Le film de la semaine: Chouf de Karim Dridi

Le film de la semaine: Chouf de Karim Dridi
Par Frédéric Ponsard
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Quelques semaines après la sortie de Divines, c’est un autre film présenté à Cannes qui nous plonge au cœur des cités en déshérence. On passe du 93 aux quartiers nord de Marseille avec ce Chouf bien ficelé et nerveux à souhait, entre film de gangster et drame antique. Une réussite à tout point de vue.

Le film le plus arabe du cinéma français ? En tout cas, Karim Dridi, français d’origine tunisienne sait de quoi il parle. Il y a 20 ans, il avait tourné Bye-Bye dans les cités marseillaises, abordant déjà les problèmes de drogue et délinquance. Il avait à nouveau dégainé à la fin des années 2000 avec Khamsa. Chouf nous immerge immédiatement de la même façon dans un monde auquel médias et les journalistes n’ont pas accès. Dridi a en effet tourné sur les vrais lieux de deal, avec des jeunes de ces quartiers : « Pour être toléré dans ces quartiers, je n’ai pas été voir la police, parce que la police n’aurait rien pu faire pour moi, donc je me suis fait accepter par certaines personnes qui m’ont toléré sur leur territoire. Sans ça on ne peut pas faire un film comme Chouf ». Dont acte, bienvenu sur la Planète Marseille, ou plutôt sa face cachée.

Chouf signifie « regarde » en arabe. C’est aussi le nom des guetteurs des réseaux de drogue de Marseille. Sofiane, 24 ans, brillant étudiant, réintègre le business de son quartier après le meurtre de son frère, un caïd local. Car pour retrouver les assassins, il est prêt à tout. Dès les premières scènes, on comprend que Dridi ne va prendre le temps de nous faire un exposé sociologique sur le ghetto. Le film enchaîne les séquences, monte en tension, grâce à une très belle bande-son qui rythme le récit, un montage syncopé et une mise en scène ample qui va donner aux scènes d’action une vraie force de percussion. Il sait aussi très bien utiliser dans ses prises de vues le contraste du ciel bleu et du béton : une tragédie méditerranéenne dans une jungle urbaine, en somme. Plusieurs scènes qui démarrent en douceur montrent à quel point la violence est ancrée dans les relations sociales et s’est banalisé au point d’être le principal moteur des relations sociales. Sofiane, posé et lettré, malgré réticences et résistances, basculera lui aussi, insensiblement, du côté obscur de la force, _Comme un aimant_…

Dridi, comme un cousin éloigné de Spike Lee, nous embarque dans cette communauté des petits dealers sans pour autant en faire des héros. Le casting est l’une des plus grandes réussites du film. Dridi a mis des mois à trouver ses acteurs, qui sont tous extraordinaires, avec une mention spéciale pour Foued Nabba qui interprète Reda, le chef de bande et Zine Darar en « Marteau », chien fou et meilleur ami de Sofiane. Mais contrairement à Kassovitz dans La Haine, il n’y a pas d’esthétisation de la violence ni d’héroïsation des racailles. Il ne cherche pas à rendre ses personnages sympathiques, et même Sofiane qui est le trait d’union entre la normalité et le caïdat n’a pas un beau rôle. Lui aussi fera verser le sang, lui aussi trahira, lui aussi se vengera. Il ne vaut pas mieux que les autres. Il sera gangrené par un environnement où l’illégalité et le droit du plus fort sont les règles.

Frédéric Ponsard

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