Effervescence au Bénin pour le retour des 26 œuvres restituées par la France

Archives : trois des pièces restituées au Benin, alors exposées au musée du Quai Branly, à Paris, le 10 septembre 2021
Archives : trois des pièces restituées au Benin, alors exposées au musée du Quai Branly, à Paris, le 10 septembre 2021 Tous droits réservés CHRISTOPHE ARCHAMBAULT/AFP
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Par Vincent Coste avec AFP
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De très nombreux Béninois ont accueilli avec émotion le retour de ces pièces faisant partie des trésors royaux d'Abomey pillés au XIXe siècle par les troupes coloniales françaises.

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Que d'émotions ! Depuis quelques heures, les 26 œuvres des trésors royaux d'Abomey, pillées par les troupes coloniales françaises au XIXe siècle, sont de retour sur leur terre natale. Restituées la veille par Paris, ces pièces sont le témoignage de ce royaume qui a régné aux XVIIIème et XIXème siècles sur l'actuel sud du Bénin. Elles sont arrivées à Cotonou par avion en milieu d'après-midi ce mercredi.

Dans les rues de la capitale économique du pays, ce retour a été célébré avec ferveur au son des tambours et instruments de musique traditionnels. Des centaines de Béninois venus de tout le pays se sont pressés sur les trottoirs pour apercevoir ces trésors, dont certains revêtent un caractère sacré.

Adultes et enfants, habillés pour la plupart en pagne coloré, ont applaudi au passage des camions. Certains se sont prosternés au sol ; d'autres, émus aux larmes, ont croisé les mains en signe de respect.

Parmi les œuvres restituées figurent des statues totem de l'ancien royaume d'Abomey, ainsi que le trône du roi Béhanzin, pillés lors de la mise à sac du palais d'Abomey par les troupes coloniales françaises en 1892.

Michel Euler/AP Photo
Portes du palais, ici exposées au musée du quai Branly le 25 octobre 2021, ont été également restituées par la France au BeninMichel Euler/AP Photo

Figurent également trois imposantes statues royales anthropo-zoomorphes, celles présentes sur l'illustration principale de cet article. Ces pièces sont en très bon état de conservation, selon le musée du Quai Branly, à Paris, où elles étaient jusqu'à lors exposées.

Le musée parisien a mis en ligne une page où sont présentées les 26 œuvres qui ont été restituées.

"Dévasté par l'émotion"

"Lorsque le camion m'a dépassé, j'ai eu des frissons. Je me suis agenouillé, front contre le sol, en signe d'allégeance", a lancé à Marcel Hounkonnou, un artisan, présent lors du passage du convoi. "Tous ces objets que ces rois nos ancêtres ont touché, ils les représentent en quelque sorte aujourd'hui", a ajouté cet homme venu de la capitale Porto-Novo, à 40 kilomètres de là.

YANICK FOLLY/AFP
La foule accueillant, dans les rues de Cotonou, le retour des 26 trésors pillés par la France, le 10 novembre 2021YANICK FOLLY/AFP

"C'est tellement émouvant", a abondé Martine Vignon Agoli-Agbo, qui habite le nord du Bénin et a parcouru plus de 500 kilomètres avec ses deux filles pour assister à ce moment historique.

"Des objets vieux de 200 ans, volés et dont on n’espérait pas le retour, arrivent en grand nombre. Je n’ai pas voulu qu'on me raconte ce moment. Et si mes filles sont là, c’est pour qu’elles puissent un jour le raconter à mes petits-enfants", ajoute Mme Vignon Agoli-Agbo.

Dans la foule, un homme a fait coudre sur son chapeau la date du "10.11.2021", pour souligner le caractère historique de ce retour.

Lorsque les camions sont arrivés à la présidence, deux fillettes, en pagne blanc, et colliers autour du cou, une calebasse dans les mains, ont renversé sur le sol de l'eau en guise d'offrande.

La caisse contenant le trône appartenant au roi Ghézo, qui régna sur le royaume d'Abomey entre 1818 et 1858, a été déchargée sur un tapis rouge. Autour d'elle, des danses de l'ancien royaume ont été exécutées, mais aussi celles des autres royaumes qui constituaient le Bénin, avant de devenir une nation.

Michel Euler/AP Photo
Les trônes des rois Ghézo (à gauche) et Glèlè (à droite) rendus par la France au Benin, alors ici exposés au Musée du Quai Branly, à Paris, le 25 octobre 2021Michel Euler/AP Photo

"Je suis dévasté par l'émotion", a déclaré le président béninois Patrice Talon, visiblement très touché, avant de prononcer un discours de 30 minutes centré sur l'unité nationale.

"C'est le symbole du retour au Bénin de notre âme, de notre identité, ce retour du témoignage de ce que nous avons été, de ce que nous avons existé avant", a déclaré le chef de l'Etat, confiant qu'au moment de lancer en 2016 une demande de restitution il n'avait "guère la certitude que cela arriverait un jour".

Après la cérémonie, l'actuel roi d'Abomey Sagbadjou Glèlè, présent au côté d'autres chefs traditionnels venus de tout le pays, a fait part de sa vive émotion.

"Je ne peux expliquer la joie qui m'étreint. Ces objets étaient destinés dès leur départ à un retour. Tôt ou tard ils devaient rentrer pour que s'accomplissent les paroles dites par nos ancêtres".

"Restauration de la dignité"

Pour Didier Marcel Houénoudé, professeur béninois en histoire de l'art, le retour des œuvres "représentent avant tout la restauration de la dignité".

Il "sert également à la reconstruction de la mémoire. Ce ne sont pas seulement le peuple et les objets qui ont été spoliés, mais aussi la mémoire. Celle-ci est remplie de honte liée à la chute ou à l'échec de notre peuple", a-t-il déclaré.

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Cette cérémonie solennelle au Bénin a marqué la dernière étape d'un processus inédit entamé avec la promesse faite en 2017 par le président français Emmanuel Macron de procéder à des restitutions du patrimoine africain en France. La veille à Paris, le président Macron avait reçu Patrice Talon pour finaliser la restitution de ces 26 trésors.

En octobre dernier, le chef de l'Etat français avait vu les 26 œuvres d'art, spécialement réunies au Quai Branly lors d'une exposition organisée avant qu'elles ne retournent sur le continent africain. Lors de sa visite, le locataire de l'Elysée a jugé "particulièrement émouvant" de participer à "cette cérémonie d’adieu comme diraient certains, de retrouvailles" plutôt pour "ces œuvres attendues depuis longtemps" au Bénin.

Avant d'être exposées pendant trois mois à la présidence béninoise, les œuvres seront soumises à deux mois "d'acclimatation" aux nouvelles conditions de climat et d'hygrométrie

Les trésors iront ensuite à l'ancien fort portugais de Ouidah et à la maison du gouverneur, lieux historiques de l'esclavage et de la colonisation européenne, situés sur la côte, en attendant la construction d'un nouveau musée à Abomey.

Selon des experts, 85 à 90% du patrimoine africain serait hors du continent. Depuis 2019, outre le Bénin, six pays – Sénégal, Côte d'Ivoire, Ethiopie, Tchad, Mali, Madagascar – ont soumis à la France des demandes de restitutions.

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Au mois 90 000 œuvres d'art d'Afrique subsaharienne sont dans les collections publiques françaises. 70 000 d'entre elles au Quai Branly, dont 46 000 arrivées durant la période coloniale.

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