Comment mieux préserver le cabillaud en Europe et l'avenir de ceux qui le pêchent ?

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Par Denis Loctier
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Depuis des mois, les bateaux de pêche de la Baltique orientale restent à quai du fait de l'interdiction de la pêche au cabillaud. La mesure vise à sauver cette espèce menacée, mais aussi à garantir l'avenir des pêcheurs à long terme.

Depuis des mois, les pêcheurs des villes du bord de la Baltique orientale comme Kołobrzeg en Pologne restent à quai. L'Union européenne a interdit la pêche au cabillaud dans la région pour restaurer ses stocks qui s'effondrent et garantir un avenir à long terme aux professionnels du secteur.

Après sept ans à pêcher en Norvège, Tomasz Wójtowicz venait de revenir dans son pays pour y créer son entreprise de pêche. "Mon chalutier, l'équipement, l'infrastructure, l'ensemble du budget qu'on avait, tout ça, c'était destiné à la pêche au cabillaud," explique le skipper et copropriétaire du KOŁ-111.

"Aujourd'hui, tout a changé," poursuit-il, "on ne peut plus le pêcher du tout et on ne sait pas quand on pourra reprendre ou ce qu'on pourra faire à la place."

Interdiction de toutes les prises

Même les prises accidentelles de cabillaud étaient interdites jusqu'en septembre : ce qui a empêché les navires qui pêchent d'autres espèces locales comme le poisson plat, le hareng et le sprat de sortir en mer.

Les pêcheurs disent ne pas avoir eu le temps de se préparer et avoir appris ces restrictions deux jours avant leur entrée en vigueur début juin.

"Pour nous, c'est comme un coup de poignard dans le dos : on a raté la meilleure période de l'année pour le hareng. Les plus gros mois de pêche, c'est mai, juin et juillet et on a dû rester à quai pendant le gros de cette période à cause des mesures de protection du cabillaud," estime Marcin Mojsiewicz, président de l'organisation des producteurs de poissons de la Baltique.

"On va pouvoir reprendre la pêche au hareng pour le restant de l'année, mais à cause du volume de prises plus faible, ça ne sera pas intéressant économiquement," ajoute-t-il. 

Impacts économiques

Le cabillaud est le poisson blanc le plus prisé en Europe et l'espèce locale la plus rémunératrice. Une usine de Kołobrzeg, construite avec le soutien de l'Union européenne, en transformait 1500 tonnes par an. Aujourd'hui, elle doit importer du cabillaud de Norvège pour tourner a minima.

Combinée à l'impact de la pandémie de coronavirus sur les marchés, cette situation a abouti au licenciement de près de la moitié du personnel, de 32 employés sur 75.

"Ce qui nous fait le plus peur, c'est que quand les choses seront revenues à la normale, on n'aura plus de main-d'œuvre disponible pour transformer le cabillaud de la Baltique," indique Bartłomiej Gościniak, président de l'association des pêcheurs de Kołobrzeg. "Avec la rupture des chaînes de distribution, on ne sera plus capable de vendre nos produits," affirme-t-il.

"Les petits chantiers qui assurent le service pour toute la flotte de pêche vont fermer et on aura des problèmes pour réparer les filets puisque tous les fabricants de filets seront partis. Donc même ici, sur notre marché local," poursuit-il, "au lieu d'avoir du cabillaud de la Baltique, on n'aura que du cabillaud de l'Atlantique."

Non loin de là, nous nous rendons sur un petit chantier naval qui habituellement, construisait un bateau de pêche chaque année. Aujourd'hui, son hangar est vide. Suite à l'annonce de l'interdiction de pêche, plusieurs clients ont annulé leurs commandes. Les propriétaires du chantier estiment qu'ils font partie du secteur de la pêche, mais sans aide pour compenser leurs pertes, ils se sentent abandonnés par le gouvernement.

"Je suis dégoûté par toute cette situation parce qu'on est un chantier exclusivement dédié à la pêche : 100% de notre activité, ce sont des services aux pêcheurs, mais on n'a droit à aucune forme d'aide et comme on n'est pas nombreux, on n'arrive pas à se faire entendre," déplore Marek Cieślak, copropriétaire des chantiers Parsęta.

Les touristes dont beaucoup viennent de l'Allemagne voisine continuent d'affluer sur les plages de sable blanc de Kołobrzeg. Mais même le tourisme côtier est affecté par l'interdiction puisque la pêche récréative de cabillaud de la Baltique orientale est elle aussi proscrite.

