Euroviews. Les dirigeants européens devraient prendre au sérieux les protestations des agriculteurs

Des agriculteurs se rendent en tracteur dans la ville de Poznan, dans le cadre d'une manifestation nationale contre la politique agraire de l'Union européenne, février 2024.
Des agriculteurs se rendent en tracteur dans la ville de Poznan, dans le cadre d'une manifestation nationale contre la politique agraire de l'Union européenne, février 2024. Tous droits réservés AP Photo/Euronews
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Par Radu Magdin
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Cet article a été initialement publié en anglais

"La capacité des minorités enragées à agirne doit pas être sous-estimée, car elle présente des risques politiques et électoraux importants - les dernières semaines l'ont prouvé", écrit Radu Magdin.

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Il n'est pas nécessaire d'être un observateur ou un analyste politique sophistiqué pour reconnaître qu'un nombre sans précédent d'agriculteurs européens est descendu dans la rue.

En cette année super-électorale, avec les élections européennes prévues pour le début du mois de juin, ils cherchent à tirer parti de l'opportunité politique.

D'un point de vue stratégique, c'est le meilleur moment pour exprimer leurs griefs et obliger les responsables politiques à prêter attention à ce qu'ils ont à dire.

Les agriculteurs maximisent leurs chances de succès. Il ne faut donc pas condamner trop sévèrement leur tactique, même si leur approche cause des maux de tête dans de nombreuses villes et capitales européennes.

Ce serait une erreur de se concentrer uniquement sur les répertoires de protestation, sur ce que les agriculteurs peuvent faire pour rendre leurs revendications plus convaincantes et plus vivantes pour ceux qui assistent aux manifestations et qui sont, plus ou moins, affectés par elles.

Indépendamment du nombre de mèmes que l'on peut voir sur les médias sociaux, ou d'images générées par l'IA avec des bottes de paille entourant la Tour Eiffel, il s'agit de bien plus qu'un exercice esthétique.

Une invitation à une discussion honnête

De nombreux agriculteurs européens, en particulier les plus petits et ceux qui font partie d'exploitations familiales, souffrent.

Pour eux, cette activité fait partie de leur identité et ils ont de plus en plus de mal à survivre économiquement dans un monde où tous les intrants sont de plus en plus chers, ce qui les oblige à réduire leurs marges jusqu'à ce que le profit devienne une chimère.

En outre, il faut voir dans tout cet épisode plus qu'une tentative de négocier en position de force sous la menace que les agriculteurs (et le monde rural en général) abandonnent leurs penchants pour le vote conservateur ou de centre-droit afin de renforcer les chances de la droite radicale en cette année décisive.

Qui sera le prochain ? Qui exercera une pression accrue sur les élites européennes et nationales ? La façon dont les hommes politiques réagiront à la situation difficile et aux griefs des agriculteurs déterminera en grande partie ce qui se passera.
Un tracteur agricole roule devant le Colisée de Rome pour protester contre les politiques agricoles du gouvernement et de l'UE, février 2024
Un tracteur agricole roule devant le Colisée de Rome pour protester contre les politiques agricoles du gouvernement et de l'UE, février 2024AP Photo/Gregorio Borgia

Ainsi, dans un monde normal, ces manifestations devraient être une invitation à des discussions et à des décisions honnêtes, à des politiques bien pensées et à un véritable engagement qui ne se limite pas à des séances photos et à des coups de pied dans la fourmilière jusqu'à la fermeture des bureaux de vote.

Lorsque l'on observe ces manifestations, l'instinct est de compatir aux demandes de ces personnes et de se demander si cela ne fait pas partie d'une tendance plus large, de divers groupes se sentant abandonnés et aliénés.

On est donc en droit de se demander qui sera le prochain ? Qui exercera une pression accrue sur les élites européennes et nationales ? La façon dont les hommes politiques réagiront à la situation difficile et aux griefs des agriculteurs déterminera en grande partie ce qui se passera.

L'heure est à l'apaisement, pas à l'escalade

Apparemment, une perspective rationnelle commencerait par les chiffres. Ainsi, comme beaucoup l'ont déjà souligné, l'agriculture ne représente que 1,4 % du PIB de l'UE, 4,2 % de l'emploi dans l'UE et 14,3 % des émissions de gaz à effet de serre de l'UE, alors qu'elle reçoit environ 30 % du budget de l'UE.

Dans le contexte de la quête de neutralité climatique de l'UE, de la mise en œuvre du Green Deal et de la lutte contre le changement climatique en général, les agriculteurs ne devraient pas poser trop de problèmes, du moins si l'on considère ces chiffres.

Cependant, la réalité est beaucoup plus nuancée, et nous devrions aborder tout cela sous un angle différent, en tenant compte de l'inégalité politique, de la réactivité et de la volonté d'agir de ceux qui se sentent trahis par leurs représentants.

