En Hongrie, faire des bébés, ça rapporte !

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Par Hans von der Brelie avec STEPHANIE LAFOURCATERE
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Confrontée à un dramatique recul démographique, la Hongrie mène une politique familiale volontariste qui comprend notamment un programme de soutien financier aux futures familles…

Confrontée à un dramatique recul démographique, la Hongrie mène une politique familiale volontariste qui comprend notamment un programme de soutien financier aux futures familles nombreuses. Les couples qui s’engagent à avoir trois enfants dans les dix ans touchent l‘équivalent de 32.000 euros à condition qu’ils fassent construire leur logement. Une initiative du gouvernement ultraconservateur de Viktor Orbán jugée volontariste par les uns, intrusive dans la vie privée par les autres.

A Öttömös, un village du Sud de la Hongrie, l‘école ne connaît pas les classes surchargées. Le nombre d‘élèves y est en baisse comme ailleurs dans le pays. La faute à un faible taux de natalité qui explique notamment le recul démographique auquel est confronté le pays. Sa population est ainsi passée sous la barre des dix millions d’habitants en début d’année.

L’enseignement catholique vient de passer un contrat avec l‘établissement, le sauvant de la fermeture, car comme nous l’indique le maire du village, cette école a perdu la moitié de ses effectifs en onze ans. “Il y a une vingtaine d’années, quand je venais dans cette école, indique István Dobó, il y avait plus de dix élèves par classe ; aujourd’hui, en moyenne, ils sont plutôt six ou sept. En fait, poursuit-il, il y a un groupe d‘âge où on ne compte que trois enfants et un autre où c’est zéro.” Et le problème va s’aggraver : onze élèves vont bientôt quitter l‘établissement et seuls trois y entameront leur scolarité.

Dans la classe d’Emese Ördögné Illés, les enfants de niveau deux et quatre sont ensemble. Une situation qui a aussi un intérêt d’après l’enseignante. “Le grand avantage des classes doubles, c’est que les enfants s’habituent à travailler seuls alors que dans les classes à un seul niveau, ils reçoivent plus d’aide et apprennent moins de manière autonome,” fait-elle remarquer.

“Un programme qui nous permet de réaliser notre rêve”

La Hongrie se vide et en particulier ses campagnes. Un dépeuplement accentué en partie par le départ de jeunes Hongrois à l‘étranger. Comment inverser la tendance ? Le gouvernement hongrois a trouvé une solution inédite en lançant notamment une politique nataliste musclée.

Dans le sud du pays, à Szeged, les Guta disposent de revenus modestes. Il y a le père, mécanicien dans l’armée, la mère secrétaire et leurs deux enfants. Ils font partie des premiers à bénéficier d’un programme de soutien financier aux futures familles nombreuses. Comme nous l’indique notre reporter Hans von der Brelie, la famille s’apprête à toucher dix millions de forints parce qu’elle s’engage à avoir un troisième enfant comme elle le désirait.”

Dix millions de forints, c’est environ 32.000 euros. Quand on sait que le salaire mensuel moyen correspond à 800 euros, cette prime à la naissance versée pour trois enfants semble très généreuse. En réalité, elle concerne uniquement les familles qui prévoient de construire un logement.

Les Guta habitent dans un appartement de 60 m² et une troisième naissance les oblige à déménager et les expose à des frais. Le père de famille a touché un complément de revenus en effectuant des missions en Afghanistan, mais cela ne suffit pas. Alors, le programme est pour eux, une aide indispensable.

“On a un rêve : c’est d’acheter une maison avec un jardin et d’avoir un troisième enfant, dit la mère de famille, Erzsébet Gutáné Nagy. Ce nouveau programme pour les familles nous permet de le réaliser et d’envisager vraiment cette nouvelle naissance,” insiste-t-elle.

L’idée du gouvernement ? Si vous promettez de faire trois enfants, vous toucherez de l’argent ! Les couples qui s’engagent ont quatre ans pour avoir un premier enfant, huit ans pour le deuxième et dix ans pour le troisième, sachant qu’ils ne doivent pas se séparer entre temps.

“Quelles sont les conditions que vous devez remplir ?” demande notre reporter à Erzsébet Gutáné Nagy. “Il y en a plusieurs, répond-elle, on doit financer l’achat du terrain par nos propres moyens (avec notre épargne ou un crédit), on doit avoir un emploi et aussi, on doit avoir cotisé à la Sécurité sociale de manière régulière et sur une longue période.”

Calcul politique ?

A Budapest, le gouvernement ultraconservateur a fait de la politique familiale, l’un des piliers de son action. Il développe l’offre de modes de garde, mais il accorde aussi aux familles, des allégements fiscaux et des aides au logement pour un montant total annuel d’un milliard et demi d’euros.

