Voile: Thomas Coville, la mer en mots

Le navigateur Thomas Coville, le 31 janvier 2017 à Paris
Le navigateur Thomas Coville, le 31 janvier 2017 à Paris Tous droits réservés JOEL SAGET
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Il n'a pas l'air malheureux à terre, mais avoue qu'il ne se retrouve complètement lui-même que sur l'eau, loin de la compagnie des hommes. Le navigateur Thomas Coville confie à l'AFP que le plus compliqué, c'est de passer d'un état à l'autre.

C'est un homme courtois, disert, affable, ancré dans sa société. Mais il n'aime rien tant que ce "monde des navigants" dans lequel il n'est "plus du tout terrien" et qu'il rejoindra dès que possible sur son nouveau bateau, Sodebo Ultim 3, mis à l'eau ce lundi.

Coville décrit des sensations venues du fond de son être qui lui ont permis, avec son équipe, d'accoucher (l'image est de lui) d'un engin hors-norme. Un trimaran de 32 mètres de long et 23 de large, dans lequel il a mis tellement de lui que l'on peine à dissocier le bateau de l'homme.

- Naviguer -

Coville a tenté deux fois le record du monde sur multicoque en solitaire. En 2014, il a renoncé. En 2016, il est passé sous la barre des 50 jours. Des circumnavigations au cours desquelles il rentre "dans un état que j'ai appelé bestial pendant quelques années, avant de comprendre dans quel état de mon humanité je rentrais".

"Je suis tout dans l’écoute. Le moindre cliquetis dans le bateau me dit quelque chose. C’est une polyphonie complète qui met tous mes sens en éveil. Quelque chose qui n’est pas harmonieux tout de suite me met en alerte".

Rien, ou pas grand-chose qui résonne pour le commun des mortels. Il faut pourtant bien passer d'un monde à l'autre: c'est long. "Le vent, la température, les icebergs, l’ambiance, la couleur, les vagues, la lumière y contribuent". Et puis il y a le retour à terre où il faut au contraire lâcher "une double peau, un ciré, des bottes".

"Ce n'est pas schizophrène, ce n’est pas quelqu’un d’autre que je me suis inventé". Juste l'autre Coville. "J’ai toujours dit qu’au fond de moi, c’était une forme de lâcheté. Je n’ai pas toujours trouvé les codes pour (...) me sentir bien dans la cité (...) alors que sur l’eau les choses redeviennent simples".

- Assumer -

Comme tant d'autres, Coville ne pense qu'à gagner. "On a tous en nous une singularité dans laquelle on excelle (...). Gagner, c’est assumer cette singularité d’être unique". Mais il faut être unique plusieurs fois. "L’angoisse de l’athlète, c’est de ne pas être capable de reproduire. Si tu ne gagnes qu’une fois, c’est du hasard".

Il sait combien sa vie est exigeante pour son entourage. "C'est compliqué à accepter pour soi, encore plus pour les autres". On a donc demandé à son épouse, Cathy. "Le temps de course proprement dit, ça passe vite", admet-elle. "Après, à terre, il y a pour lui une difficulté à s’extraire de ce qu’il a vécu (...). On le laisse reprendre place dans son monde de terrien, parmi nous, sans le forcer à raconter".

Qu'est-ce qui le pousse à aller là-bas ? "On me parle toujours de solitude. A Paris, là, dans le métro, il y a des gens qui souffrent de solitude au milieu de plein de gens (...). La solitude c’est quelque chose que tu n’as pas choisi".

Le seul isolement qu'il concède est dans l'impossibilité de raconter une fois revenu à terre. Reste l'addiction: "quand tu as découvert (...) cette capacité d’aller aussi loin dans ton introspection, tu ne peux plus y résister".

- Concevoir -

De retour sur le plancher des vaches, le navigateur en appelle aux sensations de la haute mer pour inventer un nouveau bateau. Une quasi-transe.

"Quand je reviens d’un tour du monde, cette vague indescriptible, indicible, (…) a généré chez moi quelque chose de quasiment kinesthésique. J’ai relié un mouvement qui vient du fond du Pacifique, de l’Océan indien ou de l’Antarctique et qui vient résonner dans mes membres (...). Cette émotion, je vais être capable, ou pas, de la retranscrire en vocabulaire ou en matrices mathématiques pour (...) que ça devienne une forme, un moule". Un bateau.

Plus tard, en navigation, vient l'espoir que la vague kinesthésique réapparaisse. "Et à ce moment-là, c’est une émotion absolument dingue".

- Vivre le danger -

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Coville n'a pas peur. Comment supporter sinon les vents de 80 noeuds, les creux de 10 mètres, le bruit assourdissant, ou le fait d'être trop loin parfois pour espérer être secouru ? Le danger, "quand on va très vite, est latent (...). L’énergie qui est dans le bateau (...), les tonnes qu’il y a dans les doigts, si ça se rate, t’es découpé en deux", concède-t-il. "Je n’ai encore jamais chaviré (...). Je ne suis pas passé loin plusieurs fois".

En 2014, en pleine Route du Rhum, un cargo découpe son bateau en deux.

"La première sensation ? Je suis quasiment dans le déni sur le fait que la compétition s’arrête. C'est +j’ai touché mais ça va continuer+. Au bout de 2, 3 secondes, (...) le cargo s’en va et (...) il faut sécuriser le bateau. T’es déjà quasiment dans une projection de reconstruction. Et après, tu sombres dans un sentiment de culpabilité (...) d’avoir potentiellement fait une erreur et d’avoir anéanti le travail de trois ans de toute une équipe".

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