Rite satanique ? Secte ? De plus en plus de chevaux sont sauvagement mutilés et tués en France

Un club d'équitation du département des Yvelines, en France, le 28 août 2020
Un club d'équitation du département des Yvelines, en France, le 28 août 2020 Tous droits réservés Michel Euler/AP
Par Laurence AlexandrowiczJoël Chatreau
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Les habitants de la campagne française font toujours le même cauchemar, surtout depuis début août : un cheval tout seul qui meurt en pleine nuit. Dans une vingtaine de départements, des équidés ont été retrouvés sans vie et atrocement mutilés. Satanisme, secte ou autre, aucune piste n'est écartée.

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Cela ressemble au début d'un polar de série noire qui se déroulerait dans la campagne française...

Mais si les éleveurs, les propriétaires particuliers, les responsables de clubs et même les gendarmes font des cauchemars, c'est bien à cause de véritables et horribles faits qui se multiplient au fil des mois : désormais, il ne se passe pas un jour, ou presque, sans qu'on retrouve un cheval mort, atrocement mutilé, voire vidé de son sang, quelque part en France. Une vingtaine de départements sont déjà victimes de ces "actes de cruauté envers les animaux", délits pour lesquels des enquêtes judiciaires sont ouvertes un peu partout en France.

Trois mutilations en 48 heures

Le jeudi 3 septembre, le cadavre d'une jument a été retrouvé à Arnac-la-Poste, en Haute-Vienne, au centre du pays ; les oreilles et les yeux de l'animal avaient été arrachés. Le même jour, à Val-Revermont, dans l'Ain, au centre-est, une autre jument a survécu à une attaque mais elle est grièvement blessée, sa queue a été sectionnée et sa vulve est coupée à plusieurs endroits. Mercredi 2 septembre déjà, une jument de trait avait été tuée dans un petit centre équestre de Saint-Tugdual, dans le Morbihan en Bretagne ; il lui manquait une oreille et son appareil génital avait été entaillé.

Des propriétaires traumatisés

La liste macabre s'allonge, le violent phénomène ne fait qu'accélérer et s'élargir sur le territoire français depuis le début du mois d'août, et le monde rural est évidemment sous stress et plongé dans une angoisse grandissante. Les professionnels comme les particuliers restent choqués par la perte de leurs compagnons dans de terribles conditions.

Mélissa Véron en fait partie, elle a vécu l'horreur en découvrant sa jument de trois ans gisant dans le sang dans une pâture à Berny-en-Santerre, dans la Somme, au nord du pays :

Elle avait une oreille en moins, très creusée à l'intérieur de la tête, ils ont pris une moitié de l'œil (...) C'est ignoble (...) Quand je l'ai vue, j'ai hurlé, j'en voulais à tout le monde

A Cluny, en Saône-et-Loire, Jean-Michel Martinot est lui aussi traumatisé. Quand l'éleveur est allé nourrir ses juments comme chaque matin, le 8 août dernier, Jade, 14 mois, manquait à l'appel. Il l'a retrouvée sous un arbre. "Elle avait des marques de strangulation, raconte-t-il à notre micro, on suppose qu'ils l'ont attrapée au lasso, et ils ont du l'arrimer à l'arbre avant de la poignarder". Ceux qui ont tué Jade lui ont découpé l'oreille, un œil, et les parties génitales.

Quand on voit cette vision d'horreur, on est sous le choc, c'est des poulains qu'on fait naître, qu'on aime

Ils font preuve de "professionnalisme"

Les auteurs d'un tel sadisme agissent toujours en pleine nuit et s'attaquent à des bêtes qui se trouvent dans des prés assez isolés. Ils connaissent les chevaux, leur comportement, leurs réactions, car ils sont capables de les capturer ou de les approcher, ça, les enquêteurs en sont persuadés. Le témoignage de Jean-Michel Martinot le confirme :

"Même si elles sont très sociables ça reste des pouliches, elles ont des réactions de peur, de crainte, il faut connaître l'animal. Alors, vu le mode opératoire des blessures, il faut aussi des connaissances de l'anatomie du cheval, ce sont vraiment des gens qui connaissent les chevaux".

