Shirin Ebadi : "les droits de l'homme sont un code de conduite international"

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Par Euronews
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Shirin Ebadi est avocate, militante des droits des enfants et des femmes, et lauréate iranienne du prix Nobel de la paix 2003. Le 9 décembre dernier, la présidente du cercle des défenseurs des droits de l’homme est venue recevoir, au nom d’Abdolreza Tajik, le prix de la liberté de la presse décernée par Reporters sans frontières. Le journaliste iranien qui se trouve derrière des barreaux n’a pas été en mesure de le recevoir en personne.

Dans une interview exclusive accordée à Euronews, Shirin Ebadi revient sur la situation des droits de l’homme en Iran.

Euronews : Madame Ebadi, bienvenue sur Euronews.

Shirin Ebadi : Merci à vous et à vos téléspectateurs.

Euronews : Si vous le voulez bien, nous allons commencer par évoquer la situation des droits de l’homme en Iran. Ces dernières années, vous n’avez cessé de souligner que cette question a été éclipsée par les désaccords sur le programme nucléaire. Dans quelle mesure pensez-vous que vos mises en garde et celles des défenseurs des droits de l’homme ont été efficaces ?

Shirin Ebadi : Les pays occidentaux ont commencé à s’y intéresser, mais pas suffisamment. L’Occident est toujours obnubilé par sa propre sécurité et semble peu préoccupé par les principes qu’il prétend défendre. Nous avons pu observer, lors des récentes négociations avec le gouvernement iranien, qu’une fois encore la question des droits de l’homme a été totalement éclipsée, l’inquiétude des pays occidentaux était uniquement de savoir si l’Iran devait ou non poursuivre ses programmes d’enrichissement. Je leur adresse donc ce message : faites un peu plus attention à ce que vous semblez considérer comme important et demandez-vous pour quelles raisons les gens sont emprisonnés en Iran.

Euronews : Chose étrange en Iran, les dissidents politiques, les militants des droits de l’homme ou encore les journalistes, ne sont pas les seuls à subir les persécutions du gouvernement. Leurs avocats aussi sont régulièrement arrêtés par le régime. En d’autres termes, l’avocat d’une personne accusée d’une infraction politique se fait arrêter, puis c’est au tour de l’avocat de cet avocat. Vous-même par exemple, qui êtes l’avocate d’un certain nombre de militants des droits de l’homme et d’opposants politiques, vous continuez de faire l’objet de poursuites, tout comme votre avocat, madame Nasrin Sotudeh, qui est actuellement en prison et dans l’attente de l’ouverture de votre procès.

N’existe-t-il pas des dispositions dans la loi iranienne pour mettre les avocats à l’abri des poursuites et leur permettre de continuer à exercer leur profession?

Shirin Ebadi : Permettez-moi de commencer par vous expliquer les raisons pour lesquelles le gouvernement exerce une telle pression sur les avocats. Le régime refuse de voir les personnes poursuivies pour des infractions politiques choisir eux mêmes leurs avocats. D’ailleurs, les avocats indépendants du pouvoir subissent de plus en plus en de restrictions, et en particulier ceux qui accordent des entrevues aux médias. Actuellement, il y a 5 avocats en prison en Iran. Et cela n’inclut pas Madame Sotudeh qui a été illégalement placée en isolement. Pour s’insurger contre le traitement qui lui est réservée et qu’elle juge illégal, elle a entamé une grève de la faim. Et je ne vous cache pas mon inquiétude sur son état de santé.

Il y a un autre avocat, Mohammad Oliaii-far, qui purge actuellement une peine d’un an de prison pour avoir courageusement défendu des jeunes de moins de 18 ans qui ont été exécutés par le régime. Lui aussi est gravement malade, pourtant le gouvernement ne semble pas disposé à lui accorder de sursis pour qu’il puisse bénéficier de soins médicaux.