À la suite du mini-soulèvement des agriculteurs, les gouvernements nationaux se sont empressés d'adopter des politiques favorables à l'agriculture, et l'UE a fait de sérieuses concessions qui pourraient être considérées comme une dilution importante du "Green Deal" et de la stratégie "de la ferme à la table".
Les agriculteurs polonais, en colère contre la politique agraire de l'UE, manifestent devant le bureau du gouverneur régional, à Poznan, février 2024
Les agriculteurs polonais, en colère contre la politique agraire de l'UE, manifestent devant le bureau du gouverneur régional, à Poznan, février 2024AP Photo/Czarek Sokolowski

À la suite du mini-soulèvement des agriculteurs, nous avons vu les gouvernements nationaux se précipiter pour adopter des politiques favorables à l'agriculture, et l'UE faire de sérieuses concessions qui pourraient être considérées comme une dilution majeure du Green Deal et de la stratégie "de la ferme à la fourchette".

Tout à coup, au cours d'une année électorale clé, tous les décideurs sont devenus réticents à prendre des risques. Il y a quelques jours, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a salué la "remarquable résilience" des agriculteurs et a annoncé que "les agriculteurs peuvent compter sur le soutien de l'Europe".

En outre, elle a lancé des "dialogues stratégiques", dont l'objectif est de répondre aux demandes de ceux qui travaillent sur la terre.

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Il s'agit là d'une évolution positive, et il convient de féliciter les dirigeants européens et nationaux d'avoir compris la position de l'opinion publique et que l'heure est à la négociation et à l'apaisement, et non à l'escalade.

Ramener les élites sur terre

Dans le même temps, tous ces événements mettent en lumière un establishment politique très réactif. Plutôt que de parier sur l'absence de réaction des agriculteurs et de s'étonner de les retrouver à Bruxelles, devant les principales institutions européennes, un homme politique visionnaire (voire réélu) aurait pu anticiper tous ces événements.

Bien entendu, nous ne demandons pas aux hommes politiques de prédire l'avenir ou de devenir des super-prédicateurs. Cependant, il est clair qu'ils doivent mieux comprendre les conséquences des politiques qu'ils proposent.

Pour tous ceux qui aiment l'Union européenne, l'image que l'on peut tirer de ces manifestations est celle d'élites politiques si éloignées du public qu'il faut les ramener sur terre pour comprendre ce qui se passe réellement sous leur regard.
Des piétons traversent la route alors que des agriculteurs avec leurs tracteurs marchent dans le centre de la ville tout en participant à une manifestation, à Pampelune,2024
Des piétons traversent la route alors que des agriculteurs avec leurs tracteurs marchent dans le centre de la ville tout en participant à une manifestation, à Pampelune,2024AP Photo/Alvaro Barrientos

L'une des principales leçons à retenir est que les effets positifs globaux de la réglementation importent peu. Ce sont les effets distributifs qui déclenchent la mobilisation et l'action, et ceux-ci doivent être nettement mieux estimés afin que les perdants probables soient rapidement et convenablement indemnisés.

La capacité des minorités enragées à agir ne doit pas être sous-estimée, car elle présente des risques politiques et électoraux importants - les dernières semaines l'ont prouvé.

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Pour tous ceux qui aiment l'Union européenne, l'image que l'on pourrait tirer de ces manifestations est celle d'élites politiques si éloignées du public qu'il faut les ramener sur terre pour qu'elles comprennent ce qu'il se passe réellement sous leur yeux.

Un diagnostic correct et un remède à suivre

Une évaluation d'impact insuffisante, un manque d'attention aux conséquences distributives et un manque de réactivité sont quelques-unes des pathologies politiques que nous avons observées ces jours-ci. Il est à espérer qu'après un diagnostic correct, un remède (politique) suivra.

Une plus grande attention portée aux petits agriculteurs, aux entreprises familiales et à la manière dont l'Europe devrait préserver et renforcer sa sécurité alimentaire fait partie de la conversation sérieuse qui devrait suivre ce qui se passe dans les rues principales de l'Europe, de Bruxelles à Bucarest, de Paris à Rome.

Avant de reprocher aux populistes de tirer parti de ces événements, nous devrions tous prendre du recul et nous demander ce qui pourrait être fait pour que les agriculteurs et d'autres catégories similaires reviennent à la politique et à la revendication normales.

Nous devons rendre la politique et la prise de décision un peu plus ennuyeuses, mais aussi beaucoup plus réactives aux besoins du public.

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Radu Magdin est PDG de Smartlink et ancien conseiller des premiers ministres de Roumanie (2014-2015) et de Moldavie (2016-2017).

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