Le "miracle économique" portugais, mythe et réalités

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Dans '"Unreported Europe" cette semaine, nous vous emmenons à Porto. Derrière le boom économique de ces dernières années, les inégalités sociales se creusent et les services publics sont en panne sèche...

Sorti de la politique d’austérité imposée par Bruxelles en 2014, le Portugal fait aujourd’hui figure d’exemple en matière de redressement économique.

Une politique de relance par la demande fondée sur le marché de l’immobilier et le tourisme. De bons résultats qui cachent une réalité plus sombre.

Au Portugal, dans les rues du centre de Porto, Rui Lé Costa s’arrête tous les 200 mètres près d'un immeuble qu’il a rénové. "Ici dans cette rue, nous avons ce bâtiment que nous allons bientôt rénover avec les fonds d’un investisseur international, explique-t-il. En l’occurrence, un investisseur de Miami. Et là, juste à côté, on a un projet qui est presque terminé. Un hôtel qui a été financé par un groupe mexicain."

Des réhabilitations immobilières géantes

De deux studios achetés en 2014, il gère aujourd’hui un parc immobilier de 75 appartements. Sa société Feel Porto est spécialisée dans l’achat et la réhabilitation d’immeubles pour de la location courte durée. "Et ce bâtiment de sept étages va être transformé en appartements pour de la location de courte durée" dit-il.

Pour rénover tous ces immeubles, Rui a dû s’appuyer sur des investisseurs étrangers. "Nous avons des investisseurs espagnols, des Français, nous avons des Italiens, des Anglais. Et nous avons aussi des investisseurs du continent américain, en l’occurrence du Brésil, des États-Unis, des Canadiens."

En 2011, pour sortir de la politique de rigueur imposée par Bruxelles, le pays veut attirer les capitaux étrangers. Les ressortissants qui investissent dans l’immobilier pourront bénéficier d’exonérations d’impôts. En trois ans à peine, c’est un raz-de-marée. Les projets de réhabilitation fleurissent. Et les centres-villes de Porto et Lisbonne sont envahis par les touristes.

Pour Rui, la crise est devenue une machine à cash. L’an passé, sa société a facturé 2, 5 millions d’euros de location en courte durée. "D’ici, vous pouvez voir la quantité de grues. Ce qui montre réellement la force du marché de la réhabilitation dans le centre de Porto ces dernières années."

Les laissés-pour-compte du "miracle économique"

Le Portugal engrange près de 5 milliards d’euros grâce à ce plan de relance du marché immobilier et touristique. Finie la politique d’austérité, le pays annonce fièrement être sorti de la crise. Mais qui sont les laissés-pour-compte de ce prétendu "miracle économique" ? Au cœur de la vieille ville de Porto, Irma se sent de plus en plus étrangère dans son propre quartier.

"Ça a beaucoup changé, nous avons perdu beaucoup d’habitants dans le centre historique, dit Irma Sousa, travailleuse social à la mairie de Porto. Parce que les loyers ont augmenté de façon exponentielle. Et les revenus surtout des personnes les plus âgées ne peuvent pas supporter les prix pratiqués aujourd’hui. On parle pour ces gens d’une pension de retraite de 250 ou 280 euros par mois et avec ça, aujourd’hui vous ne pouvez même pas payer une chambre dans le centre-ville."

Là aussi se trouve un immeuble à vendre. En 2012, le gouvernement modifie la loi en faveur des propriétaires. L’expulsion des occupants en cas de rénovation des lieux est facilitée.

C’est au rez-de-chaussée de cet immeuble dégradé que vit Otelinda, 74 ans. "Là, c’est ma chambre, dit Otelinda de Jesus Pinto, habitant de la vieille ville de Porto. Avant, c’était la chambre de mon fils." Elle a vécu toute sa vie dans cette maison. La veille, elle a reçu un avis d’expulsion pour impayé.

Des dizaines d'expulsions chaque mois

Avec une pension de 282 euros par mois, le loyer est devenu inabordable pour elle. "La décision dit que vous allez devoir rendre votre maison. Et il vous demande de payer 3906 euros. Qu’est-ce que je vais faire maintenant que j’ai reçu cet avis d’expulsion ? Je vais devoir rassembler mes affaires et tout mettre dans des caisses. Dans ces vieilles maisons où nous vivons, où nous avons toujours vécu, où nous avons élevé nos enfants, là où nous avons nos racines, c’est de cela que le gouvernement devrait se préoccuper ! Non pas des touristes !"

