Guerre en Ukraine : l’AIEA réclame une "zone de sécurité" autour de la centrale de Zaporijjia

Rafael Grossi, directeur-général de l'Agence internationale de l'énergie atomique, sur le site de la centrale nucléaire ukrainienne de Zaporijjia, le 1er septembre 2022.
Rafael Grossi, directeur-général de l'Agence internationale de l'énergie atomique, sur le site de la centrale nucléaire ukrainienne de Zaporijjia, le 1er septembre 2022. Tous droits réservés Andriy Andriyenko/Copyright 2022 The Associated Press. All rights reserved
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Par Etienne Paponaud
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L’Agence internationale de l’énergie atomique exhorte la Russie et l'Ukraine à établir une "zone de protection de la sûreté et de la sécurité nucléaires" autour de la centrale, sur fond de craintes croissantes de déclenchement d'une catastrophe nucléaire.

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L’Agence internationale de l’énergie atomique exhorte la Russie et l'Ukraine à établir une "zone de protection de la sûreté et de la sécurité nucléaires" autour de la centrale de Zaporijjia, sur fond de craintes croissantes que les combats ne déclenchent une catastrophe dans un pays encore marqué par la catastrophe de Tchernobyl.

"Nous jouons avec le feu, et une catastrophe pourrait se produire", prévient Rafael Grossi, directeur de l'AIEA, devant le Conseil de sécurité des Nations unies, quelques jours après avoir dirigé une visite d'inspection à la centrale. Dans un rapport détaillé sur sa visite, l'AIEA réclame un arrêt immédiat des bombardements autour de la plus grande centrale nucléaire d'Europe. "Il faut que toutes les parties concernées s'entendent sur la création d'une zone de protection de la sûreté et de la sécurité nucléaires" autour de la centrale, ajoute-t-elle.

Lors de la réunion du Conseil de sécurité, le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, demande également aux forces russes et ukrainiennes de s'engager à cesser toute activité militaire autour de la centrale et de convenir d'un "périmètre démilitarisé". Cela inclurait "un engagement des forces russes de retirer tout le personnel et l’équipement militaires de ce périmètre et un engagement des forces ukrainiennes à ne pas y entrer". 

Antonio Guterres a également déclaré que "tout dommage - intentionnel ou non - à Zaporijjia ou à toute autre installation nucléaire en Ukraine, pourrait entraîner une catastrophe".

Russes et Ukrainiens s'accusent mutuellement

Interrogé par les journalistes sur l'établissement d'une zone démilitarisée, l'ambassadeur russe aux Nations Unies, Vasily Nebenzya, déclare que la proposition "n'est pas sérieuse". "Les Ukrainiens vont immédiatement intervenir et tout gâcher. Nous défendons, nous protégeons la station". S'adressant plus tard aux journalistes, M. Nebenzya explique que la Russie veut connaître les détails des propositions de zones démilitarisées et de protection.

Le président ukrainien Volodymyr Zelenskyy déclare que son pays devait examiner les détails de la proposition de zone de protection et qu'il pourrait soutenir cette mesure si elle induit la démilitarisation de la centrale. Dans son allocution nocturne à la nation, Zelenskyy salue les "références claires" du rapport de l'AIEA à la présence de troupes et d'équipements militaires russes dans la centrale, et exhorte l'agence à soutenir explicitement la position de longue date de Kiev selon laquelle les forces russes doivent se retirer de la centrale et de ses environs.

Allocution du président ukrainien Volodymyr Zelensky, le 6 septembre 2022

La centrale dépend habituellement de l'énergie extérieure pour faire fonctionner les systèmes de refroidissement essentiels qui empêchent les réacteurs et le combustible usé de surchauffer. Une perte de ces systèmes pourrait entraîner une fusion ou une autre émission de radiations. "Pour les professionnels de la radioprotection, pour les Ukrainiens, les Russes et les habitants d'Europe centrale, la situation est très préoccupante, et c'est un euphémisme", explique Paul Dorfman, expert en sécurité nucléaire à l'université du Sussex en Angleterre.

La Russie et l'Ukraine s'accusent mutuellement d'avoir bombardé Enerhodar, la ville où se trouve la centrale. Les Ukrainiens ont également accusé les forces du Kremlin d'avoir tiré sur une ville située de l'autre côté du fleuve Dniepr, à proximité de la centrale.

Satellites Sentinel du programme européen Copernicus
Incendie visible au nord de la centrale de Zaporijjia, le 24 août 2022Satellites Sentinel du programme européen Copernicus

Le maire ukrainien d'Enerhodar, Dmytro Orlov, a signalé une puissante explosion dans la ville vers midi. L'explosion a coupé l'électricité et l'eau de cette ville de 53 000 habitants. L'origine de l'explosion n'a pas été précisée dans l'immédiat. Les dirigeants du monde entier ont appelé à la démilitarisation de la centrale, qui est occupée par les forces russes depuis les premiers jours de la guerre, mais qui est gérée par des ingénieurs ukrainiens.

