La coalition inédite et très observée entre les conservateurs et les écologistes en Autriche est sous pression, l'expulsion de trois jeunes filles mettant en lumière des fractures jusqu'à présent éclipsées par la pandémie.
La coalition inédite et très observée entre les conservateurs et les écologistes en Autriche est sous pression, l'expulsion de trois jeunes filles mettant en lumière des fractures jusqu'à présent éclipsées par la pandémie.
"Indigne", "irresponsable", "intolérable": les condamnations se multiplient à gauche, depuis que le ministre de l'Intérieur de droite a renvoyé vers la Géorgie et l'Arménie jeudi matin trois écolières défendues en vain par des comités de soutien.
Fait rare, le président de la République, le très populaire Alexander Van der Bellen, est sorti de sa réserve le soir même pour condamner avec des mots très durs cette politique.
"Je ne peux pas et ne veux pas croire que nous vivions dans un pays où l'on soit obligé d'en arriver-là", a déclaré sur Facebook cet ancien dirigeant du parti Les Verts (Die Grünen), élu contre l'extrême droite en 2016 et qui s'est dit "profondément affecté".
Le vice-chancelier écologiste Werner Kogler lui a emboîté le pas, alors qu'il tente en général d'arrondir les angles et de présenter une cogestion harmonieuse entre les deux partenaires.
"Le renvoi de ces jeunes filles", qui sont nées ou ont grandi sur le sol autrichien et sont "bien intégrées", est inhumain et irresponsable", d'autant plus en période de pandémie, s'est-il insurgé.
"Intolérable", a aussi commenté le ministre de la santé Rudolf Anschober, du même bord politique, pourtant bien occupé par la gestion de la crise sanitaire liée au Covid-19.
- Partenaires mal assortis -
Alors qu'un millier de personnes ont manifesté jeudi dans la capitale, les ministres conservateurs ont répondu qu'ils appliquaient la loi, l'une des plus rigides d'Europe, basée sur le droit du sang et non sur celui du sol.
Ce type d'expulsion à grand renfort de policiers n'est pas rare, mais généralement pas aussi médiatisée.
Si la polémique enfle, c'est qu'elle survient après d'autres incidents entre les deux alliés de la coalition formée il y a tout juste un an, avec pour la première fois l'arrivée au pouvoir des Verts comme partenaire minoritaire des conservateurs.
Leur mariage avait été jugé peu viable par certains observateurs, les deux formations politiques ayant des positions diamétralement opposées sur le sujet de l'immigration, central dans ce pays attractif économiquement.
De leur côté, les conservateurs emmenés par le jeune et ambitieux Sebastian Kurz doivent donner des gages de fermeté aux nombreux déçus de l'extrême droite, emportée par un scandale en 2019.
Les écologistes, eux, revendiquent une politique d'accueil ouverte et avaient déjà condamné en septembre le refus du chancelier d'accueillir des réfugiés du camp de Moria, après le feu qui avait entièrement détruit le bidonville.
Mais la controverse s'était éteinte, le regain de la pandémie ayant vite monopolisé les débats.
- Climat vs immigration -
Cette fois, "c'est un véritable test de résistance pour le gouvernement", a commenté pour l'AFP le politologue Thomas Hofer. "La base des Verts donne de la voix parce qu'elle trouve les couleuvres à avaler de plus en plus grosses", a-t-il analysé.
Confrontés à une baisse de leur cote de popularité dans les sondages alors que le strict confinement décrété ne fait pas baisser le nombre de contaminations, les conservateurs "veulent consolider le report des voix venu de l'extrême droite" en campant sur leur ligne.
En réaction à l'afflux massif de réfugiés à partir de 2015, Sebastian Kurz avait adopté de nombreuses mesures visant à limiter l'immigration lorsqu'il gouvernait avec le parti nationaliste FPÖ, entre décembre 2018 et mai 2020.
En signant ensuite avec les Verts, il avait obtenu de ces derniers qu'ils le laissent continuer à incarner la fermeté, en échange de sacrifices économiques substantiels en faveur de la lutte pour le climat.
"Les Verts se trouvent en ce moment dans une position un peu humiliante, mais je ne pense pas qu'ils voudront faire exploser le gouvernement à ce stade", estime M. Hofer. "Ils veulent montrer qu'ils peuvent faire avancer leur cause".
Selon lui, ils pensent toujours pouvoir verdir le système fiscal et le chancelier a tout intérêt à cette entente pour démontrer à l'Europe que son projet politique - une écologie conservatrice - est un modèle d'avenir.