Ces restrictions indiquent l’absence d’indépendance du système judiciaire. Conformément à la loi, un avocat devrait pouvoir jouir de la même immunité légale qu’un juge ; mais ici ce point de droit est ignoré. Lorsque ces avocats ont été arrêtés, j’ai contacté l’association internationale du barreau

et des collègues dans d’autres pays comme la France et l’Espagne. J’ai également écrit au rapporteur spécial sur l’indépendance des juges et des avocats. Tout cela sera consigné au dossier de l’Iran qui viole les principes des des droits de l’homme. C’est pourquoi chaque année l’Organisation des Nations Unies publie un communiqué demandant à l’Iran de respecter ses obligations internationales.

Euronews : Madame Ebadi, si l’on tente un rapprochement entre l’attitude des gouvernements à l‘égard des Nobel de la paix et leur approche des questions de droits de l’homme, nous pourrions alors comparer les traitements reçus par An San Suu Kyi et Liu Xiaobo de la part de leurs gouvernements respectifs, et celui que vous a réservé le gouvernement iranien. Cette comparaison vous semble-t-elle pertinente, sachant que vous avez été contrainte vous-même de résider en dehors de votre pays ? Est-ce qu’il vous semble possible de retourner vivre en Iran ?

Shirin Ebadi : Pour ne pas avoir payé d’impôts sur la dotation qui accompagne le Prix Nobel de la paix que j’ai reçu en 2003, le gouvernement iranien a décidé de confisquer tous mes biens. Il est intéressant de noter que le montant d’impôt qu’ils me réclamaient était supérieur au montant du prix lui-même, sans parler du fait que les prix Nobel ne sont pas soumis à l’impôt. Mon mari était en prison, toute ma famille étaient en prison, et aucun d’entre eux n’a été autorisé à quitter le pays. En clair, ils n’ont jamais cessé de s’en prendre à moi.

Avant même tout cette affaire, en 2008, le centre de défense des droits de l’homme, une ONG créée à Téhéran à la suite de mon prix a été illégalement fermée. J’ai déposé plainte parce qu‘à mes yeux ils ont agi illégalement, mais à ce jour, aucun juge n’a osé s’intéresser à ce dossier. Alors, quand je vous explique qu‘à mon sens la magistrature a perdu son indépendance, c’est quelque chose auquel je crois profondément.

Euronews : Dernière question, comment expliquez-vous que toutes les activités de la société civile et celles des ONG qui militent en faveur des droits de l’homme soient classées au même rang que les questions politiques ? Certains experts disent que la violence et l’interprétation des droits de l’homme sont toutes deux reliées, dans une certaine mesure, à des questions culturelles. Sans oublier que certains gouvernements rejettent les déclarations et conventions internationales sur les des droits de l’homme, qui sont jugées contraires à leurs propres idéologies. Exemple concret, l’Islam est la référence choisie par le gouvernement iranien pour aborder la question des droits de l’homme. Quelle est la meilleure manière de le faire ?

Shirin Ebadi : Chaque fois que le gouvernement iranien est confronté à des accusations de violation des droits de l’homme, il se réfugie derrière des différences culturelles, comme celle que vous venez de mentionner. Je dois dire, cependant, que l’Iran a accepté sans conditions les conventions internationales sur les droits civils et politiques, économiques et sociaux de ses citoyens. Alors, c’est bien beau de ratifier une convention, mais le plus important c’est de la mettre en œuvre. Il s’agit d’un code international de conduite et cela n’a rien à voir avec l’Est et l’Ouest, ou avec les musulmans et les chrétiens. Si les musulmans choisissent d‘écrire une déclaration des droits de l’homme conforme à leur religion, il faut dans ce cas que cette même disposition soit accordée aux autres confessions religieuses. Au risque de voir naître une déclaration des droits de l’homme juive, une déclaration des droits de l’homme bouddhiste, une déclaration des droits de l’homme hindouiste, et j’en passe, mais je crains fort qu’alors la question des droits de l’homme ne soit réduite à néant. Pour moi, les droits de l’homme sont un code de conduite international.

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