À la rencontre de l'extrême droite allemande, à Chemnitz

À la rencontre de l'extrême droite allemande, à Chemnitz
Par Ayman Oghanna
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INSIDERS | Sur les traces de l'extrême droite allemande dans la ville de Chemnitz, autrefois nommée Karl Marx Stadt.

Dans ce nouvel épisode d'Insiders, Ayman Oghanna part sur les traces de l'extrême droite allemande à Chemnitz, dans l'Etat de Saxe. Autrefois ville socialiste modèle nommée Karl Marx Stadt, Chemnitz a évolué en quelques années pour devenir le centre névralgique du nationalisme allemand. REPORTAGE.

Entre 1990 et 1991, les citoyens de Chemnitz manifestaient devant la statue de Karl Marx pour mettre fin au régime communiste de la République Démocratique d'Allemagne. Trente ans plus tard, la ville a été secouée par des mouvements d'un genre différent. Tout a commencé en août 2018 avec le décès d'un allemand poignardé à mort. Les tueurs présumés sont deux réfugiés d'Irak et de Syrie. Cette tragédie a été à l'origine d'une semaine de protestations anti-immigrés : des néo-nazis, des groupes d'extrême droite et des milliers de citoyens ordinaires ont marché ensemble contre l’immigration. S'en sont suivies des émeutes et des chasses "aux étrangers" dans la ville. Dans ce contexte, le parti AfD entré au parlement en 2017 a tiré son épingle du jeu.

AfD, le parti en progression

L'AfD existe depuis six ans et a déjà connu un succès retentissant en devenant le troisième plus grand parti au Bundestag. La progression fulgurante du parti est "évidemment" due à la crise migratoire de 2015 d'après Maximilian Krah, candidat AfD pour les européennes. Et il ne s'en cache pas :

"L'Allemagne était un endroit plutôt paisible, loin des problèmes du monde, puis Merkel a décidé d'ouvrir le pays et de laisser entrer près d’un million de personnes, principalement des musulmans, principalement des immigrants masculins en un an" se plaint Maximilian Krah, candidat AfD pour les européennes. "Cela a changé le pays. Et nous sommes la seule force politique qui s'oppose à l’immigration de masse, et nous savons, d'après les sondages que près de 50 % de la population est contre l'immigration de masse, donc c'était évidemment un boom pour nous" indique-t-il.

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La rhétorique anti-immigration est donc une arme que l'AfD ne se prive pas d'utiliser. Le leader du parti, Alexander Gauland, originaire de Chemnitz, évoquait les violences de Chemnitz au Bundestag l'année dernière : "Quand en plus de cela, tant de ces réfugiés enfreignent la loi, il n'est plus question d'être patient." Une déclaration immédiatement dénoncée par Martin Schultz, ancien chef du parti du centre gauche (SPD). "C'est le genre de langage que nous avons entendu au Parlement il y a très longtemps. Il est temps que les démocrates de ce pays se lèvent à nouveau. C'est de la rhétorique, seulement de la rhétorique".

Il suffit de se rendre à un rassemblement de l'AfD pour se rendre compte du fait que le programme anti-immigration du parti trouve un écho profond auprès des électeurs allemands opposés à la politique d'accueil de la Chancelière Angela Merkel à l'égard des réfugiés. "C'est exactement ce genre d'ordures qui ont été expulsées de leur pays qui arrivent ici. Et ces parasites se régalent à nos frais" lance un militant lors du rassemblement.

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Chemnitz, ville divisée

Face aux partisans de l'AfD, une manifestation de militants verts, libéraux et de gauche tente de contrer la démonstration de force de l'AfD. Vêtu de vert, un militant minimise le poids politique de l'AfD : "Je pense qu'ils ont toujours été présents. Mais maintenant, ils sont plus confiants et, oui, ils affirment qu'ils contrôlent la ville et ce n'est tout simplement pas vrai".

