​Ángel Gurría (OCDE) : "Cette génération doit dépenser ce qu'il faut pour vaincre le virus"

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Par Oleksandra Vakulina
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Ángel Gurría, Secrétaire général de l'OCDE, s'attend à une reprise poussive suite à la crise du coronavirus. Il estime que les États ne doivent pas craindre de s'endetter pour vaincre le virus.

Le monde est à présent confronté à la pire crise économique de ces dernières décennies du fait de la pandémie de COVID-19. À l'heure où de nombreux pays lèvent leurs mesures de confinement, la reprise économique n'est peut-être pas pour tout de suite. L'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) estime que cette crise mondiale aura des conséquences désastreuses à travers le monde. Pour les évoquer, nous avons interrogé le Secrétaire général de l'OCDE Ángel Gurría depuis Paris.

Sasha Vakulina, euronews :

"La plupart des prévisions annoncent un début de reprise pour le deuxième semestre de cette année. Mais d'après les perspectives de l'OCDE, elle pourrait intervenir plus tard encore. Quels sont les effets durables de la pandémie sur l'économie ?"

Ángel Gurría, Secrétaire général de l'OCDE :

"Tout d'abord, nous prévoyons une récession de 6% de l'économie mondiale en 2020 s'il n'y a pas de deuxième vague pandémique. S'il y en a une, nous estimons que nous pourrions aller jusqu'à une contraction de 7,5%, peut-être plus. Et la raison à cela, entre autres, c'est qu'il y a le problème de la confiance qui doit être rétablie, l'investissement qui doit reprendre et des tensions commerciales qui doivent disparaître, mais se pose aussi la question de la dette que nous allons avoir au final. Et c'est l'affaire des gouvernements, des entreprises et des ménages. Et l'économie aura du mal à redécoller. Donc nous nous attendons davantage à une reprise en U, plus poussive qu'une reprise en V."

Sasha Vakulina :

"Concernant cette question de la dette, on craint de plus en plus que ce soit la prochaine génération qui paiera pour cette dette."

Ángel Gurría :

"C'est toujours la génération suivante qui paie pour la dette. Rien n'a changé de ce point de vue. Le seul enjeu, c'est que cette génération doit dépenser ce qu'il faut pour vaincre le virus. Mettez tout ce que vous avez dans la bataille et emportez-le face au virus ! La dette est une conséquence de la victoire contre le virus. Certes, cela aura des conséquences plus tard. C'est pour cette raison que nous devons être prudents concernant la reprise. Elle prendra plus de temps et elle aura besoin de davantage de poussée tout simplement parce que des charges lourdes freinent son envol."

"La dette n'est jamais en soi, une mauvaise chose ou une erreur"

Sasha Vakulina :

"Pensez-vous qu'il devrait y avoir cette évolution dans la manière dont on perçoit la dette ? Ne plus la considérer comme quelque chose de mauvais comme on l'a vu après la crise financière par exemple ?"

Ángel Gurría :

"La dette est un outil. Elle n'est jamais en soi, une mauvaise chose ou une erreur. Vous pouvez utiliser la dette de manière avisée et judicieuse pour faire progresser votre croissance, votre développement. Vous pouvez mener des programmes qui prévoient de manière optimale que les projets que vous financez avec la dette se remboursent d'eux-mêmes ou génèrent quelque chose de positif pour la société en général, pour votre pays. Cela vaudra la peine de recourir aux finances publiques pour cela. Aujourd'hui, ce n'est pas le moment d'observer les règles en matière de dette. À l'heure actuelle, nous devons donner tout ce que nous avons. Nous devons d'abord vaincre le virus et ensuite, nous devrons en gérer les conséquences."

"La pandémie ne doit pas interrompre le processus d'intégration"

Sasha Vakulina :

"Dans quelle mesure la pandémie a-t-elle accéléré le basculement d'une "grande intégration" vers une "grande fragmentation" de l'économie mondiale ?"

Ángel Gurría :

"Je crois que la simple expression de "grande fragmentation" est une exagération - tout comme la "grande intégration" d'ailleurs - puisque nous n'avons jamais atteint le niveau d'intégration que nous aurions souhaité -. Et nous ne devrions pas laisser la pandémie interrompre le processus d'intégration. 

L'Union européenne sera progressivement plus intégrée. L'avenir de l'Union européenne, c'est l'intégration. Une Union européenne intégrée sera en meilleure posture, elle aura un plus haut niveau de prospérité. Les systèmes de santé, vous le savez, n'entrent pas dans la compétence de la Commission européenne, ils sont de la compétence de chaque État. Donc ce sont différentes politiques qui sont menées, différentes manières de gérer les choses, d'analyser les chiffres et d'agir en conséquence. Mais finalement, il y a eu cette approche relativement uniforme - et je dirais - généralisée : à savoir, qu'en l'absence de traitement, de vaccin, on a choisi ce qu'il y avait de mieux en deuxième option : la mise en place du confinement, puis la distanciation physique et de manière très prudente et très progressive, le contrôle de l'évolution de la situation."

"Faire des reproches à la mondialisation ne vous mènera nulle part"

Sasha Vakulina :

"Pensez-vous que l'amplification de la mondialisation puisse être menacée ? Puisque nous avons constaté pendant la pandémie de COVID-19, une rupture massive des chaînes d'approvisionnement par exemple."

Ángel Gurría :

"Ne rendez pas la mondialisation responsable des politiques nationales défaillantes ou du manque de coopération internationale. La mondialisation repose par définition sur les fondations très solides de la coopération internationale. Quand la coopération internationale n'est pas là, qu'il y a des tensions commerciales et dans certains cas, littéralement, des tensions militaires, ainsi que des problèmes de flux, des tensions sociales et une montée du mécontentement dans de nombreux pays, etc., alors évidemment, vous n'avez pas cette "colle" - pourrait-on dire - qui fait tenir l'ensemble de la structure. Faire des reproches à la mondialisation, cela peut être à la mode ou tendance, mais cela ne vous mènera nulle part parce que cela ne vous apportera aucune solution."

"La nouvelle normalité, c'est l'action pour le climat"

Sasha Vakulina :

"On parle beaucoup de cette nouvelle normalité pour les citoyens : la distanciation physique, les tests, le dépistage, le traçage et la quarantaine. Quelle est la nouvelle normalité pour l'économie mondiale ?"

Ángel Gurría :

"La nouvelle normalité, espérons-le, intégrera le fait que c'est l'occasion pour nous d'avoir par exemple en tête cette responsabilité intergénérationnelle qui est la plus importante : c'est-à-dire que nous n'avons qu'une seule planète et que nous devons agir pour le climat.

Par conséquent, je dis "bravo" à ces pays qui annoncent aujourd'hui que dans cette phase de relance, ils soutiendront les solutions vertes dans les secteurs automobile ou aéronautique ou dans l'industrie du transport maritime, etc. De cette manière, on associe le soutien aux secteurs les plus touchés - les plus vulnérables - à des politiques qui mènent vers un meilleur avenir."

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