Entre pressions politiques internes et besoin de financements face à la menace russe, de nombreux Etats ont décidé de réduire leurs budgets d'aide au développement.
Alors que la nouvelle administration Trump s'est lancée dans une croisade controversée pour rendre son administration plus efficace, en coupant notamment drastiquement dans les fonds alloués par les Etats-Unis à l'aide au développement, plusieurs Etats européens, dont la France, le Royaume-Uni, la Suisse, l'Allemagne, et les Pays-Bas - qui figuraient parmi les plus généreux donateurs au monde - ont eux aussi considérablement réduit leurs budgets d'aide au cours des derniers mois. Mais pour quelles raisons ? Tour d'horizon.
Cette tendance s'inscrit tout d'abord dans un contexte d'escalade des tensions géopolitiques et d'incertitude économique mondiale, les pays choisissant de se concentrer davantage sur leurs propres besoins, tels que l'augmentation des dépenses de défense et ou sur des mesures de relance des économies nationales.
En Europe, ces coupes budgétaires ont souvent été décidées sous la pression des partis nationalistes et ou d'extrême droite. A noter que l'aide étrangère est principalement mesurée par l'aide publique au développement (APD), que les pays riches offrent aux pays en développement. L'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) recommande ainsi aux pays donateurs d'essayer d'allouer au moins 0,7 % de leur revenu national brut (RNB) à l'aide étrangère.
En France, alors que les finances publiques se sont très fortement dégradées ces dernières années, le gouvernement s'est finalement engagé a réduire son APD de 37% pour 2025 soit une baisse de plus de 2 milliards d’euros par rapport à l'an dernier. Une décision fustigée par les ONG. Ce coup de rabot fait aussi écho aux critiques entendues ces dernières mois, de la droite à l'extrême droite, contre des dépenses jugées dispendieuses et déconnectées des besoins des Français. Une tendance qui s'inscrit aussi dans le cadre d'une absence de majorité stable à l'Assemblée nationale française.
En Belgique et aux Pays-Bas : les nouvelles coalitions au pouvoir ont décidé de réduire leur financement de l'aide au développement de 25 % sur cinq ans en Belgique, tandis que les Pays-Bas ont décidé de réduire l'APD de 30 % au cours des trois prochaines années, soit un total de 2,4 milliards d’euros d’ici à 2027.
En Finlande et en Suède : les récents changements politiques, tels que l'arrivée au pouvoir de partis d'extrême droite dans ces deux pays, ont également fortement influencé les réductions de l'aide au développement.
Au Royaume-Uni : la guerre entre en Ukraine et la menace d'une escalade de la guerre commerciale avec les États-Unis ont également conduit les nations à donner la priorité aux dépenses de défense plutôt qu'à l'APD. Ainsi, le Ppremier ministre britannique Keir Starmer a-t-il annoncé en février dernier que les niveaux d'aide seraient réduits de 0,5 % du RNB actuellement à 0,3 % du RNB d'ici 2027, ce qui est historiquement bas. Le pays a systématiquement réduit le financement de l'aide au cours des dernières années, en raison d'une économie post-Brexit à la traîne et de l'impact économique de la pandémie. Les dépenses de défense seront portées à 2,5 % du PIB à partir d'avril 2027.
Quelles conséquences pour les pays vulnérables ?
Ces coupes budgétaires pourraient avoir des conséquences dévastatrices pour les pays vulnérables qui dépendent fortement de l'aide financière étrangère, comme la Tanzanie, le Bangladesh et la Zambie.
L'aide européenne au développement vient en aide à de nombreux pays et régions vulnérables dans le monde entier. Ces fonds sont destinés à la stabilisation économique, aux projets de développement, aux programmes de santé, à l'aide économique et à la lutte contre la pauvreté, au changement climatique et aux causes humanitaires, entre autres.