Un autre événement politique avait lieu ce jour-là. "Pro Chemnitz", le mouvement de citoyens de droite qui avait lancé les manifestations anti-immigrés d’août 2018 organisait un barbecue pour célébrer l'ouverture de ses nouveaux bureaux. Tout comme lors du rassemblement de l'AfD, leur manifestation a suscité une vive protestation à l'extérieur, la police a dû séparer les deux groupes. 

On pouvait y entendre ce slogans, "qui ne saute pas est un nazi !", pour protester contre l'extrême droite. "Ce sont nos meilleurs amis, les extrémistes de gauche. Et ils nous ont bien accueillis ce matin quand ils ont répandu de l'acide devant l’entrée" raconte un militant d'extrême droite, ironique.

Il poursuit son raisonnement, en évoquant les différences de mentalités entre l'Allemagne de l'Ouest et celle de l'Est. "En Occident, les américains et les anglais disaient ou enseignaient que la pensée allemande, le style de vie et de pensée allemand, avaient conduit aux crimes du national-socialisme. Ici, nous avions les Russes et ils nous ont dit que le capitalisme était une mauvaise chose qui mène au fascisme. Nous n'avons donc pas été éduqués avec l'idée qu'être Allemand est un gros problème" indique-t-il.

Historiquement, l'Allemagne de l'Est était une société beaucoup plus homogène que l'Ouest. Ce jour-là d’ailleurs, au milieu des saucisses, de la bière et des chansons folkloriques aucun étranger n'était présent au barbecue.

Le rejet de l'islam

Pour mieux comprendre la vie des immigrants à Chemnitz, nous avons rencontré Hassan al Nasser, un réfugié irakien de 13 ans qui est venu ici avec sa famille il y a cinq ans. Hassan veut devenir architecte mais il souhaite déménager à Berlin car il en a assez du racisme à Chemnitz.

"J'ai vécu un incident dans le tramway. Un homme âgé filmait une femme musulmane. Je lui ai dit d'arrêter, puis il a commencé à me filmer ainsi que d'autres personnes d'origines culturelles différentes. La situation s'est aggravée et il nous a crié qu'Hitler devrait nous mettre dans la chambre à gaz, comme à l'époque."

Hassan n'est pas le seul à être victime de préjugés à Chemnitz. Layla Ahmad, réfugiée Libyenne, nous raconte qu’elle est confrontée à un incident raciste presque chaque semaine.

"J'ai perdu cinq ans. La principale raison pour laquelle je suis venue ici était la sécurité, et en tant que femme avec un enfant, mais je ne me sens pas en sécurité du tout. Nous sommes confrontés à la même situation qu'en Libye. Et plus encore. J'ai quitté la Libye parce que j'avais des problèmes psychologiques et j'avais peur pour mon fils. J'ai trouvé la même chose en Allemagne. Ce que je pense de la Libye, c'est qu'au moins, c'est mon pays. Peu importe la situation, il y avait un certain respect pour les gens en tant qu'êtres humains. Ici, vous êtes un étranger. Tu es parti et tu as tout sacrifié, tu as fait un voyage dangereux, tout sacrifié pour ton fils. Même lorsque que j'exerce le droit le plus fondamental pour moi, marcher dans la rue avec mon hijab, j'ai peur que quelqu'un me frappe. Je dis même à mon fils de ne pas parler aux gens" raconte-t-elle, le cœur lourd.

Depuis 2015, l'Allemagne a enregistré plus de 1,2 million de demandeurs d'asile. Cependant Chemnitz ne compte que 8% de sa population née à l'étranger. Pourtant, les taux de crimes haineux contre les immigrants sont plus élevés ici que dans le reste du pays. "Dans toute la Saxe, il y a eu 317 attaques, dont près de 80 à Chemnitz" explique André Löscher, travailleur social d'une ONG d'aide aux victimes de violences racistes."C'est une augmentation d'environ 40% par rapport à l'année précédente dans toute la Saxe et à Chemnitz c'est environ 400%".