Ils pratiquent leurs blessures barbares avec "professionnalisme", c'est ce qu'a souligné le ministre de l'Agriculture, Julien Denormandie, justement lors d'un passage en Saône-et-Loire le 28 août dernier.

Il y a manifestement un professionnalisme, des personnes qui agissent avec une certaine technicité
Julien Denormandie
ministre de l'Agriculture

Le représentant de l'Etat faisait notamment allusion à ce qui avait été constaté dans un autre village du département, Saint-Vallier, où une ponette a eu le crâne fracassé, une partie du museau tranchée, puis a été vidée de son sang sans que la moindre trace ne soit relevée dans le pré où sa dépouille avait été laissée.

Le maire d'un autre Saint-Vallier - situé dans la Drôme -, Pierre Jouvet, réagit sur Twitter :

Criminels ? Satanisme ? Une secte ?

Alors qui sont ces "bouchers" ? Mènent-ils leurs attaques sauvages de leur propre initiative, chacun dans un coin de France différent ? Cela voudrait dire qu'ils agiraient par mimétisme, mais peut-on imaginer qu'il y ait autant d'êtres maléfiques sur le territoire, prêts à aller jusqu'à ces extrêmes ?

Est-ce une bande criminelle organisée ? Mais pour faire quoi, faire peur dans les campagnes, dans quel but ?

Ou bien, s'agit-il de rites sataniques, de pratiques de sorcellerie en lien avec le sang, la puissance sexuelle puisque les organes génitaux des chevaux sont souvent tailladés ou prélevés ?

Ou encore les basses œuvres d'une secte quelconque, dont les adeptes seraient dispersés et incités à agir on ne sait pour quelle mission perverse ?

Eh bien pour le moment, les autorités de police et de justice en disent peu, forcément, mais laissent entendre qu'aucune de ces pistes n'est écartée. Les Brigades de recherche de la gendarmerie sont sur les dents et sillonnent les nombreuses zones où se sont déroulés les faits. Les agents de la police technique et scientifique passent les lieux au peigne fin.

C'est à l'Office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et à la santé publique (OCLAESP) de coordonner toutes les enquêtes sur le terrain et à l'Institut de recherche criminelle de la gendarmerie d'établir s'il y a des connexions entre les très nombreuses affaires.

Le pouvoir du sang

Jacky Cordonnier, historien des religions et membre de la Miviludes - la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires qui épaule les enquêteurs en leur apportant toute son expertise sur les différentes sectes et leurs méthodes -, estime à notre micro que le sang pourrait être utilisé pour de la "magie rouge". Selon lui, il pourrait s'agir de commandes, les adeptes de sorcellerie n'étant pas ceux qui tuent forcément les chevaux, n'en ayant probablement pas les capacités.

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L'expert émet aussi une autre hypothèse, celle de la peur du Covid-19. Les attaques ont commencé en février, qui correspond à l'apparition du coronavirus en France, et s'accélèrent au fil des semaines. De là à imaginer pour certains que le sang de cheval peut protéger du Covid, il n'y a qu'un pas que des illuminés pourraient franchir.

Et si ça dégénérait ?

Paul Watelet, vétérinaire équin dans la région d'Avignon, craint que la psychose qui s'est emparée des professionnels ne conduise à un accident. Il y a souvent des fusils de chasse dans les fermes ou les centres équestres.

Ce qui me fait peur, c'est la réaction qui peut être dramatique des propriétaires. Je pense qu'ils pourraient tirer sur la première personne qu'ils penseraient vouloir atteindre leurs chevaux, que ce soit quelqu'un de malveillant, ou quelqu'un qui s'est arrêté là par curiosité. C'est le gros danger à l'heure actuelle

Des précédents aux Etats-Unis et en Europe

Selon l'historien Jacky Cordonnier, des mutilations ont eu lieu au milieu des années 1970 chez des éleveurs bovins et des propriétaires de chevaux aux Etats-Unis. Mais les enquêtes ont conclu à des blessures causées par des animaux sauvages. Dans les années 1980, 500 chevaux ont été mutilés en Grande-Bretagne et en Allemagne. Depuis cette période, environ 2 000 cas ont été recensés dans toute l'Europe. Certains propriétaires français réalisent maintenant que leur cheval découvert il y a deux ou trois ans avec l'oreille coupée pourrait bien faire partie de ces cas.

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