Brexit : turbulences autour du nouveau protocole nord-irlandais

Archives : le leader du DUP, Jeffrey Donaldson, dans l'enceinte du Parlement nord-irlandais à Belfast, le 9 mai 2022
Archives : le leader du DUP, Jeffrey Donaldson, dans l'enceinte du Parlement nord-irlandais à Belfast, le 9 mai 2022 Tous droits réservés Peter Morrison/AP Photo
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Derrière le "frein de Stormont" se cache un mécanisme approuvé dans le cadre de l'accord de Windsor que les unionistes nord-irlandais du DUP rejettent.

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Comme il s'y était engagé, le principal parti unioniste nord-irlandais, le DUP, a voté contre une des mesures clés du "cadre de Windsor", le nouvel accord conclu fin février entre Londres et Bruxelles concernant les dispositions post-Brexit dans la province britannique. 

Son chef, Jeffrey Donaldson, a ainsi déclaré ce lundi, à la suite d'une réunion entre les responsables du parti, que le DUP s'oppose en particulier au mécanisme baptisé "frein de Stormont", du nom du bâtiment qui abrite le Parlement local à Belfast. 

Le frein de Stormont "n'aborde pas certains des problèmes fondamentaux qui sont au cœur de nos difficultés actuelles", a indiqué Jeffrey Donaldson dans un communiqué publié sur le site du parti.

A Londres, le parti travailliste, dans l'opposition, a lui déclaré qu'il avait l'intention de voter avec le gouvernement. Ce qui garantit l'adoption du texte, "malgré" le rejet du DUP.

Mais, dans les faits, qu'est-ce que le DUP espère obtenir en rejetant le frein de Stormont. Et la position de ce parti risque-t-elle d'avoir un impact sur l'avenir du partage du pouvoir, entre unionistes et nationalistes en vigueur en  Irlande du Nord ?

Le cadre de Windsor va-t-il vraiment pouvoir débloquer la situation  ?

Après des mois de tension, le Premier ministre britannique Rishi Sunak et la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen ont présenté le 27 février ce nouvel accord, baptisé "Cadre de Windsor", modifiant le protocole nord-irlandais, sur les dispositions post-Brexit dans la province britannique. Les deux dirigeants s'étaient félicités de la conclusion de cet accord, saluant tous deux '"un nouveau chapitre" entre Londres et l'Union européenne. 

Dan Kitwood/AP Photo
Le Premier ministre britannique, Rishi Sunak et la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, à Windsor, le 27 février 2023Dan Kitwood/AP Photo

L'accord de Windsor va en particulier considérablement réduire les contrôles douaniers nécessaires sur les marchandises de Grande-Bretagne arrivant en Irlande du Nord. Il va aussi réduire l'application de règlementations de l'UE dans la province britannique.

Et le plus important, c'est qu'il protège la paix durement obtenue grâce à l'accord du Vendredi Saint" qui a mis fin au conflit entre unionistes surtout protestants et républicains en majorité catholiques et dont le 25e anniversaire sera célébré en avril",  a déclaré la présidente de la Commission.

L'un des principaux défis de cet accord était de convaincre le DUP, farouchement opposé à l'ancien protocole nord-irlandais, d'adhérer au nouveau compromis et lever leur boycott de l'exécutif local. Le DUP bloque le fonctionnement de l'exécutif local depuis un an, réclamant un abandon du protocole et refusant toute application de facto du droit européen dans la province britannique. Mais l'annonce du DUP, faite ce lundi,  de son opposition à certaines mesures clés du Cadre de Windsor représente donc une mauvaise nouvelle pour Rishi Sunak.

Le nouvel accord entend notamment permettre des échanges commerciaux plus fluides entre la Grande-Bretagne et l'Irlande du Nord, rendus complexes avec l'ancien protocole négocié en 2020 par Boris Johnson.

Ce protocole voulait éviter une frontière entre l'Irlande et l'Irlande du Nord qui risquerait de fragiliser la paix après des décennies de conflit, tout en protégeant le marché unique européen. Il créait de facto une frontière en mer d'Irlande, inacceptable pour les unionistes qui défendent l'appartenance de la province au Royaume-Uni. 

Et plus précisément, qu'est que ce "frein de Stormont" ?

Dans le cadre de Windsor, le mécanisme du frein de Stormont permet au Parlement nord-irlandais de bloquer l'application de toute nouvelle législation européenne dans la province britannique, notamment celles concernant les marchandises. 