Nous allons à la rencontre de deux candidats de l'AfD en campagne pour les prochaines élections municipales. Encore une fois, le message central semble être celui de l'immigration et de l'intégration. "L'islam, à mon avis, ne peut pas être intégré, nous le voyons jour après jour parce que les immigrants arabes en Allemagne et ailleurs en Europe, traînent dans les rues et attaquent les Allemands tous les jours avec des couteaux ou les frappent" déclare Falk Heiligenschmidt candidat. "Il y a tellement d'événements de ce genre que nous devons dire que l'islam ne convient ni à l'Allemagne ni à l'Europe" précise-t-il. Mais le discours devient plus hasardeux lorsque j'évoque mes origines arabes, et que je leur demande si je suis bien intégré dans la société européenne. "Je n'aurais pas pensé ça. Bien joué ! Je dirais que vous êtes bien intégré dans votre pays. Je suppose que vous êtes ici depuis de nombreuses années. Que puis-je dire d'autre ? "

Dans les rues de Chemnitz, les avis sont partagés. "Je voterai pour l'AfD parce qu'il n'y a pas d'autre alternative pour moi" nous confie une femme qui estime que les anciens partis les ont abandonnés. Un homme croisé au marché pense le contraire : "l'AfD est le pire des partis ici, ils n'ont pas de cœur." Une autre femme indique que  "tous ceux qui viennent en Allemagne devraient s'adapter à la culture allemande."

Des attaques anti-migrants

A Chemnitz, la colère qui couve au sujet de la migration se transforme en véritable violence. Masoud Hashemi, un réfugié politique iranien qui tient un restaurant perse a subi l'assaut de trois hommes dans son établissement en octobre dernier. "Un homme a fait ce salut et a dit Heil Hitler" raconte-t-il. "Il l'a dit très fort et immédiatement il a commencé à casser des choses. Il m'a jeté un samovar à la figure et Je me suis réfugiée dans la cuisine. Puis il a détruit la cuisine avant de me frapper. Il m'a donné un coup de pied à l'estomac et je suis tombé par terre. J'ai été blessé à la tête, et j’ai beaucoup saigné."

Masoud a passé plus d'une semaine à l'hôpital pour récupérer. Il ne comprend toujours pas pourquoi il a été attaqué."J'ai du travail. Je paie mes assurances. Je paie mon loyer, et ainsi de suite. Je travaille... Pourquoi viennent-ils me frapper ? Ils viennent parce que je suis perse, qu'est-ce que j'ai fait ? "

La communauté LGBT a également fait l'objet de violence. L'an dernier, aux abords de Chemnitz, un homme de 27 ans a été torturé à mort car il était homosexuel. L'antisémitisme a également bondi, signe inquiétant que les jours les plus sombres de l’Allemagne semblent être à nouveau d’actualité.

Uwe Dziuballa est propriétaire d'un restaurant casher qui a ouvert ses portes en 2000 à Chemnitz. Sa famille a survécu à l'Holocauste. Il affirme que l'endroit a été la cible d'attaques antisémites, mais estime que la situation ne peut pas être comparée à celle des années 1930. "L'économie était beaucoup plus fragile. Le terreau de la pensée nationaliste était à mon avis beaucoup plus fertile. Aujourd'hui, par rapport à 1933, nous avons l'opportunité de la mondialisation et, de ce fait, il existe une masse critique positive capable de montrer sa force démocratique".

Son restaurant a été attaqué en août dernier. Une dizaine de personnes ont lancé des pierres, des bouteilles et un tuyau en métal sur le bâtiment. Uwe a été touché à l'épaule par une grosse pierre. "Sans être trop dramatique, si cette pierre m'avait frappé la tête avec toute sa force, l’issue aurait pu être différente. L'une des petites différences par rapport à 1933 est que j'ai appelé la police, et la police est venue, et ils ont fait, à mon avis, un travail très professionnel. En 1933, les Juifs n'auraient probablement pas pu appeler la police".

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Chemnitz a aujourd’hui la réputation d'être une ville d'extrême droite. Mais malgré l'augmentation des crimes haineux et le succès de l'AfD, la situation est loin de celle des années 1930. Une réelle résistance existe contre l'extrême droite. La question est de savoir si cela suffira à empêcher le centre de basculer à droite, dans ce pays considéré comme le défenseur d'une Europe libérale et tolérante.

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