L'eau de Volvic, une denrée convoitée et de plus en plus rare

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Par Valérie Gauriat
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Sur fond de restriction de la consommation d'eau potable, une partie des habitants de la région de Volvic en France met en cause les prélèvements d'eau effectués par la société d'embouteillage d'eau minérale. L'entreprise se défend tandis que l'État pointe du doigt le changement climatique.

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Niché au cœur de l'Auvergne, région de France connue pour ses volcans et la qualité de ses eaux, le site piscicole de Saint-Genest l'Enfant a été créé au XVIIe siècle par les ancêtres d'Edouard de Féligonde. "C'est la plus vieille pisciculture d'Europe et la seule à être classée monument historique," nous fait-il remarquer.

La pisciculture produisait 60 tonnes de poissons par an. Mais les sources qui l'alimentaient sont presque taries et l'activité est à l'arrêt depuis cinq ans. "Cette pisciculture est maintenant complètement asséchée," nous montre Edouard de Féligonde. "La conséquence de sources à sec," renchérit-il. "Dans cet étang, vous aviez 10  000 enfants qui, chaque année, venaient apprendre à pêcher," fait-il remarquer.

"Un assèchement organisé par Danone et le préfet"

L'homme accuse le groupe Danone et sa filiale, la Société des Eaux de Volvic. Les forages du producteur d'eau minérale en bouteille sont situés non loin de sa propriété.

"Depuis la prise de contrôle du groupe Danone de la Société des Eaux de Volvic en 1993, les prélèvements ont été multipliés par quatre," précise Edouard de Féligonde. "Le groupe Danone produit à Volvic, 1, 750 milliard de bouteilles de 1,5 L, toutes en plastique, c'est comme cela que nous arrivons, non pas à une sécheresse comme beaucoup aimeraient le faire croire, mais à un assèchement des sources de la propriété," affirme-t-il. "Cet assèchement est organisé par Danone et le préfet, le préfet donnant ses autorisations et Danone faisant sa marge," dénonce-t-il.

"On voudrait vous faire croire que ce qui se passe à Volvic se passe dans un environnement de sécheresse national," lance-t-il. "C'est complètement faux ; si Danone s'arrête, l'eau revient," assure-t-il.

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Edouard de Féligonde devant l'un de ses bassins quasiment asséchésEuronews

Des restrictions de la consommation d'eau potable qui ne concernent pas la Société des Eaux de Volvic

Edouard de Féligonde a engagé des actions en justice contre le groupe Danone et les pouvoirs publics qui accordent les autorisations de pompage. Un récent arrêté de restriction de la consommation d'eau potable a été imposé dans une trentaine de communes du département. La mesure a relancé le débat sur l'impact des prélèvements industriels sur la baisse des débits des sources et des nappes phréatiques.

Les restrictions ne concernent pas la Société des Eaux de Volvic. L'entreprise pompe en profondeur de l'aquifère, dit impluvium, à distance de la galerie qui alimente les réseaux de distribution d'eau potable.

Déclinant nos demandes d'interview, l'entreprise nous fait parvenir une communication écrite : "Étant effectuées en aval de la source d'eau potable, les activités de Volvic n'ont pas d'impact sur la disponibilité de la ressource dans les réseaux d'eau potable du territoire. (…) Néanmoins, en solidarité avec l'ensemble des acteurs du territoire, (…) nous avons acté une baisse de 5% de nos autorisations de prélèvement pendant toute la durée de cet arrêté."

La Société des Eaux de Volvic est autorisée à prélever 2,8 milliards de L d'eau par an. En 2020, les ponctions s'élevaient à 2,3 milliards de L, bien moins que le seuil autorisé. L'engagement de l'entreprise à pomper moins que le plafond fixé par l'État ne diminue pas les prélèvements actuels.

"Il faut que chacun fasse un effort"

Le message passe mal, auprès de la population locale, dans une zone déjà mise sous pression par les besoins en eau de l'agriculture intensive.

Nous avons tenté d'interroger les riverains et les petits agriculteurs du département, mais rares sont ceux à accepter de parler devant la caméra, de peur de fâcher la Société des Eaux de Volvic, l'un des plus gros employeurs locaux.

Brasseur artisanal, Jeff Wils est lui d'accord pour s'exprimer. Comme pour toutes les entreprises recourant au réseau d’eau potable, il a dû réduire sa consommation de 25%. De quoi mettre la clef sous la porte, dit-il.

Il y a cinq ans, l'entrepreneur avait déjà diminué de plus d'un tiers, la quantité d'eau nécessaire à sa production de bière, par souci pour l'environnement. "Je n'ai pas attendu l'arrêté préfectoral pour diminuer la consommation d'eau," fait remarquer le patron du "Brasseur Arverne". "On a qu'à regarder qui pompe le plus !" lance-t-il. "On peut être un grand groupe international et avoir une vision de partage et de gestion des ressources et des matières premières qui soit intéressante pour tout le monde," assure-t-il, mais... "Leur mentalité, c'est d'épuiser les sols, d'épuiser les gens et de servir ceux qui sont à l'autre bout du monde !" s'indigne-t-il avant de conclure : "Il faut que chacun fasse un effort."

