Centrafrique : vers une mise sous tutelle onusienne et africaine?

Centrafrique : vers une mise sous tutelle onusienne et africaine?
Par Euronews
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Le chaos s’est installé en Centrafrique depuis le coup d’Etat qui a renversé le président Bozizé, le 24 mars dernier. Des violences inter-communautaires et religieuses, entre chrétiens et musulmans, ont mis le pays au bord d’un génocide, qui rappelle celui qu’avait connu le Rwanda il y a bientôt vingt ans.

L’ancienne colonie française, riche en diamants, or et uranium, n’a jamais vraiment connu la stabilité depuis son indépendance en 1960.

Ce dernier conflit oppose d’un côté, les milices de la Seleka, une coalition hétéroclite d’anciens groupes rebelles, à dominante musulmane. Ils ont revêtu l’uniforme officiel de l’armée centrafricaine, mais ont depuis échappé au contrôle de leur leader, le président par intérim Michel Djotodia.

De l’autre, les miliciens anti-balaka ou anti-machettes, qui ont pris les armes pour défendre les villages et quartiers chrétiens. “Nous sommes là pour protéger notre village, dit un paysan. Les Seleka sont venus pour se venger sur la population. Nous ne faisons que défendre notre village.’‘

Devant l’urgence, le Conseil de sécurité des Nations Unies a autorisé les troupes françaises et africaines à faire usage de la force en Centrafrique pour protéger les civils, rétablir l’ordre et la sécurité, et stabiliser le pays.

La France a aussitôt renforcé son dispositif sur place
en déployant 1600 militaires, en appui aux 2500 soldats de la Misca, la force de l’Union africaine, dont le contingent sera porté à 6000 hommes.

La résolution du Conseil de sécurité a donné un mandat de six mois aux troupes françaises et africaines, ce qui semble bien peu au regard de la complexité du conflit, des forces en présence, et des crises chroniques auxquelles fait face la Centrafrique.

Interview de François Soudan, directeur de la rédaction de Jeune Afrique

Sophie Desjardin, euronews : La France s’est donc engagée en Centrafrique après avoir reçu le feu vert des Nations Unies. C’est la deuxième intervention française en Afrique cette année après l’opération Serval au Mali en janvier. Qu’y-a t-il derrière cette intervention, quels en sont les objectifs déclarés ou supposés? Pour en parler nous sommes avec François Soudan, le directeur de la rédaction de l’hebdomadaire Jeune Afrique.

Faisons un point, pour commencer et bien comprendre le contexte, sur la situation du pays, en proie au chaos depuis la chute du président Bozizé en mars. Le chaos justement trouve-t-il ses origines depuis lors ou bien est-ce plus ancien?

François Soudan : C’est un chaos en Centrafrique, disons une mal gouvernance qui remonte pratiquement aux années 1960, au moment où le père fondateur de l’indépendance centrafricaine, Barthélémy Boganda, est mort dans un mystérieux accident d’avion qu’on a ensuite attribué plus ou moins aux services français. C’est ce mal originel, si vous voulez, qui est à l’origine de tout ce qui va suivre. On a eu ensuite une succession de gouvernements qui étaient tous marqués du sceau de la ‘‘mal gouvernance’‘. Je rappelle tout de même que l’opération Sangaris est la cinquième intervention française depuis l’indépendance, et à chaque fois, c’est un véritable travail, il faut recommencer.

Sophie Desjardin, euronews : En quoi cette intervention est-elle différente de celle menée au Mali?

François Soudan : Elle est d’abord différente au niveau de l’image qu’elle projette en France. On nous a parlé de génocide, c’est pas tout à fait cela, mais il a fallu employer un certain nombre de mots relativement outranciers pour faire passer cette intervention aux yeux de l’opinion publique, c’est la première chose.
La deuxième différence, c’est face à qui les Français doivent se battre et qui ils doivent désarmer. Au Mali c‘était relativement simple, c‘était Aqmi, le Mujaho. Là, c’est à la fois la Seleka, mais aussi les mouvements anti-Seleka. Donc, la France est obligée de se battre sur deux fronts.
Et enfin, troisième différence extrêmement importante, c’est demain : qu’est-ce qui va se passer? Au Mali, c‘était simple, il y avait une classe politique qui existait et on pouvait prévoir des élections dans un délai relativement court. En Centrafrique, il n’y a rien de tout cela.

Sophie Desjardin, euronews : La France a également évoqué un président qui ne tient plus les rennes et la nécessité d’une transition politique. Alors la question, bien sûr, c’est : y va-t-on pour sauver des vies ou pour changer de président? Mission humanitaire ou politique?

François Soudan : Je dirais les deux. Il faut une mission effectivement humanitaire mais qui va être très difficile et très complexe à mener, mais il faut également déboucher sur des élections. Mais encore une fois, il n’y a pas d’administration en mesure d’organiser des élections. Il faudra donc que l’Onu, l’Union africaine, s’implique et que l’on mette – il faut appeler les choses par leurs noms – pratiquement ce pays sous tutelle onusienne et union africaine pour les six ou huit mois à venir.

Sophie Desjardin, euronews : Quel est l’impact, dans la décision française, de l’implication sur le territoire de groupes armés venus de pays voisins, dont la tristement célèbre armée de résistance du seigneur, du criminel de guerre ougandais Joseph Koni?

François Soudan : La grande crainte effectivement des Français, mais aussi des chefs d‘États du Cameroun, de la République démocratique du Congo, du Tchad, qui entourent ce pays, c’est que la Centrafrique devienne une espèce de zone grise, que des groupes djihadistes finissent par rejoindre – on pense notamment à Boko Haram – cette région. Ça c’est le premier point et ce serait un facteur de déstabilisation pour tous les pays de la région. La France a quand même quelques intérêts économiques également en Centrafrique, il ne faut pas l’oublier. Il y a de l’uranium, Areva a des intérêts. Le problème c’est qu’il faut se préparer à une intervention très longue et très coûteuse.

Sophie Desjardin, euronews : Comme avec le Mali en janvier, et à fortiori après une deuxième intervention en moins d’un an, le fantôme de la Françafrique ressurgit. La France est elle obligée de faire le gendarme dans ses ex-colonies?

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François Soudan : Vous faites bien de le dire. Il y a un certain nombre d‘éléments auxquels il faut que la France fasse très attention. On a vu François Hollande qui hier est allé à Bangui sans demander l’autorisation du gouvernement de transition sur place, or la Centrafrique est normalement et théoriquement un pays indépendant. On voit l’armée française qui est entrainée dans un espèce de piège sur place où elle peut donner l’impression de défendre une communauté, c’est a dire les Centrafricains de confession chrétienne. Ce sont des pièges qu’il faut, en tous cas pour la France, absolument éviter. Les buts de guerre, les buts d’intervention risquent rapidement de s’effacer.

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