Costa-Gavras frappe fort contre l'Europe de la finance

Costa-Gavras frappe fort contre l'Europe de la finance
Par Frédéric Ponsard
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Costa-Gavras signe un thriller politique et financier haletant, s'inspirant de l'énorme crise qu'à connue la Grèce en 2015. Basé sur le livre du Ministre des Finances grecque de l'époque, Yanis Varoufakis.

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Adults in the Room, Costa-Gavras (2h04)

Sortie le 6 novembre

Le nouveau film de Costa-Gavras est à l’image de son réalisateur : engagé et farouchement anti-capitaliste. Tiré du livre de Yanis Varoufakis, Ministre grec des finances au moment de la crise de 2015, Adults in the Room est une plongée au cœur des rouages financiers de l’Union européenne. Pédagogique et haletant.

Il est d’abord nécessaire de rappeler l’importance d’un auteur comme Konstantinos Gavras qui, dès la fin des années 60, va indissociablement lier cinéma et politique. Avec Z, son troisième film, il accède à la notoriété en dénonçant, sans la nommer explicitement, la dictature des colonels en Grèce, offrant au passage l’un de ses meilleurs rôles à Jean-Louis Trintignant en petit juge opiniâtre. Suivront ensuite L’Aveu, sur les procès staliniens avec un Yves Montand au sommet de sa carrière, mais aussi Section Spéciale sur la tentaculaire CIA en Amérique latine ou encore Missing sur le coup d’état de Pinochet au Chili. Depuis le début des années 2000, il a signé un pamphlet contre le Vatican et son rôle pendant la seconde guerre mondiale (Amen, avec Mathieu Kassovitz), et deux thrillers (Le Couperet et Le Capital) dénonçant les ravages du libéralisme économique et du capitalisme tout-puissant. Bref, un auteur essentiel en ces temps où les artistes ne s’engagent que très tièdement.

Adults in the room est dans la parfaite continuité de sa filmographie. Et à 86 ans, Costa-Gavras a trouvé la simplicité et la justesse de ton pour parler d’un drame social, économique et politique qui a touché de près son pays natal. En 2015, la Grèce, exsangue et endettée, porte au pouvoir le parti de la gauche radicale, Syriza, et son leader charismatique, Alexis Tsipras, épaulé par le non moins charismatique Yanis Varoufakis, nommé Ministre des finances, et qui va, contre vents et marées, se battre contre l’austérité prônée par la Troïka composée de la Commission européenne, de la Banque Centrale Européenne (BCE) et du Fonds Monétaire International (FMI).

Le film est l’histoire de ce combat de 6 mois de cet homme qui alterne entre un Don Quichotte hellénique se battant contre les moulins boursiers (donnant lieu d’ailleurs à une belle scène d’animation où les chiffres s’envolent littéralement au sein de l’hémicycle bruxellois), et un Zorro des temps modernes bravant les armées de financiers qui appelle le peuple grec à se serrer encore plus la ceinture et à rembourser une dette devenue colossale, mais générée paradoxalement par le laisser-aller des banques françaises et allemandes.

Adults in the Room est évidemment clivant, et a d’ailleurs partagé la Grèce en deux lors de sa sortie. Le film est à charge contre la Troïka puisqu’il épouse la thèse de Varoufakis, farouche défenseur d’un état-providence et opposé au dépeçage des services publics pour rembourser la dette extérieure. Pourtant le film évite le manichéisme, il choisit simplement son camp, et poussa la logique au bout en faisant de Varoufakis le dernier rempart à un rêve de gauche qui va s’effriter à la fin du film. Ce que dénonce Costa-Gavras, au-delà de la doxa financière, c’est le double langage constant des puissants (les scènes avec Michel Sapin sont consternantes de duplicité), les complots et les trahisons qui s’ourdissent dans l’ombre et, au final, l’absence d’empathie pour le peuple de la part des bureaucrates, au détriment d’une logique de chiffres.

Mais la grande réussite du film est sa clarté, malgré l’aridité du propos, et son intransigeance concernant les fondements de la démocratie, où le peuple se doit d'être représenté et défendu dignement, et non gouverné dans l'ombre par des comptables. Et le cinéaste choisit même un certain humour et une théâtralité assumée dans certaines scènes, notamment l’éblouissante scène onirique finale, où les masquent tombent dans une chorégraphie méphistophélique. La tragédie grecque n’est pas loin, bien sûr. La narration cinématographique du récit est à la hauteur, sans temps mort,un montage syncopé où les situations s’enchaînent, l’histoire en marche racontée comme un thriller à suspense dont on ne connaîtrait pas l’issue, et portée par un magnifique acteur, Christos Lullis dont le charisme approche celui du véritable Yanis Varoufakis, éternel jeune homme circulant à moto, en sac à dos, lunettes noires et blouson en cuir. Un vrai héros de cinéma.

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