D'autres menaces que la pêche

Les restrictions s'appuient sur des avis scientifiques délivrés par le Conseil international pour l'Exploration de la Mer, un réseau de près de 6000 scientifiques de plus de 700 instituts dédiés à la mer dans vingt pays.

D'après leurs données, les captures de cabillaud de la Baltique orientale ont fortement baissé depuis les années 80 et pendant longtemps, elles sont restées dans les limites préconisées scientifiquement.

Donc s'il n'y a pas de surpêche, comment les spécialistes expliquent-ils le piteux état des populations de cabillaud dans la Baltique et dans plusieurs autres mers européennes ? Des études montrent le besoin urgent de reconstituer les stocks de cette espèce avant que son extinction n'impacte encore plus la santé de la mer et les pêcheurs.

Mais ce qui aujourd'hui, tue ce poisson semble principalement provenir de l'environnement. Dans le cadre d'une étude, des dizaines de milliers de cabillauds ont été étiquetés avant d'être remis à la mer. Les pêcheurs avaient pour consigne d'envoyer aux scientifiques ceux qu'ils capturaient. Au final, ces derniers en ont reçu très peu. Un nombre surprenant de spécimens étaient morts de causes naturelles.

"Malheureusement, il s'est avéré que la mortalité était terriblement élevée : sur les 26.000 poissons marqués, on en a récupéré 400," précise Karin Hüssy, chercheur de l'Institut national des ressources aquatiques au Danemark DTU Aqua. "Nous avons été capables d'estimer la mortalité naturelle - pas celle liée à la pêche et cette mortalité est trois à quatre fois plus élevée que la mortalité liée à la pêche," souligne-t-elle.

"La nature est l'ennemie du cabillaud"

Comment l'expliquer ? Il n'y a pas de consensus sur la question selon DTU Aqua. Plusieurs facteurs semblent porter atteinte au cabillaud : le très faible taux d'oxygène dans de grandes zones de la mer Baltique en raison de la pollution, le réchauffement des eaux du fait du changement climatique et la présence en grand nombre de l'un de ses prédateurs, le phoque gris qui propage aussi des parasites nuisibles.

"La nature est l'ennemie du cabillaud actuellement et je ne vois pas comment les choses pourraient changer dans les dix ans qui viennent," constate Stefan Neuenfeldt, directeur du département écologie marine et océanographie au sein de DTU Aqua. "Ce n'est pas une bonne nouvelle pour les pêcheurs qui dépendent du cabillaud," reconnaît-il. 

"Tout ce que nous pouvons faire, c'est préserver le cabillaud et en particulier, les endroits où la nature lui est favorable ; ensuite, on pourra voir, si les conditions s'améliorent, si les zones préservées deviennent des sources de recolonisation de celles où aujourd'hui, il ne peut absolument pas vivre parce que les eaux sont trop chaudes ou qu'il n'y a pas assez d'oxygène," indique-t-il.

Des poissons de plus en plus petits et minces

La pression de la pêche est le seul facteur que l'on peut contrôler : ainsi, les scientifiques préconisent de poursuivre les restrictions avec notamment la réduction de 70% des prises accidentelles autorisées pour le cabillaud de la mer Baltique orientale l'an prochain.

De meilleures méthodes de modélisation et d'évaluation devraient aussi contribuer à expliquer les nouvelles caractéristiques alarmantes de ces poissons.

"Ils sont de plus en plus minces et ce qui nous inquiète beaucoup, c'est qu'ils atteignent leur première maturité - qu'ils frayent - en étant de plus en plus petits comparé au début des années 90," dit Marie Storr-Poulsen, directrice du département contrôle et données au DTU Aqua. 

"Quand on regarde la taille des cabillauds, on pourrait se dire qu'ils sont beaucoup plus jeunes, mais en réalité, ils mesurent 30-35 centimètres, ce qui veut dire qu'ils ont perdu en croissance un peu plus de 50% par rapport à ce qu'on constatait auparavant," insiste-t-elle.

Les défenseurs de l'environnement se félicitent de l'interdiction de pêche tout en réclamant des mesures énergétiques. Une approche critiquée par le secteur de la pêche où ses représentants voient leur vie professionnelle bouleversée.

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