"De nombreux pays du Sud sont confrontés au double défi de la pauvreté et de la vulnérabilité climatique. Pour eux, le financement de la lutte contre le changement climatique est essentiel, non seulement pour l'atténuation, mais aussi pour l'adaptation", explique Thanos Verousis, professeur de finance durable à la Vlerick Business School.
"En l'absence de mesures de protection adéquates, les réductions de l'aide étrangère compromettront les efforts déployés pour renforcer la résilience climatique, notamment en matière de préparation aux catastrophes, de réformes agricoles et d'initiatives dans le domaine des énergies renouvelables. Ces réductions laisseront ces pays encore plus exposés aux chocs économiques et environnementaux, amplifiant les risques du changement climatique et du sous-développement."
Niki Ignatiou, responsable du programme "Femmes, paix et sécurité" d'ActionAid UK, a souligné que la réduction des budgets d'aide contribuerait à aggraver les crises des droits de l'homme dans certains pays.
"Rediriger l'APD des communautés touchées par les crises vers le financement d'autres conflits n'est pas seulement une erreur morale, c'est aussi une atteinte à la stabilité mondiale et aux engagements du Royaume-Uni en matière de droits de l'homme et de justice entre les sexes", déclare-t-elle.
"Le ministre britannique des affaires étrangères a reconnu que la crise climatique alimentait les conflits et les déplacements de population. Pourtant, la réduction de l'APD destinée aux communautés les plus touchées par le changement climatique ne fera qu'aggraver les injustices les plus durement ressenties par les femmes et les jeunes filles. Cette décision doit être annulée avant qu'elle ne cause des dommages irréparables", ajoute-t-elle.
Quelles conséquences pour les objectifs de financement du climat fixés lors de la COP29 ?
Ces réductions pourraient également faire dérailler les objectifs de financement de la lutte contre le changement climatique que les pays développés se sont engagés à atteindre lors de la COP29 en novembre 2024.
Or, des experts ont souligné le danger de perdre de vue la nature systémique et mondiale du changement climatique au profit des questions nationales.
"Les catastrophes d'origine climatique ne respectent pas les frontières", rappelle Carsten Brinkschulte, PDG et fondateur de Dryad Networks, une entreprise technologique qui lutte contre les incendies de forêt. "Réduire l'aide, en particulier le financement qui soutient l'adaptation et la résilience au climat, n'est pas seulement à courte vue, mais aussi économiquement peu judicieux. Les investissements préventifs dans les régions vulnérables sont nettement moins coûteux que la gestion des retombées d'un risque climatique non maîtrisé", déclare-t-il.
Lors de la COP29, les pays développés ont accepté de fournir chaque année au moins 300 milliards de dollars (277,8 milliards d'euros) de financement climatique aux pays en développement d'ici à 2035. C'est le triple de l'objectif précédent de 100 milliards de dollars (92,6 milliards d'euros), avec un objectif global d'au moins 1,3 billion de dollars (1,2 billion d'euros) d'ici 2035.
Toutefois, en raison des récentes réductions de l'aide européenne, il pourrait être beaucoup plus difficile pour les pays d'Europe occidentale et septentrionale d'atteindre cet objectif ambitieux.
En théorie, les pays développés sont censés maintenir des budgets distincts pour l'aide au développement et le financement de la lutte contre le changement climatique. Cela signifie que le financement de la lutte contre le changement climatique doit s'ajouter à l'aide au développement normale, et non la remplacer.
Parmi les éléments qui contribuent à la difficulté de maintenir des budgets distincts, on peut citer le chevauchement des objectifs, par exemple lorsque plusieurs projets de développement ont également des retombées positives sur le climat. Les ressources limitées et le manque de définitions ajoutent également à ce problème.
Certains pays qui utilisent un seul fonds pour les deux ont tendance à affecter des fonds à des projets climatiques et à des objectifs de développement plus larges, afin de créer une certaine distinction.
