L'Allemagne fait-elle face à un nouvel antisémitisme ?

L'Allemagne fait-elle face à un nouvel antisémitisme ?
Par Hans von der Brelie
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Dans Insiders, notre reporter Hans von der Brelie s'est rendu en Allemagne où l'on craint une résurgence de l'antisémitisme, certains actes ayant été commis par des migrants qui viennent d'arriver dans le pays. S'agit-il d'une nouvelle forme d'antisémitisme 70 ans après la Shoah ?

En avril dernier, une vidéo d'un homme filmant sa propre agression avait un écho considérable sur les réseaux sociaux, choquant le pays. On y voit un réfugié syrien de 19 ans frapper deux individus à coups de ceinture parce qu'ils portent une kippa, la calotte des juifs pratiquants. De quoi renforcer les inquiétudes au sein de la communauté juive allemande qui regroupe quelque 100.000 personnes. S'agit-il d'une nouvelle vague d'antisémitisme liée au nombre croissant de migrants musulmans qui arrivent dans le pays ?

Notre reporter d'Insiders Hans von der Brelie s'est rendu en Allemagne pour chercher des réponses. Il commence son enquête chez les Michalski. Cette famille d'origine juive vient d'accueillir chez elle, un réfugié syrien pendant un an. Une expérience qui s'est déroulée sans encombres. Le fils des Michalski, âgé de 14 ans, a choisi d'aller dans un lycée où Allemands et migrants se côtoient.

"À la fin de la première semaine," raconte son père Wenzel, "l'enseignante a demandé : "Quels lieux de culte connaissez-vous ?" Et quand ça a été le tour de mon fils, il a dit : "Les synagogues". Alors, l'enseignante lui a demandé : "Hein ? Comment ça se fait que tu connaisses les synagogues ? Tu es juif ?" Et il a répondu : "Oui." Et ça a tout déclenché," poursuit-il avant de préciser : "Aussitôt après, le harcèlement a commencé, il était bousculé, frappé presque tous les jours."

Hans von der Brelie, euronews :

"Il y a eu une escalade de la violence. J'ai entendu dire que votre fils avait été menacé avec un faux pistolet et que ses agresseurs ont fait comme s'ils lui tiraient dans la tête, pour faire comme si c'était une exécution."

Wenzel Michalski :

"D'abord, deux garçons plus âgés d'une autre classe l'ont attrapé et l'un d'eux a placé sa tête sous son bras et il a serré son cou tellement fort qu'il a perdu un peu connaissance pendant un petit moment. Ensuite, un autre garçon a foncé sur lui avec ce genre de faux pistolet et il a fait comme s'il lui tirait dessus."

"C'est exactement la même chose 70 ans plus tard, c'est extrêmement choquant"

La famille Michalski a des origines juives et chrétiennes. À l'époque des Nazis, elle a subi discrimination et persécution, elle a été en partie décimée. Certains de ses membres ont réussi à échapper de justesse à la déportation.

"Mon père a écrit un livre," explique Wenzel Michalski. "Ce qu'il y a de fou, c'est que même après la guerre, quand il avait 14 ans, il a subi de l'antisémitisme : il était dans un lycée géré par les Jésuites, le Collège Canisius de Berlin ; il avait à l'époque le même âge que mon fils aujourd'hui et il a été harcelé à ce moment-là parce qu'il était juif et c'est exactement la même chose que son petit-fils vit 70 ans plus tard : c'est extrêmement choquant," souligne-t-il.

Wenzel Michalski met en cause le directeur et les encadrants du lycée de son fils pour ne pas avoir réussi à arrêter ces actes. Depuis, son fils a changé d'établissement. Il ne s'exprime pas face caméra par sécurité.

"Du fait de ce qu'il a vécu, mon fils s'est mis à apprendre le karaté," fait remarquer le père de l'adolescent. "Il est très fier d'avoir eu sa ceinture rouge, sa première ceinture de karaté et en plus, il fait de la musculation et il commence vraiment à avoir de la force : c'est ce que font un certain nombre d'enfants juifs par ici," affirme-t-il.

La parole antisémite se libère

La plupart des musulmans d'Allemagne défendent les principes démocratiques comme la tolérance religieuse. Reste que les services secrets allemands s'intéressent de près à certains quartiers de Berlin comme celui de Neukölln où se trouveraient des individus liés au Hamas et au Hezbollah.

Dans les rues, certains - rares - sont ouvertement antisémites comme ce jeune Berlinois prénommé Abu d'origine palestinienne qui tient des propos condamnables. "Les Juifs doivent être éliminés," lance-t-il avant de juger : "Hitler a tué 90% d'entre eux, il n'en a laissé que 10% et c'est tant mieux parce que si Hitler n'avait pas tué tous ces juifs à l'époque, ils auraient pris le contrôle du monde entier."

L'immense majorité des musulmans que nous interrogeons sur place dit apprécier la vie à la Berlinoise et notamment la coexistence pacifique entre les différentes cultures et être attachée au respect de la liberté religieuse.

"On est tous des êtres humains, peu importe qu'on soit juif, allemand, chrétien, musulman," insiste Amal, une résidente du quartier. "On doit respecter tous les Musulmans, les Chrétiens et les Juifs à travers le monde, on doit se respecter les uns les autres," insiste-t-elle.

INSIDERS | Filming in Berlin

"Se rencontrer pour se respecter"

Nous nous rendons dans le quartier de Spandau et en particulier à l'école Beerwinkel. Ce jour-là, se tient un projet axé sur la prévention qui est mené dans les écoles où il y a une grande diversité. Son principe : se rencontrer pour se respecter.