Dans son rapport, l'AIEA n'a pas attribué de responsabilité pour le bombardement de la centrale. L'agence a cherché à rester en dehors de la mêlée politique. Elle a toutefois noté qu'à plusieurs reprises, la centrale a perdu, totalement ou partiellement, son alimentation électrique hors site en raison de l'activité militaire dans la région. L'agence des Nations unies a déclaré qu'une ligne d'alimentation électrique de secours devait être rétablie et a demandé que "toutes les activités militaires susceptibles d'affecter les systèmes d'alimentation électrique prennent fin".

En outre, l'AIEA a prévenu que le personnel ukrainien qui exploite la centrale sous l'occupation militaire russe est "soumis à un stress et une pression élevés et constants, en particulier avec le personnel limité disponible" - une situation qui pourrait "conduire à une augmentation des erreurs humaines avec des implications pour la sécurité nucléaire". Elle a recommandé de rétablir "un environnement de travail approprié, y compris un soutien familial".

L'AIEA a également indiqué que le personnel ne bénéficie pas d'un accès illimité à certaines parties de la centrale et doit obtenir l'autorisation des forces d'occupation russes pour accéder aux bassins de refroidissement où est conservé le combustible usé. M. Grossi s'est dit préoccupé par le fait que cela pourrait entraver la réaction du personnel en cas d'urgence.

ANDREY BORODULIN / AFP
Militaire russe devant un des réacteurs de la centrale de Zaporijjia, le 5 mai 2022ANDREY BORODULIN / AFP

Le rapport indique que l'équipe a vu du personnel, des véhicules et des équipements militaires russes à divers endroits, y compris plusieurs camions militaires sur le sol de deux salles de turbines. Il demandait "le retrait des véhicules des zones susceptibles de perturber le fonctionnement des systèmes et des équipements de sûreté et de sécurité". Deux inspecteurs de la mission de l'AIEA sont restés dans la centrale, une décision saluée par le conseiller présidentiel ukrainien Mykhailo Podolyak.

"Il y a maintenant des troupes russes qui ne comprennent pas ce qui se passe, qui n'évaluent pas correctement les risques", a déclaré M. Podolyak. "Il y a un certain nombre de nos travailleurs sur place, qui ont besoin d'une sorte de protection, de personnes de la communauté internationale qui se tiennent à leurs côtés et qui disent (aux troupes russes) : "Ne touchez pas à ces gens, laissez-les travailler".

Une centrale en "mode insulaire"

Lundi, l'AIEA a indiqué que les autorités ukrainiennes avaient signalé que la dernière ligne de transmission reliant la centrale au réseau électrique du pays avait été déconnectée pour permettre aux ouvriers d'éteindre un incendie provoqué par les bombardements. Le ministre ukrainien de l'Énergie, Herman Halushchenko, a déclaré à la télévision ukrainienne que toute réparation est impossible à ce stade car "les hostilités se poursuivent autour de la centrale". Dans l'intervalle, le seul réacteur encore en service de la centrale "produira l'énergie dont la centrale a besoin pour assurer sa sécurité et ses autres fonctions", a indiqué l'AIEA.

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La centrale nucléaire de Zaporijjia, la plus puissante d'Europe et ses 6 réacteurs d'une puissance théorique de 1 000 mégawatts chacun, le 29 août 2022Satellites Sentinel du programme européen Copernicus

Selon Mycle Schneider, analyste indépendant de l'énergie nucléaire au Canada, cela signifie que la centrale fonctionne probablement en " mode insulaire", c'est-à-dire qu'elle produit de l'électricité pour son propre fonctionnement. "Le mode insulaire est un moyen très bancal, instable et peu fiable de fournir une alimentation électrique continue à une centrale nucléaire". Il ajoute que "beaucoup, sinon la plupart des tentatives d'îlotage échouent". La centrale de Zaporijjia dispose de générateurs diesel de secours pour produire l'énergie nécessaire au fonctionnement de la centrale si la source extérieure est interrompue. Mais, selon M. Schneider, les opérateurs de la centrale ont peut-être décidé de passer d'abord en mode îlotage. Si la centrale se tourne vers les générateurs diesel en dernier recours et qu'ils tombent en panne, le réacteur et le combustible usé pourraient rapidement surchauffer.

Selon les experts, les réacteurs de Zaporijjia sont conçus pour résister aux catastrophes naturelles et même aux crashs d'avions, mais les combats imprévisibles ont menacé à plusieurs reprises les systèmes de refroidissement. En 1986, l'Ukraine a été le théâtre du pire accident nucléaire au monde, l'explosion de Tchernobyl.

Les services de renseignement ukrainiens ont signalé que les habitants d'Enerhodar fuient la ville par peur. Le vice-premier ministre ukrainien Iryna Vereshchuk a déclaré que la Russie devrait organiser des couloirs de sécurité pour les femmes et les enfants vivant à proximité. "Les gens en masse nous tendent la main pour demander de l'aide. Ils essaient de quitter le territoire dangereux, mais il n'y a pas de couloirs", a déclaré Vereshchuk à la télévision ukrainienne.

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