Donetsk : une région sous les balles

Donetsk : une région sous les balles
Par Euronews
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Dans l’est de l’Ukraine, Donetsk ressemble par moments à une ville fantôme. Depuis juillet, peu de magasins, de banques et d’administrations sont ouverts. De nombreux habitants ont fui le conflit qui oppose les rebelles soutenus par Moscou et les forces ukrainiennes. Un cessez-le-feu précaire a été signé à Minsk début septembre et les militants pro-russes de la République populaire de Donetsk font désormais appliquer leurs lois et ont mis en place leur propre commandement.

L’industrie régionale tourne au ralenti : les usines chimiques et plus d’un site sur deux dans la métallurgie ne fonctionnent plus et la plupart des mines de charbon ont été endommagées, voire détruites. À Trudivske à la périphérie de Donetsk, nous nous rendons dans une mine située à moins d’un kilomètre de la ligne de front qui a été bombardée. Environ 200 mineurs sur les 1580 jadis employés sur place travaillent encore, mais leur tâche consiste à réparer les dégâts. Le directeur de la mine nous montre une roquette qui a touché le site. Il dit ne pas avoir eu d’autre choix que de stopper la production. “En tant que responsable, je n’ai pas osé renvoyer nos salariés dans la mine parce qu’une bombe ou un obus pourrait toucher notre équipement,” souligne Sergey Maltsev, “et les gens pourraient rester coincés dans la mine et on n’aurait pas la moindre chance de les récupérer.” La mine en tant que propriété de l‘État est passée de facto sous le contrôle de la République populaire de Donetsk dont les nouvelles autorités ont décidé que les stocks seraient distribués gratuitement aux foyers qui se chauffent au charbon.

Un coup de pouce qui ne compense pas des inquiétudes bien plus grandes parmi la population : dans un tout proche quartier résidentiel sous surveillance des miliciens, des habitants expriment leur ras-le-bol des combats même si certains estiment que la lutte est juste. “On est sur un territoire qui n’est ni la Russie, ni l’Ukraine, on est un pays à part qui va se développer et qui aura de bonnes relations avec à la fois, l’Ukraine et la Russie,” lance Gregory Kalugin, mineur, “on doit être une zone tampon, le type de territoire dont l’Ukraine rêvait.”
“Cela fait trois mois qu’on n’a pas d‘électricité, toutes les lignes sont endommagées à cause des tirs,” renchérit une femme à ses côtés. “On n’a pas d‘éclairage dans les rues, ni dans les maisons ; on a de l’eau par intermittence, mais la plupart du temps, on n’en a pas et on n’a pas de gaz non plus,” dit-elle. “On travaille, mais on ne sait pas si on sera payé ou non,” indique Gregory Kalugin.

Dans cette région de Donetsk, l’ aéroport est l’un des points chauds des hostilités : plusieurs dizaines de personnes ont péri ces dernières semaines dans l’intensification des violences autour du site.

À l’ouest de la mine de Trudivske, nous nous rendons dans une autre zone sensible à quelques kilomètres du secteur résidentiel de Mariinka contrôlé par les forces ukrainiennes. Des échanges de tirs et d’obus se produisent régulièrement entre rebelles et armée régulière. Mariinka est une ville ravagée par d’incessants combats, nous croisons des habitants exaspérés. “Une école a été détruite par là, une autre à côté n’a plus de fenêtres, il n’y a plus rien,” nous explique une habitante, Galina Malista, “les enfants ne vont pas à l‘école et rien ne fonctionne ici, (…) on survit comme un peu ; (…) personne ne se préoccupe de nous, ni la République populaire de Donetsk, ni l’Ukraine, ils s’en fichent de nous.”

Nous reprenons la principale route vers Donetsk qui longe la ligne de front. Nous traversons un point de contrôle des forces ukrainiennes. Les soldats sont nerveux : ils nous disent qu’ils ont intercepté deux voitures de séparatistes après une fusillade et que deux des leurs ont été tués la nuit précédente dans un bombardement pro-russe. “Je répondrai en tant qu’officier de l’armée ukrainienne, en tant que père, fils et mari et en tant que commandant des gars positionnés ici,” nous précise celui que l’on surnomme capitaine Sacha : “je trouve qu’un tel prix à payer pour résoudre les problèmes politiques et financiers de gens riches,” insiste-t-il, “ce n’est tout simplement pas juste.”

Depuis Donetsk, nous prenons la direction d’Ilovaïsk pour rejoindre notre destination finale : Marioupol. Un parcours qui nous fait passer alternativement dans les deux camps.

La bataille d’Ilovaïsk en août a marqué les esprits. Synonyme de victoire pour les rebelles pro-russes, l’offensive lancée par Kiev a tourné court et s’est soldée par la mort de 900 soldats ukrainiens, trois fois plus d’après leurs adversaires. Selon l’OTAN et Kiev, des soldats russes ont participé aux combats. Nous découvrons les traces de cette bataille dont des chars calcinés.

Nous poursuivons notre route vers Marioupol. Ce port situé sur la mer d’Azov – plaque tournante de l’industrie lourde – se situe dans la région de Donetsk, mais reste sous contrôle ukrainien. Dans la population, on a peur que le pire soit à venir.

Nous rencontrons deux amis aux positions nuancées. “Je soutiens l’Ukraine et mon copain est davantage pour la Russie, on voit les choses de manière différente,” indique Vladimir, “mais on est amis, on se parle et on se comprend.” “Je ne suis pas vraiment pour la Russie,” souligne Evgheny, “je suis contre les bains de sang (…) et je crois que si le projet de “Nouvelle Russie” se concrétise, il y aura des faillites, les gens n’auront plus d’argent, donc moi aussi, je suis contre.”

À 40 kilomètres de Marioupol, nous entrons dans la base du régiment Azov. Ce corps paramilitaire d’infanterie légère dépend du ministère ukrainien de l’Intérieur et regroupe 1500 hommes dont des étrangers. Pour la plupart, ses membres se revendiquent ultra-nationalistes ukrainiens et ne font guère confiance aux responsables politiques installés à Kiev. “L‘État ukrainien doit être indépendant et probablement non-démocratique, ou du moins, ce n’est pas la démocratie existante qui doit perdurer : elle est synonyme d’irresponsabilité et de totale injustice,” estime l’un d’entre eux, Stepan Bayda, “l‘État doit être moralement sain et avoir évidemment, une forte autorité.”

La plupart des habitants que nous avons croisés dans cette région troublée ont le sentiment que ni Kiev, ni la Russie ne comprennent leurs difficultés. En territoire sous contrôle ukrainien, une majorité de la population veut malgré tout continuer à faire partie de l’Ukraine.

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