A Porto, la libéralisation du marché locatif entraîne des dizaines d’expulsions chaque mois. Le Portugal fait figure d’exemple en matière de relance économique : 2% de croissance par an et un taux de chômage sous les 8% en 2019.

Mais pour l'économiste Jose Reis, de l'Université de Coimbra, ces résultats flatteurs cachent une réalité bien différente. "Oui, c’est vrai, la balance commerciale est équilibrée mais équilibrée à cause du secteur des services et surtout du tourisme qui pratique des salaires très bas. Il y a les limitations imposées par les exigences de Bruxelles. Et la restriction de devoir envoyer une part significative des richesses, qui sont importantes pour le développement du pays et pour payer la dette publique, pour payer les créanciers internationaux. C’est une restriction énorme qui paralyse la possibilité d’investir dans le secteur public."

Services publics en rade

Au Portugal, les services publics sont les naufragés de la politique d’austérité.

Plage de Matosinho. Chaque week-end, Ruben Silva donne des cours de surf à des enfants. "Je fais ça seulement en fin de semaine parce que le reste du temps, je suis à Lisbonne." A Lisbonne, Ruben exerce son vrai métier, celui d’enseignant. Il enchaîne les contrats précaires pour un salaire de 1100 euros par mois. Pour se rendre chaque semaine dans la capitale et se loger, il dépense la moitié de sa paye. "J’ai une maison à Porto et là-bas je vis dans une auberge de jeunesse. C’est une situation précaire, qui atteint ma dignité. Mais je m’y suis habitué."

Ruben rêve chaque année d’être titularisé auprès de sa famille, à Porto. "Ils ne savent pas ce que c’est de devoir laisser mon enfant et ma famille chaque semaine. Mon fils, il n’aura plus jamais 7 ou 8 ans. Il me demande de l’emmener à l’école. Mais je ne peux pas." Sans donner ces cours de surf, Ruben ne s’en sortirait pas.

Depuis dix ans, pour contrôler le déficit public, le gouvernement portugais a gelé les salaires des fonctionnaires. Les multiples mouvements de grève auxquels Ruben a participé n’ont rien changé. "Pour vous donner une idée du drame qui se déroule, il y a des professeurs qui ne pourront jamais arriver à l’étage maximum de salaire. Plus personne ne veut être professeur. Personne. Les seuls postes proposés, personne n’en veut. Vous allez faire un mois de remplacement, deux mois. Avec des horaires réduits de 10 ou 15 heures. Les gens me demandent ce que je vais faire l’année prochaine. Je ne sais pas, je ne sais pas."

En attendant un miracle auquel il ne croit plus vraiment, Ruben continue de faire chaque semaine les 300 km qui le séparent de Lisbonne.

L'hôpital public délaissé

Hôpital public Saint-Jean à Porto. Ces dernières années, les personnels soignants se sont régulièrement mis en grève. Miguel Guimaraes préside le conseil national de l’ordre des médecins. Comme tous ses confrères, il dénonce le manque de personnel et de matériels dans le secteur de la santé. Il veut nous montrer le service pédiatrique. Les enfants sont hospitalisés dans ce bâtiment préfabriqué. Cela dure depuis dix ans.

"Nous parlons ici du centre hospitalier de l’hôpital Saint-Jean, explique Miguel Guimaraes. L’un des meilleurs hôpitaux du Portugal. Imaginez ce qui se passe dans des hôpitaux à Veja, Evora, Porto Alegre… Toutes ces structures ne seront pas rénovées dans les dix ou vingt années qui viennent. Ce qui est très grave pour tous les gens qui travaillent dans le secteur national de la santé. Très préjudiciable pour nos malades. Nos représentants politiques peuvent penser que la crise pour eux est déjà passée. Mais elle n’est pas passée pour le peuple portugais."

Tous les ans, l’exode des médecins et infirmiers ne cesse d’augmenter. Les mesures d’austérité ont pris fin depuis des années mais nombreux sont les Portugais qui doivent encore endurer le coût social de la relance économique. Après 53 ans passés dans cet immeuble, Otelinda est expulsée. Pour encore quelques jours, elle peut profiter de la vue imprenable sur sa ville.

"Je voulais rester dans ma petite maison. Mais malheureusement ce n'est pas toujours comme on veut" soupire Otelinda. Des touristes du monde entier prendront bientôt sa place. Son immeuble devrait être réhabilité en hôtel.

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