La Serbie vue par son président, après l'arrestation de Mladic

La Serbie vue par son président, après l'arrestation de Mladic
Par Euronews
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Depuis quelques jours, le président serbe Boris Tadic est sous le feu des projecteurs. La semaine dernière, il annoncait l’arrestation de Ratko Mladic, l’un des criminels de guerre les plus recherchés en Europe. Il a ensuite supervisé son extradition à La Haye. Une position qu’il a fallu défendre vis-à-vis de son opinion publique qui continue à considérer Mladic comme un héros. Comment le président serbe analyse-t-il toute cette affaire ? Valérie Zabriskie, d’euronews a pu l’interroger à Belgrade.

Valérie Zabriskie, euronews :

M. le Président, ma première question ne va pas vous étonner. Ratko Mladic a été en cavale pendant seize ans dont onze sur le territoire serbe. Que répondez-vous à ceux qui disent que cette arrestation de Mladic est intervenue trop tard ?

Boris Tadic, président de la République de Serbie :

Ma réponse est très simple. Je vais vous expliquer clairement ce qui s’est passé. Pendant seize ans, il n’y a pas eu un seul et même gouvernement en Serbie. Ces seize dernières années, nous avons connu une révolution démocratique. Il y a seize ans, c’est Slobodan Milosevic qui était au pouvoir. Et jusqu’au 5 octobre 2000, Ratko Mladic était libre de ses mouvements. Il était totalement protégé par les autorités. Ceci est très clair.

Nous avons connu des tensions politiques. Mais une fois que l’actuel gouvernement a été formé, nous avons mis en place un nouveau Conseil national de sécurité. Nous avons engagé des réformes. Ce processus a conduit d’abord à l’arrestation de Radovan Karadzic, puis deux ans et demi après, à l’arrestation de Ratko Mladic.

euronews :

J’ai lu un éditorial qui disait que traquer des criminels de guerre, c‘était un peu comme attendre un bus. Vous pouvez attendre très, très longtemps, et d’un seul coup, il y en a deux qui arrivent. Or là, il y a eu Ben Laden et Mladic. Que pensez-vous de cette comparaison ? D’autant que certains estiment que vous, comme le président Obama, avez quelque chose à voir, d’une certaine manière, avec l’horaire de passage du bus…

Boris Tadic :

Tout ceci est absolument faux. Que voulez-vous que je réponde à ce genre de commentaires ? La Serbie aurait dû remplir ses obligations depuis bien longtemps, depuis plusieurs années. Chaque jour d’enquête a été très difficile. Le préjudice moral que nous avons subi vis-à-vis de la communauté internationale a été très important. Nous avons perdu de nombreux investisseurs ces dernières années.

Politiquement parlant, si j’avais pu choisir quand faire aboutir cette enquête, il aurait été beaucoup plus efficace que je le fasse avant le début des discussions du Conseil européen concernant une date pour notre adhésion plutôt que maintenant.

euronews :

Je sais bien qu’il faut prendre les sondages avec des pincettes, mais j’ai vu dans un sondage réalisé juste avant la capture de Mladic, que seulement 34% des Serbes se prononcaient pour son arrrestation, et qu’environ 80% disaient que jamais ils ne le dénonceraient s’ils savaient où il se cachait. Au regard de ces chiffres, comment avez-vous fait pour décider in fine de livrer Mladic au tribunal de La Haye ?

Boris Tadic :

Si vous prenez toujours vos décisions en fonction des sondages, en fonction de ce que pensent les gens, et bien j’estime que vous n‘êtes pas fait pour être président ou homme politique…

Je ne dis pas que Ratko Mladic s’est comporté durant toute la guerre, comme il l’a fait à Srebrenica. Je ne dis pas qu’il n’a pas défendu les populations serbes qui vivaient en Bosnie Herzégovine. Il l’a fait. Je sais bien qu’en temps de guerre, il y a des extrémistes dans chaque camp. Il y a eu aussi dans le camp bosniaque et dans le camp croate. Mais les allégations sur ce qui s’est passé à Srebrenica sont tellement graves que cela relève du tribunal de la Haye. Cela doit faire l’objet d’un procès équitable, dans lequel l’inculpé pourra répondre aux accusations. C’est comme cela que je vois les choses.

En même temps, en faisant aboutir cette enquête, en arrêtant tous les inculpés, nous favorisons, dans les Balkans, un climat de réconciliation entre nous.

euronews :

Reste le Kosovo. Maintenant que Mladic et Karadzic sont sous les verrous à La Haye, le Kosovo demeure le principal obstacle à l’entrée de la Serbie dans l’Union européenne. La Serbie a-t-elle d’autre choix que de reconnaître le Kosovo ou au moins normaliser les relations ?

Boris Tadic :

Je ne m’attends pas à ce que les dirigeants de l’Union européenne essayent de me pousser à reconnaître l’indépendance du Kosovo. Ceux qui voudraient le faire iraient droit dans le mur.

Mais dans le même temps, je ne pense pas que la Serbie s’engage dans un nouveau bras-de-fer avec l’Union européenne. C’est pourquoi nous avons déposé un projet de résolution avec les 27 Etats membres de l’Union européenne auprès de l’assemblée générale des Nations Unies l‘été dernier, ouvrant ainsi un dialogue avec Pristina.

Il existe plusieurs solutions, encore faut-il qu’elles soient acceptées. Il est nécessaire que la partie adverse soit plus souple, davantage ouverte au dialogue, courageuse et innovante. Si on est inflexible, alors on n’arrivera pas à trouver une solution à ces problèmes qui existent depuis un siècle dans les Balkans.

Alors, c’est vrai : je ne suis pas particulièrementt heureux de devoir règler les problèmes existant dans les Balkans. Ce n’est pas de ma faute si ces problèmes se posent depuis un siècle. Mais je demande à chacun de prendre en considération et de respecter les intérêts légitimes de la population serbe.

Nous sommes membres des Nations Unies. Nous en sommes l’un des membres-fondateurs. Nous sommes un vieux pays et nous avons des droits légitimes. Nous avons une identité, et notre origine se situe au Kosovo. Nous sommes disposés à discuter et à trouver des solutions.

euronews :

Ce qui ne sera pas facile…

Boris Tadic :

Mais qu’est-ce qui est facile ? Est-ce facile d’arrêter Ratko Mladic ? Slobodan Milosevic ? Radovan Karadzic ? Est-ce facile d’arrêter ainsi deux anciens présidents serbes, d’arrêter les présidents de la République Srpska, tous des généraux ?

Ce n’est pas facile de prendre de tels risques. Mais je suis prêt à les prendre, si cela nous ouvre un avenir prometteur. Je suis prêt à prendre des risques si cela permet de trouver une solution à l’instabilité récurrente dans la région, si cela permet de développer une stratégie vraiment rationnelle, et si au final, cela permet un jour à tous les habitants des Balkans de rejoindre l’Union européenne.

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