté de la rivière”, c’est à dire dans les quartiers à forte population immigrée explique-t-elle, ou bien encore la création d’un festival de littérature par seulement trois personnes, devenu en une douzaine d’année le plus grand d’Europe: lit.COLOGNE.

Pour Ritva Viljanen, vice-maire d’Helsinki chargée des affaires culturelles, la culture est essentielle pour la ville, car “dans le futur personne ne se souviendra du taux de croissance ou du PIB, mais les gens se souviendront de la culture” qui elle marque l’Histoire.

D’autres ont une vision plus pragmatique des liens entre culture et ville. Christian Buhl, Danois travaillant pour Factory 92 à Hambourg en Allemagne, détaille les opportunités possibles lorsque le secteur culturel, le secteur privé et la ville travaillent ensemble. Prenant l’exemple du festival Sziget, il postule que “la culture peut être une force motrice pour le développement des villes et leur image en tant que marque”. Pour le Sziget, “un euro dépensé lors du festival rapporte quatre euros à la ville de Budapest.”

Méfiant envers une ingérence trop importante des adjoints à la culture dans l’organisation d‘événements, Christian Buhl appelle de ses voeux plus de partenariats public-privé, ainsi que des dépenses vers la sphère culturelle quantifiables, aussi en terme de revenus.

De Donetsk en passant par Bogota

Autre point de vue, venant des frontières de l’Europe : l’invité spécial de l’European Lab, Mikhailo Glubokyi est originaire de Donetsk, ville ukrainienne actuellement en proie à de violents combats entre séparatistes et l’armée, pour présenter Izolyatsia, une fondation culturelle non-gouvernementale. Chargée de “développer la culture et la conscience de soi”, l’organisation travaille autour de l’aspect industriel de Donetsk, entre réhabilitation d’anciennes usines et décorations par les enfants d’ouvriers des lieux de travail de leurs parents.

Izolyatsia a aussi installé le premier fablab ukrainien, nommé Izolab, un laboratoire numérique non commercial et ouvert à tous. Les habitants se sont aussi saisi du projet ; des artistes sont invités en résidence, et “la sphère culturelle se reverse dans la sphère sociale” explique Mikhailo. En outre, la structure a mis en place un festival d’arts sonores, Pitch Black, et un festival littéraire qui a attiré près de 2 000 visiteurs et 20 écrivains pour sa première édition.

Enfin, c’est de Bogota que vient une perspective radicalement différente au débat. “En Amérique latine, vaste continent, il est difficile de se retrouver” lors de conférences de ce type explique Clarissa Ruiz-Correal, vice-maire de Bogota chargée de la culture, “il faut en profiter”. Le dimanche précédent la conférence, la Colombie aussi a tenu des élections, le 1er tour de la présidentielle. Lors de ce 1er tour, “la discussion était culturelle : comment envisager la paix” avec la guérilla avec laquelle des discussions ont été entamées récemment ?
Pourtant, explique Clarissa Ruiz-Correal, “une bonne partie de la population pense que le dialogue n’est pas la voie. Il y aura donc un 2e tour. Mais la question demeure : comment envisage-t-on l’Autre, le désaccord ?”

Pour la Colombienne, “la culture n’est pas faite que des arts. Les pratiques culturelles vont au-delà de la création.” Dont acte. La ville finance ainsi des programmes culturels, dont 32 communautés créatives, notamment par une taxe sur les billets de concert de plus de 50 dollars. “La culture n’est pas seulement un droit, c’est aussi une liberté”.

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