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Jeff Wills dans sa brasserie artisanaleEuronews

Une baisse progressive des autorisations de prélèvement de l'embouteilleur d'eau minérale

Des efforts déjà engagés par la Société des Eaux de Volvic selon le responsable de la direction départementale des territoires du Puy-de-Dôme, Guilhem Brun.

"Fin 2021, on a effectué une première baisse de 10% structurelle et définitive de son autorisation de prélèvement," nous précise-t-il. "Ils avaient déjà réduit d'au moins 10%, donc on va nous dire que cela ne change rien puisqu'ils ont déjà réduit : en réalité, on engrange une baisse qu'ils ont commencée," assure-t-il. "Dans notre arrêté de fin 2021, on a d'ores et déjà prévu une deuxième baisse de 10% à horizon 2025 dans le cadre d'un projet de réutilisation de leurs eaux de lavage," ajoute-t-il. 

"Du côté de l'État, on est toujours en suivi de la situation de l'impluvium et on constate qu'il y a une baisse structurelle," renchérit le responsable de la DDT du Puy-de-Dôme"L'élément déclencheur est plus, de notre point de vue, à trouver dans d'autres facteurs, notamment le changement climatique, mais ce n'est pas la Société des Eaux de Volvic qui déclenche la baisse de la ressource," souligne-t-il.

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Pour le responsable de la DDT du Puy-de-Dôme, Guilhem Brun, "ce n'est pas la Société des Eaux de Volvic qui déclenche la baisse de la ressource"Euronews

"Volvic ne prélève pas dans une poche à part"

Une affirmation qui ne convainc pas François-Dominique de Larouzière, géologue et membre de l'association locale de défense de l'environnement PREVA. La baisse du débit des ruisseaux de la région ne peut pas être imputée à la dérive climatique, dit le géologue, du fait de la particularité de la zone aquifère de Volvic .

"L'eau qui tombe ne va pas tomber sur des terrains imperméables, mais sur des terrains volcaniques qui sont extrêmement poreux et extrêmement perméables," explique le géologue. "Tout va pénétrer dans le sol et surtout, cela va mettre un certain temps à se propager depuis la zone où l'eau tombe jusqu'à l'exutoire de Volvic," dit-il. "Quelle que soit la pluviométrie instantanée, il n'y a pas de variation de débit à ce niveau-là puisque cela sera lissé sur plusieurs années," affirme-t-il.

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"Tous les ans, il y a une maintenance de l'usine de Volvic pendant laquelle ils arrêtent de pomper pendant quelques jours," renchérit François-Dominique de Larouzière. "Au bout d'une quarantaine de jours, on voit le débit des résurgences qui remonte de façon extrêmement importante et sans aucune corrélation avec une pluviométrie à ce moment-là," constate-t-il.

"C'est un élément qui montre que Volvic ne prélève pas dans une poche à part, totalement isolée du reste, mais que ces prélèvements ont de l'influence sur l'ensemble des débits des résurgences qui sont situées très en aval," affirme-t-il.

"Il y a aussi l'alimentation en eau potable des populations locales," rappelle le géologue. "Cela représente à peu près le double de ce que prélève la Société des Eaux de Volvic," explique-t-il. "On est arrivé à des prélèvements qui sont bien supérieurs aux capacités de renouvellement de la ressource," indique-t-il.

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Christian Amblard et François-Dominique de Larouzière, de l'association PREVAEuronews

"On demande le respect de la loi"

Nous rejoignons Christian Amblard, un autre membre de l'association PREVA, hydrobiologiste, aux abords d'un ruisseau dont le niveau a baissé au fil des ans.

Outre une concentration croissante de polluants, les conséquences de la baisse des niveaux d'eau sont alarmantes, souligne Christian Amblard. "L'impact est sur toute la biodiversité de part et d'autre du ruisseau, notamment au niveau de la végétation et puis, avec cela, il y a toute une faune associée au ruisseau qui n'existe plus," fait-il remarquer. "Ce n'est pas exagéré de dire que c'est un début de désertification de la zone," renchérit-il.

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"On demande le respect de la loi qui dit explicitement quelles sont les priorités d'usage de la ressource en eau, l'adduction d'eau potable et l'alimentation des écosystèmes, qu'ils soient naturels ou agricoles," souligne l'hydrobiologiste. 

"On n'a pas une opposition de principe à la commercialisation de l'eau, mais il ne faut pas inverser les priorités," insiste-t-il.

Journaliste • Valérie Gauriat

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