Deux intervenants - l'un musulman, l'autre juif - viennent discuter avec les élèves. Joelle Spinner est active au sein de la communauté juive et mariée à un rabbin orthodoxe. Assis à côté d'elle, Ender Çetin a lui été pendant des années, à la tête de la plus grande mosquée de Berlin. Il s'adresse à la classe.

Ender Çetin :

"Vous savez ce que ça veut dire la discrimination ?"

Fatima, élève de l'école Beerwinkel :

"Pendant ma première année d'école, j'étais exclue parce que je ne parlais pas bien allemand."

Erik, élève de l'école Beerwinkel :

"Comme ma mère est Polonaise, je suis à moitié Polonais. Et à cause de ça, tout le monde dit que je suis un voleur."

Cem, élève de l'école Beerwinkel :

"Quand je veux jouer avec des Turcs, parfois ils disent non parce que je suis kurde."

Joelle Spinner, intervenante :

"Se sentir différent, c'est normal. Mais se sentir exclus à cause de ça, ce n'est pas normal."

Ces discussions où chacun exprime son expérience de la discrimination font prendre conscience que les Juifs, les Musulmans et les Chrétiens partagent les mêmes valeurs et sont parfois confrontés aux mêmes problèmes. Elles incitent ainsi à accepter la différence.

Cem, élève de l'école Beerwinkel, renchérit : "Les Musulmans, les Chrétiens et les Juifs peuvent devenir de très bons amis. L'amitié, c'est mieux que la guerre."

Fatima, sa camarade, conclut : "Pour moi, c'était très important tout ce qu'on a dit sur les Juifs et sur l'exclusion ; ce n'est pas facile pour nous, les enfants : nous en général, on ne choisit pas notre religion nous-mêmes."

"Nos religions prônent le respect et l'amour du prochain"

Dans de nombreuses cours d'école, des mots de haine sont employés contre les Juifs. Ces discussions sont donc essentielles d'autant plus avec la participation d'Ender et Joëlle, de deux confessions différentes.

"Toute forme de violence, de haine, c'est mauvais, c'est inacceptable," souligne Ender Çetin. "En tant que croyants, nous nous opposons à tout cela : nos religions prônent le respect et l'amour du prochain et nous sommes là pour servir de modèle," explique-t-il.

Joelle Spinner ajoute : "Je voudrais aussi montrer aux enfants que les préjugés qu'ils peuvent parfois, avoir sur les Juifs sont totalement faux ; on les invite à parler directement. Je leur dis : "Je suis Juive, vous pouvez me poser toutes les questions que vous voulez," retrace-t-elle.

Journée de la kippa

Autre initiative à Francfort : la ville a lancé la Journée de la kippa qui invite chacun - juif ou non - à porter une kippa pendant une journée.

L'école Wöhler participe à l'image de Carl-Philipp Spahlinger, son président du Conseil des élèves qui est chrétien.

Il y a deux ans dans son établissement, des propos antisémites avaient été échangés entre adolescents. Les enseignants avaient réagi immédiatement et le message avait été passé qu'il ne faut pas ignorer ce type de problème.

Depuis 2001, l'école mène aussi un travail de mémoire sur le sort des élèves juifs victimes des Nazis il y a plusieurs décennies.

"C'est le mémorial de l'école où l'on rend hommage aux élèves qui ont été assassinés pendant la période nazie," nous montre Carl-Philipp Spahlinger. "Aujourd'hui, on participe à la Journée de la kippa" organisée par la ville pour protester contre l'antisémitisme : ce matin, on en a déjà distribué 130 devant l'école," indique-t-il. "En même temps, c'est important d'aller plus loin : on alerte non seulement sur l'antisémitisme, mais aussi sur toutes formes de discrimination," fait-il savoir.

INSIDERS | Filming in Frankfurt

"De nombreux réfugiés fuient des sociétés où la haine des Juifs et d'Israël relève quasiment de la raison d'Etat"

Nous sommes reçus par le rabbin Daniel Alter. Il recense depuis de nombreuses années, les actes antisémites en Allemagne.

En 2012, il a été agressé parce qu'il portait une kippa par des jeunes musulmans sous les yeux de sa fille.

Nous lui demandons si aujourd'hui, en plus de l'antisémitisme présent au sein de l'extrême-droite et de l'extrême-gauche, l'Allemagne est selon lui, confrontée à un nouvel antisémitisme importé.

"D'un côté, je trouve qu'un pays riche comme l'Allemagne a pris la bonne décision en accueillant à la hauteur de ses possibilités, des personnes qui fuient la guerre et la persécution : je suis pour," reconnaît Daniel Alter avant de tempérer : "D'un autre côté, regardons la Syrie par exemple : beaucoup de réfugiés fuient des sociétés où la haine des Juifs et la haine d'Israël relèvent quasiment de la raison d'Etat," estime-t-il.

Hans von der Brelie :

"Y a-t-il de nouveau un problème d'antisémitisme aujourd'hui en Allemagne ?"

Daniel Alter :

"Nous sommes au XXIe siècle et dans Berlin, il y a des groupes qui crient dans la rue : 'Hamas, Hamas, les Juifs dans les chambres à gaz !" On entend de telles choses dans les rues en Allemagne aujourd'hui. Or si de l'hostilité s'exprime à l'égard d'un groupe en particulier, bientôt de l'hostilité s'exprimera à l'égard de toute une série d'autres groupes."

Au-delà des actions symboliques comme les Journées de la kippa, d'autres mobilisations peuvent être nécessaires notamment en matière d'éducation pour faire passer auprès des migrants musulmans pour certains hostiles aux Juifs, un message de tolérance.

Sources additionnelles • Version française : Stéphanie Lafourcatère

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