"C'est une honte", les ONG dénoncent le code de conduite italien pour les sauvetages en Méditerranée

Les ONG estiment que le code de conduite italien empêche d'intervenir dans les meilleures conditions
Les ONG estiment que le code de conduite italien empêche d'intervenir dans les meilleures conditions Tous droits réservés Jeremias Gonzalez/AP
Tous droits réservés Jeremias Gonzalez/AP
Par Jorge Liboreiro
Partager cet articleDiscussion
Partager cet articleClose Button
Copier/coller le lien embed de la vidéo de l'article :Copy to clipboardLien copié

La société civile estime que ce texte limite leurs capacités d’action pour sauver les demandeurs d’asile et qu’il est en contradiction avec le droit international.

PUBLICITÉ

Les ONG tirent la sonnette d'alarme au sujet du nouveau code de conduite obligatoire italien pour les opérations de recherche et de sauvetage en Méditerranée. Elles dénoncent un texte incompatible avec le droit international et qui fera courir des risques inutiles aux personnes vulnérables.

Le Conseil de l'Europe, basé à Strasbourg, exprime des préoccupations similaires et exige le retrait du document si des modifications ne sont pas apportées.

Parmi ses dispositions, le code italien oblige les navires à débarquer les personnes sans délai, dès la première opération de sauvetage terminée. Et ce, même si l'ONG détecte d'autres migrants perdus en mer et dispose des capacités pour les sauver.

Il est également demandé aux navires de naviguer directement vers le port sécurisé désigné, quel que soit son emplacement, et d'éviter le transfert des migrants vers des navires plus grands. Cette procédure, appelée transbordement, permet d'alléger la charge des bateaux de petite taille.

"Pour nous, c'est une honte, parce que c'est un code unilatéral", déclare Till Rummenhohl, chef des opérations de SOS Humanité.

"Lorsque nous sauvons un bateau, les survivants nous disent souvent déjà qu'il y a eu d'autres naufrages, que d'autres personnes sont portées disparues en mer. Donc, pour nous, il est difficile de se retirer ensuite de la scène, d'autant plus que nous aurions la capacité de sauver plus de personnes."

Ces derniers mois, les autorités italiennes ont désigné des ports sûrs dans le centre et le nord de l'Italie, loin des régions méridionales voisines, ce qui oblige les bateaux à entreprendre des voyages plus longs et plus coûteux.

"Naviguer si loin au nord, alors que de nombreux autres ports appropriés pour le débarquement sont beaucoup plus proches, n'est pas raisonnable du point de vue du droit maritime", explique Nicola Stalla, directeur adjoint des opérations de SOS Méditerranée.

"La consommation de carburant pour atteindre ces ports éloignés à un impact significatif sur les finances qui seraient disponibles pour mener plus d'opérations."

Le nouveau code est inscrit dans un décret publié par le gouvernement italien emmené par l’extrême droite de la Première ministre Giorgia Meloni. Le texte est entré en vigueur début janvier, en attendant un processus législatif complet.

Les règles sont obligatoires et prévoient des amendes administratives pouvant aller jusqu'à 50 000 euros en cas de récidive, ce qui peut conduire à la saisie du navire lui-même.

Rome affirme que le code est nécessaire pour établir une distinction entre les opérations de sauvetage "occasionnelles" et "systématiques", et pour réprimer les franchissements irréguliers de frontières.

"Un naufrage et un sauvetage sont des événements occasionnels. Une recherche systématique, qui encourage les départs, est différente", explique le ministre de l'Intérieur Matteo Piantedosi.

"La présence des ONG a fait que des dériveurs prennent le départ et non des bateaux bien structurés. C'est le phénomène que nous avons observé."

Mais la société civile s’oppose à ces affirmations. Elle assure que ces opérations de recherche et de sauvetage, qu'elles soient régulières ou intermittentes, sont vitales pour sauver des vies en mer et pour combler le vide laissé par les gouvernements. Les ONG s'en prennent également à ce qu'elles considèrent comme une surenchère législative incompatible avec des conventions établies de longues dates.