Le gouvernement britannique considère que ce dispositif accorde un "droit de veto sans équivoque" sur les nouvelles règles de l'UE s'appliquant au commerce en Irlande du Nord. Le mécanisme peut être activé  si 30 membres de l'Assemblée d'Irlande du Nord issus d'au moins deux partis soulèvent des objections.

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Le Premier ministre britannique, Rishi Sunak et la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, à Windsor, le 27 février 2023Dan Kitwood/AP Photo

"Le frein de Stormont est un mécanisme conçu pour tenter de donner aux membres de l'Assemblée d'Irlande du Nord un certain droit de regard sur les nouvelles réglementations de l'UE", explique Jamie Pow, maître de conférences en sciences politiques à l'université Queen's de Belfast.

Sur les 90 sièges de l'assemblée d'Irlande du Nord, le DUP dispose de 25 sièges. Le parti aurait donc  besoin du soutien de seulement cinq autres députés pour déclencher le frein. 12 élus unionistes pro-britanniques, issus d'autres formations, siègent également à Belfast.  

Si le frein est effectivement déclenché, la mise en œuvre de la nouvelle législation de l'UE incriminée serait alors automatiquement suspendue le temps que le Royaume-Uni et Bruxelles en discutent. En outre, si l'UE conteste le déclenchement du frein, la question sera soumise à un arbitrage indépendant, plutôt qu'à la Cour européenne de justice.

Mais pourquoi ce mécanisme est rejeté par les unioniste du DUP ?

Malgré "un réel progrès", le DUP considère que le cadre de Windsor "ne traite pas de la question fondamentale, à savoir l'imposition de la loi européenne" en Irlande du Nord.

Ainsi le parti unioniste considère que, "le frein n'est pas conçu pour, et ne peut donc pas s'appliquer, à la législation de l'UE qui est déjà en place et pour laquelle aucun consentement n'a été donné en vue de son application", selon les propos de  Jeffrey Donaldson.

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"De son point de vue, le DUP semble craindre qu'en réalité, il appartiendra toujours au gouvernement britannique de décider de la marche à suivre quand le le frein est activé", considère Jamie Pow. 

"En d'autres termes, le frein lancera une alarme activée par 30 députés de l'Assemblée d'Irlande du Nord, mais le dernier mot reveindrait au toujours au gouvernement britannique pour l'entendre ou non", a ajouté le chercheur. 

De nouveaux détails de ce mécanisme révèlent, en effet, que même si les unionistes activent le frein, le Royaume-Uni et Bruxelles pourraient décider qu'une nouvelle réglementation européenne ne fasse pas l'objet d'un veto du gouvernement britannique.

Si le Royaume-Uni et l'Union européenne décident de procéder à la mise en œuvre d'une nouvelle législation européenne, celle-ci fera l'objet d'un vote formel à l'Assemblée d'Irlande du Nord.

Toutefois, le gouvernement britannique pourra toujours passer outre les objections des unionistes en invoquant des "circonstances exceptionnelles" ou en affirmant que la législation européenne "ne créera pas de nouvelle frontière réglementaire entre la Grande-Bretagne et l'Irlande du Nord".

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Pour le maître de conférences en sciences politiques à l'université Queen's de Belfast, le "problème" des unionistes ne serait pas à chercher du côté de Bruxelles.   

"C'est intéressant, car ce que l'on pourrait qualifier de préoccupations du DUP est surtout dû à un manque de confiance entre ce parti et le gouvernement britannique", avance ainsi Jamie Pow.

Pourquoi le soutien du DUP à l'accord de Windsor est-il si important ?

Avec seulement huit siège sur les 650 de la Chambre des communes, le DUP ne pourra pas empêcher la loi d'être promulguée.

En signe de protestation contre le protocole sur l'Irlande du Nord, le DUP a refusé de participer aux institutions de partage du pouvoir au cours des dix derniers mois, arguant que ses préoccupations n'avaient toujours pas été prises en compte.

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Le parti nationaliste irlandais Sinn Féin a remporté une victoire historique lors des élections de mai 2022, devenant le plus grand parti pour la première fois dans l'histoire de l'Irlande du Nord.

La vice-présidente du Sinn Féin, Michelle O'Neill, a déclaré que le refus du DUP de relancer le partage du pouvoir 0revenait à "refuser aux gens le changement pour lequel ils ont voté". Elle a exhorté les unionistes à accepter le cadre de Windsor et à "faire bouger Stormont".

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