De nombreux pays atteignent également leurs objectifs en matière de financement climatique en réaffectant l'aide au développement existante au financement climatique, au lieu de fournir de nouveaux fonds comme ils le devraient. En 2022, 27 milliards de dollars (25,1 milliards d'euros) des 94,2 milliards de dollars (87,4 milliards d'euros) d'augmentation annuelle des fonds publics pour le climat provenaient de l'aide au développement existante.
La Nouvelle-Zélande et le Luxembourg font partie des quelques pays développés qui séparent clairement le financement climatique et l'aide au développement.
Les objectifs de la COP en matière de financement de la lutte contre le changement climatique seront affectés, mais on ne sait pas encore dans quelle mesure. Le Royaume-Uni et la Suède ont déclaré qu'ils restaient attachés à leurs objectifs en matière de financement de la lutte contre le changement climatique. Sarah Hearn OBE, ancienne responsable de l'aide britannique, explique à Euronews : "Les Pays-Bas ont annoncé qu'ils réduiraient leur financement climatique en 2025 dans le cadre de leur approche de l'aide "Les Pays-Bas d'abord", et la Suisse a déjà réduit une partie de son financement climatique. La France est en train de revoir son aide et de déterminer où les coupes doivent être faites. Le tableau est donc sombre pour les défenseurs de la COP", ajoute-t-elle.
L'Allemagne a réduit son financement climatique à 5,7 milliards d'euros en 2023. Cependant, elle s'est engagée à être le plus grand donateur de financement climatique lors de la COP29, en fournissant 60 millions d'euros au Fonds d'adaptation.
Thanos Verousis, professeur de finance durable à la Vlerick Business School, est plus optimiste quant aux objectifs de l'UE en matière de financement climatique.
"Dans les pays où le changement climatique est encore au second plan des priorités politiques, nous pourrions assister à des écarts importants par rapport aux engagements pris lors de la COP. En revanche, dans les régions comme l'UE, où le changement climatique reste une priorité absolue, les engagements en matière de financement climatique devraient rester au premier plan de l'agenda", explique-t-il.
La diminution de l'aide signifie également que les pays vulnérables perdent un accès important aux outils technologiques clés liés au climat, souvent indispensables pour lutter contre les catastrophes naturelles.
"Ces régions sont souvent durement touchées par les phénomènes climatiques : incendies, inondations, sécheresses et déforestation. La réduction de l'aide empêche l'accès à l'innovation technologique et aux services essentiels qui peuvent renforcer la résilience climatique locale", commente M. Brinkschulte.
"Cela risque de créer une boucle dangereuse : plus de chocs climatiques, plus de déplacements, plus d'instabilité économique et plus de besoins d'aide à long terme. La prévention est la seule stratégie durable."
Comment les pays peuvent-ils éviter de réduire leur aide ?
Au lieu de réduire impitoyablement l'aide étrangère, plusieurs experts préconisent que les nations européennes réorientent l'aide vers les régions qui en ont le plus besoin, ou qu'elles la considèrent comme un investissement dans les pays vulnérables et dans les efforts de lutte contre le changement climatique.
Selon M. Verousis, "au lieu de réduire l'aide, une solution plus souple pourrait consister à redéfinir les priorités en matière d'attribution de l'aide étrangère. Les gouvernements pourraient s'efforcer d'accroître l'efficacité, de mieux cibler l'aide et de tirer parti du soutien des organisations internationales et des banques de développement."
"Cette approche permettrait une utilisation plus stratégique de ressources limitées, tout en continuant à répondre aux besoins mondiaux."
Considérer l'aide comme un investissement, plutôt que comme un don, pourrait également aider à recadrer les perspectives européennes en matière de financement de la lutte contre le changement climatique.
"Recadrer l'aide en tant qu'investissement est une option", souligne Carsten Brinkschulte. "Un euro consacré à la résilience climatique aujourd'hui permet d'économiser plusieurs euros en interventions d'urgence, en indemnités d'assurance et en coûts de migration plus tard. En outre, la réorientation des subventions accordées aux combustibles fossiles - encore importantes dans de nombreux pays - pourrait générer des fonds sans accroître la pression budgétaire."