Sea-Eye affirme que le code de conduite est "probablement illégal" parce que Rome tente de réglementer les actions des navires étrangers se déroulant au-delà des eaux italiennes.

"L'Italie ne peut pas dicter la manière dont les opérations de sauvetage dans les eaux internationales doivent être menées, car cette question relève de l'État du pavillon”, répond Sea-Eye dans un communiqué.

"Quelque chose de vraiment inhumain"

Le code oblige aussi les travailleurs des ONG à fournir des informations sur la manière de demander une protection internationale et à commencer à collecter des données personnelles sur les demandeurs d'asile potentiels, qui sont ensuite censées être transmises aux autorités italiennes.

PUBLICITÉ

Des organisations comme Sea-Eye, Médecins sans frontières (MSF), SOS Humanité et SOS Méditerranée mettent en garde contre cette disposition qui déplace la responsabilité des fonctionnaires de l'État vers des personnes privées.

"Ce type d'activité est une activité spécifique pour laquelle il existe des autorités spécifiques, des organismes en charge, qui réalisent normalement ces séances d'information sur la terre ferme. Donc, en principe, un navire en mer n'est pas tenu d'avoir du personnel compétent pour assurer ce type de séances d'information (sur l'asile)", précise Nicola Stalla.

"Il y a une obligation de recueillir des manifestations d'intérêt de la part de personnes qui pourraient vouloir demander l'asile et de fournir ces données aux autorités, ce qui, encore une fois, est quelque chose que l’on peut qualifier de début du processus d'examen de la demande (d'asile) alors que les personnes sont encore en mer."

Till Rummenhohl, de SOS Humanité va dans le même sens et ajoute que l'interrogation de personnes "très vulnérables et très confuses" sur leur avenir dépasse le mandat des navires de sauvetage.

"Avoir ce processus à bord est, à notre avis, quelque chose de vraiment inhumain", dénonce Till Rummenhohl.

PUBLICITÉ

Alors que le décret fait son chemin au Parlement italien, le Conseil de l'Europe est entré dans la danse et demande des amendements pour aligner le texte sur les obligations internationales de l'Italie.

Dans une lettre adressée à Matteo Piantedosi, Dunja Mijatović, Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l’Europe, a ouvertement critiqué le "flou" du code et l'obligation de débarquement immédiat.

"Cela prolonge la souffrance des personnes sauvées en mer et retarde indûment la fourniture d'une assistance adéquate pour répondre à leurs besoins fondamentaux. Elle expose inutilement les personnes à bord aux dangers potentiels des mauvaises conditions météorologiques", écrit Dunja Mijatović.

"Le séjour prolongé à bord a tendance à entraîner une détérioration rapide de l'état de santé de toutes les personnes concernées et risque d'aggraver l'état des personnes vulnérables à bord."

Le ministre italien de l'Intérieur n'a pas immédiatement répondu à une demande de commentaire.

PUBLICITÉ

Interrogée sur cette lettre, la Commission européenne, qui a déclaré à plusieurs reprises que tous les États membres de l'UE ont la responsabilité de sauver des vies en mer, a refusé de se laisser entraîner dans le débat.

"Nous avons vu l'avis, mais nous ne sommes pas en mesure de faire un commentaire maintenant", déclare un porte-parole de la Commission.

"Notre dialogue avec les autorités italiennes se poursuit."

Partager cet articleDiscussion

À découvrir également

Qui pourrait succéder à Ursula von der Leyen à la tête de la Commission européenne ?

La centrale de Zaporijjia n'explosera probablement pas, mais l'Europe reste sur ses gardes

La politique d'Ursula von der Leyen : Trop à droite pour la gauche et trop à gauche pour la droite ?