La première centrale nucléaire flottante prendra bientôt la mer en Russie

L'Akademik Lomonosov photographié le 28 avril 2018
L'Akademik Lomonosov photographié le 28 avril 2018 Tous droits réservés REUTERS/Anton Vaganov
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Par Nathan Joubioux
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Dix ans après le début de sa construction, la première centrale nucléaire flottante est prête à prendre la mer en Russie. Akademik Lomonosov, un projet qui inquiète autant qu'il intrigue

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La Russie s'est lancée dans un projet controversé. Il y a dix ans, débutait la construction de ce qui deviendra dans quelques semaines la première centrale nucléaire flottante au monde : l'Akademik Lomonosov, du nom de l'académicien Mikhaïl Lomonosov. Le projet du géant Russe Rosatom, société publique russe liée au secteur de l'énergie nucléaire, prendra la mer dans quelques semaines. Pour le moment, le navire a jeté l'ancre à Mourmansk, à seulement 200 kilomètres de la frontière norvégienne au nord-ouest de la Russie. Il devrait prendre la mer cet été, pour rejoindre Pevek, à 5 000 kilomètres de là.

Un projet monstrueux

140 mètres de long, 30 de large, un équipage de 69 marins, une vitesse moyenne de 4 nœuds (7,5 km/h environ) dans des conditions favorables, la centrale nucléaire flottante russe a fraîchement été peinte aux couleurs russes.

Après avoir pris plusieurs années de retard dans sa construction dans le port de Saint-Pétersbourg, elle a été déplacée à Mourmansk pour y être chargée de deux réacteurs nucléairesKLT-40S de 35 mégawatts chacun. Selon certains responsables russes, ce projet aurait coûté environ 420 millions d'euros (30 milliards de roubles). Une fois en activité, l'Akademik Lomonosov deviendra la centrale nucléaire la plus septentrionale au monde.

Pourtant Greenpeace s'interroge sur le but de cette opération. En effet, l'Akademik Lomonosov s'arrêtera au large de Pevek, dans le grand nord sibérien, au nord-est du pays ; une ville reculée, d'environ 5 000 habitants. Cependant, une fois en marche, la centrale sera en capacité de produire le courant nécessaire pour environ 100 000 habitants. Les autorités russes auraient choisi cette ville pour deux raisons. La première serait d'alimenter les populations locales ainsi que les entreprises et remplacer deux centrales en fin de vie : une thermique et une nucléaire en fonction depuis, respectivement, 1961 et 1974. Les Russes miseraient, deuxièmement sur le réchauffement climatique et la fonte des glaces dans cette partie du globe en vue de la possible dynamisation du secteur du pétrole et de l'exploitation minière des sous-sols (cuivre et or).

Les habitants de Saint-Pétersbourg sont, eux, soulagés. Si l'Akademik Lomonosov n'avait jamais vu le jour, une nouvelle centrale nucléaire aurait été construite dans leur ville.

Un projet à haut risque

Les premiers risques que pourraient rencontrer le navire interviendraient durant le trajet. Car la route empruntée est considérée comme extrêmement dangereuse. La centrale flottante sera alors remorquée pour éviter qu'elle ne se serve de ses huit moteurs diesel. Mais ce système pourrait poser problème si la centrale se retrouve bloquée ; elle ne pourrait pas se dégager seule. Avec la fonte des glaces, ces risques d'enfermement dans les eaux glacées existent bel et bien et les navires ont pour habitude de devoir se faufiler entre les blocs de glace. De plus, et toujours en conséquence du réchauffement climatique, la hauteur et la force des vagues ne cessent de croître depuis des années.

Mais les ingénieurs de Rosatum assurent que le navire est "insubmersible" et que "le confinement à double niveau des réacteurs est parfaitement étanche". Dans un communiqué publié le 28 avril 2018 sur leur site internet, ils affirment que l'Akademik Lomonosov est conçu avec une grande marge de sécurité répondant à toutes les menaces possibles. De plus, ses réacteurs seraient invincibles aux tsunamis et autres catastrophes naturelles, selon ses concepteurs.

Dans ce même communiqué, Rosatum indique également que "tous les processus nucléaires à bord sont conformes aux normes de sécurité de l’Agence Internationale de l’Énergie Atomique et ne présentent aucune menace pour l’environnement".

La question des déchets se pose également. La centrale devra se faire ravitailler tous les deux ou trois ans en moyenne. Pendant ce laps de temps, les déchets nucléaires seront stockés à bord du bateau, parfois pendant de longues périodes. De quoi exposer l'équipage aux radiations.

Les calculs réalisés par Greenpeace montrent que les équipements ne permettront pas de protéger correctement les marins.