Viktor Orbán : isolé au sein de l'UE, populaire sur ses terres >> http://t.co/SfREiIOP3E via euronews</a> <a href="https://twitter.com/hashtag/Hongrie?src=hash">#Hongrie</a> <a href="http://t.co/H2ScO6s56d">pic.twitter.com/H2ScO6s56d</a></p>&mdash; Joël Le Pavous (j_lepavous) 23 septembre 2015

“Cela peut sembler fou : dix millions de forints pour un, deux puis trois enfants, je me demande s’il ne s’agit pas d’un calcul politique des autorités, s’interroge Hans von der Brelie. Pourquoi donc le gouvernement de Viktor Orban distribue-t-il autant d’argent aux familles ? Voyons ce qu’il en est,” dit-il.

Nous rendons visite à la Secrétaire d’Etat à la famille, Katalin Novák. Elle nous dit vouloir aider les femmes à mieux concilier emploi et obligations familiales. Mais en Hongrie, peu de mères d’enfants de moins de six ans occupent un emploi et cette politique favorable aux familles nombreuses ne changera pas nécessairement la donne.

“Vous voulez que les familles hongroises aient trois enfants, lui précise notre reporter. Quel est le problème d’un point de vue démographique et quelle solution proposez-vous ?” lui demande-t-il.

“Aujourd’hui, on a un recul démographique depuis 34 ans, fait remarquer Katalin Novák. Notre réponse à ce défi, ce n’est pas l’immigration, poursuit-elle, nous avons des ressources en interne sur lesquelles nous voulons nous concentrer. En termes financiers, nous consacrons 4% de notre PIB aux politiques de soutien à la famille, c’est plus que la moyenne pour les pays de l’OCDE qui est de 2,55%,” affirme-t-elle.

Ce programme qui soutient les futurs parents, mais aussi le secteur du bâtiment, s’appelle CSOK – “bise” en hongrois -. Mais à qui le gouvernement fait-il la bise ? Pas aux chômeurs, ni aux plus pauvres. Ce sont les catégories intermédiaires et supérieures qui sont visées.

“Le gouvernement dit : “Non aux migrants. Oui aux bébés hongrois. Pourquoi d’après vous ?” demande notre reporter à Péter Krekó, directeur de l’institut Political Capital (Budapest). Voici sa réponse : “Si on se place dans le contexte politique, la logique principale derrière cette décision, c’est que le gouvernement veut conserver une image positive auprès de ses électeurs, assure-t-il. De ce point de vue, c’est une très bonne mesure, mais pour en finir avec le recul démographique, ce programme de soutien est insuffisant, c’est certain,” insiste-t-il.

Inégalités face à l’accession à la propriété

Mais revenons à l’argent et en particulier, à ces coquettes sommes offertes aux futurs parents. Nous avons rendez-vous avec un courtier spécialiste de l’immobilier. Pour Péter Gergely, analyste économique et cofondateur de BankRáció, ce programme de soutien est inégalitaire.

“Dix millions de forints pour trois enfants, quel est l’impact économique d’un tel programme ?” lui demande Hans von der Brelie. “L’aspect négatif est assez important, estime Péter Gergely, si vous ne voulez pas avoir trois enfants, vous devrez payer le prix maximum pour acquérir un logement. Or du fait de cette mesure, ajoute-t-il, les prix de l’immobilier ont augmenté de 10 à 20% du jour au lendemain : c’est un gros problème pour ceux qui ne peuvent pas toucher l’aide du gouvernement.”

Dans un autre immeuble ancien de la capitale, nous allons rencontrer une jeune artiste qui a créé le buzz sur les réseaux sociaux en s’opposant au gouvernement Orban et à ses primes à la naissance. Photographe, Zsuzsanna Simon s’est maintes fois mise en scène pour marquer les esprits.

“Une politique insultante”

“Je ne mettrai pas d’enfant au monde tant que ce gouvernement sera en place.” Voilà ce que Zsuzsanna a inscrit sur son ventre avant de se prendre en photo et de poster les clichés sur la toile. Au vu du nombre d’internautes qui la suivent, un certain nombre de femmes partagent son approche féministe. Ses photos seront bientôt exposées dans une galerie de Budapest.

“Qu’est-ce qui vous pousse à protester ?” lui demande notre reporter. “Cette politique est insultante, elle nous dicte combien d’enfants on devrait avoir, lui répond la jeune artiste. Pourquoi les responsables politiques mettent leur nez là-dedans ? C’est notre vie privée, ils ne devraient pas légiférer là-dessus !” lance-t-elle.

“Quelles ont été les réactions ?” demande Hans von der Brelie.

“Il y a eu beaucoup de réactions, des positives et des négatives, mais la plupart étaient négatives, précise la jeune femme. Des gens m’ont envoyé des photos choquantes et j’ai aussi reçu des messages de haine : par exemple, quelqu’un m’a écrit : “Ta race ne devrait plus se reproduire,” dit-elle.

Toucher cette aide n’est pas sans risques pour les bénéficiaires. S’ils ne parviennent pas à avoir trois enfants, à moins d’une raison médicale recevable, ils devront rendre l’argent, avec des pénalités.

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