Pourtant, aucun expert indépendant n'est intervenu. Jan Havercamp, conseiller-expert en énergie nucléaire et politique énergétique à Greenpeace s'interroge sur la capacité de Rosatum à diriger ce projet : "Ils disent qu'il est sûr, mais les Russes ont dit ça de Maïak, ils ont dit ça de Tchernobyl, et on a vu que ça s'est mal passé. Mais s'ils sont aussi sûrs d'eux, pourquoi ils ne nous ont pas donné un accès au projet ? Si vous n'avez rien cacher, vous ne fonctionnez pas comme ça. De toute manière,si quelque chose se passe mal, ils ne donneront aucune information". Il insiste également sur le manque de régulateurs indépendants "pour pouvoir regarder à n'importe quels endroits, regarder tous les documents, poser les questions qu'ils souhaitent".

Un projet contesté

Greenpeace n'a visiblement pas été convaincu par les explications de la firme russe. L'ONG de protection de l'environnement s'inquiète et qualifie ce projet de "projet à haut risque". Parce qu'il embarquera tout au long de son périple de l'uranium enrichi. Greenpeace a donc réquisitionné un bateau qui escortera l'Akademik Lomonosov pendant une partie de son trajet. "Avec son fond plat et son absence de système de propulsion, c’est comme si on jetait une centrale nucléaire sur une palette en bois pour dériver dans les eaux les plus difficiles du monde", nous a expliqué Jan Havercamp.

Le navire n'est pas encore parti que des experts norvégiens ont observé à Svanhovd et Viksjøfjell, deux villes norvégiennes à la frontière russe, la présence de cobalt-60, à l'endroit où le bateau était amarré avant de partir pour Mourmansk. Le colbalt-60 est un isotope radioactif de faible durée de vie produit notamment par les réacteurs nucléaires. Les taux de concentration enregistrés sont faibles (0,5 microbecquerel par mètre cube d'air) et ne présentent pas de risques pour la santé humaine. Pour l'instant.

Maquette de l'Akademik Lomonosov en 2008

La Finlande, la Suède, le Danemark et la Norvège ont d'ores et déjà exprimé leur inquiétude quant à ce projet et ont demandé à être tenus informés régulièrement. Greenpeace avait même comme volonté de soumettre le projet au Conseil de l'Arctique. A défaut, ils demandent aux pays membres de garder un œil attentif.

"Tchernobyl sur glace"

Pour Greenpeace, ce projet a tout le potentiel pour ressembler à la catastrophe qui a secoué l'Europe en avril 1986. D'où le surnom qu'ils n'ont pas tardé à reprendre de la chaîne de télévision finlandaise YVE : "Chernobyl on Ice" ou "Tchernobyl sur glace".

Les possibles conséquences d'un tel projet sont connues : rejet de substances radioactives dans l'environnement, voire explosion comme à Tchernobyl ou Fukushima. En effet, en cas d'effondrement accidentel, le noyau nucléaire des réacteurs serait refroidi par l'eau froide de l'océan, mais si les barres de combustibles entrent en contact avec l'eau de mer, cela pourrait engendrer une explosion. D'autres explosions potentielles d'hydrogène provoquant la propagation d'une grande quantité d'isotopes radioactifs dans l'atmosphère pourraient également éclater.

Selon Vladimir Iriminku, ingénieur en chef de la protection de l'environnement du projet Akademik Lomonosov, "il n'est absolument pas justifié de comparer ces deux projets. Ce sont des affirmations sans fondement, mais le fonctionnement des réacteurs est différent. Bien sûr, ce qu'il s'est passé à Tchernobyl ne peut plus se reproduire. Et comme il sera stationné dans les eaux arctiques, il se refroidira constamment et l'eau froide ne manque pas".

Un projet longue durée

Les ingénieurs de Rosatum ont déjà pris du retard. "Ils sont en train de finir les tests en ce moment" explique Jan Havercamp. "Mais ils doivent partir au plus tard durant la deuxième semaine d'août s'ils veulent arriver à Pevek avant les tempêtes" continue l'expert. Il espère juste que les ingénieurs prendront le temps d'effectuer les tests correctement et "s'ils dépassent les délais, j'espère qu'ils ne prendront aucun risque" termine-t-il.

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Dans un premier temps, l'Akademik Lomonosov restera à Pevek pendant douze ans, avant d'être ramené à Mourmansk pour charger du carburant et procéder à des opérations de maintenance. Il sera ensuite emmené au centre nucléaire de Maïak pour être reconditionner avant de reprendre la mer pour Pevek. L'objectif est de réaliser cette boucle trois fois.

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