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Finlande : la loi qui autorise les expulsions de migrants venus de Russie vivement critiquée

La nouvelle loi d'urgence finlandaise autorise les gardes-frontières à procéder à des refoulements.
La nouvelle loi d'urgence finlandaise autorise les gardes-frontières à procéder à des refoulements. Tous droits réservés Emmi Korhonen/Lehtikuva
Tous droits réservés Emmi Korhonen/Lehtikuva
Par Barbara Loundou avec Jorge Liboreiro
Publié le
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Cet article a été initialement publié en anglais

Les législateurs finlandais ont approuvé un projet de loi controversé qui autorise les gardes-frontières à refouler les migrants qui tentent d'entrer en Finlande depuis la Russie. Le texte suscite la controverse dans le pays et en Europe.

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"Nous devrions tous être plus finlandais en matière de sécurité".

C'est ainsi qu'Ursula von der Leyen a décrit la capacité de la nation nordique à traiter avec la Russie et à gérer leur frontière commune de 1 340 kilomètres. Ces compétences ont été mises à l'épreuve depuis que Vladimir Poutine a ordonné l'invasion de l'Ukraine, suscitant un sentiment collectif d'urgence au sein de l'Union européenne.

La présidente de la Commission européenne a prononcé la même phrase en avril, lorsqu'elle s'est rendue à Lappeenranta, une petite ville proche de la frontière, en compagnie du Premier ministre Petteri Orpo. Lors d'un point presse commun, Ursula von der Leyen a fermement condamné les "attaques hybrides" de Moscou et a soutenu la réponse d'Helsinki pour les contrer.

Au cours de l'automne, la Finlande a été confrontée à un afflux soudain de centaines de migrants tentant de franchir la frontière. Ils venaient de différents pays tels que la Somalie, l'Irak, le Yémen et la Syrie, et ont été incités par les autorités russes à faire le voyage de l'autre côté de la frontière. La crise de novembre, largement perçue comme un effort concentré du Kremlin pour semer le chaos dans l'État membre de l'OTAN, a conduit à la fermeture de tous les points de passage.

"Il est essentiel de trouver un juste équilibre entre la sécurisation des frontières extérieures et le respect de nos obligations internationales", a déclaré Ursula von der Leyen. "Je suis convaincue que vous mettez tout en œuvre pour que cet équilibre soit atteint".

Trois mois à peine après sa visite, l'équilibre dont elle parlait a pratiquement disparu.

Craignant que la situation d'urgence vécue à l'automne ne se répète, le gouvernement Orpo a présenté en mai une nouvelle loi qui, sous certaines conditions, permettra aux gardes-frontières d'empêcher les demandeurs d'asile de traverser le territoire finlandais et de refuser l'enregistrement de leurs demandes de protection internationale.

Le projet de loi a suscité un débatanimé. Des juristes, experts en matière de migration et des organisations humanitaires ont dénoncé la proposition, qu'ils assimilent à une violation flagrante des normes européennes et internationales.

Le gouvernement en était bien conscient : la loi a été qualifiée de "restrictive" en raison de son conflit inhérent avec la Constitution et nécessitait une majorité des cinq sixièmes au parlement finlandais. Malgré le concert de critiques à l'intérieur et à l'extérieur du pays, le texte a finalement recueilli 167 voix pour et 31 contre.

La législation est entrée en vigueur le 22 juillet et est restée en sommeil depuis. Mais son adoption a suscité une controverse, de nombreuses voix déplorant que la Finlande ait légalisé le refoulement de demandeurs d'asile.

"Plus jamais ça"

La nouvelle loi est conçue comme un outil permanent de lutte contre l'immigration instrumentalisée : elle peut être déclenchée en cas de "soupçon justifié" : si un pays étranger tente de s'immiscer dans les affaires intérieures de la Finlande, ce qui constituerait une menace pour sa souveraineté et sa sécurité nationale. L'application est limitée dans l'espace (le gouvernement doit définir une section de la vaste frontière finlandaise) et dans le temps (un mois ou dès que la menace disparaît).

Une fois la loi en vigueur, les gardes-frontières sont tenus de veiller à "empêcher" l'entrée des migrants instrumentalisés, ce qui, dans la pratique, pourrait signifier les repousser.

Les demandeurs d'asile qui sont déjà entré sur le territoire finlandais doivent être "immédiatement expulsés" et dirigés vers un autre endroit, vraisemblablement près de la frontière, pour que leur demande soit examinée. L'expulsion ne peut faire l'objet d'un appel, mais elle peut être réévaluée. "L'expulsion sera exécutée indépendamment de la demande de réévaluation", précise le texte.

Dans ce contexte, toutes les demandes d'asile seront refusées, sauf si :

  • La demande de réévaluation est acceptée
  • Le demandeur est mineur, handicapé ou dans une "position particulièrement vulnérable"
  • S'il est renvoyé, le demandeur court un "risque réel" d'être soumis à la peine de mort, à la torture ou à tout autre type de traitement inhumain.
Fin 2023, Helsinki a connu un afflux de migrants tentant de passer de la Russie à la Finlande.
Fin 2023, Helsinki a connu un afflux de migrants tentant de passer de la Russie à la Finlande.Jussi Nukari/Lehtikuva

"Cette nouvelle loi prépare la Finlande à la possibilité que la Russie continue d'exercer des pressions pendant longtemps et de manière plus sérieuse et à plus grande échelle", a déclaré un porte-parole du ministère de l'Intérieur. "Nous ne pouvons pas accepter que les gens soient utilisés comme des outils dans des actions hybrides".

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Au cours du processus de rédaction, a expliqué le porte-parole, le gouvernement a examiné "d'autres moyens possibles" pour faire face à la migration instrumentalisée, mais a conclu que ces plans alternatifs seraient insuffisants parce que "les lois nationales et internationales actuelles ne prévoient pas de procédures suffisantes".

Pour Helsinki, le projet de loi d'urgence comble cette lacune flagrante et donne aux autorités la base juridique nécessaire pour agir de manière décisive en temps de crise. Toutefois, depuis la fermeture de tous les points de passage, les arrivées irrégulières ont chuté, ce qui amène à se demander si cette mesure de grande envergure était nécessaire au départ.

Un précédent

Depuis sa création jusqu'à son adoption, la loi a fait l'objet de vives critiques.

L'obligation d'empêcher l'entrée de migrants instrumentalisés et de refuser leur demande d'asile a été critiquée car, si elle est appliquée, elle violerait le principe de non-refoulement, qui interdit aux pays d'expulser des réfugiés vers un lieu où leur vie pourrait être en danger. Ce principe, reconnu dans la Convention de Genève, la Convention contre la torture et la Charte des droits fondamentaux de l'UE, entre autres textes, est considéré comme le principal bouclier contre la pratique du refoulement.

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En outre, la loi risque d'enfreindre l'interdiction des expulsions collectives, car elle pourrait conduire à l'expulsion massive de toutes les personnes considérées comme des pions dans les jeux malveillants du Kremlin, sans tenir compte des facteurs individuels.

"Les refoulements mettent des vies en danger : comme nous l'avons constaté à d'autres points de passage frontaliers, y compris dans la région, les pratiques de refoulement exposent les personnes à de graves risques en matière de droits de l'homme et peuvent entraîner la mort ou d'autres lésions corporelles", a déclaré un porte-parole du HCR, l'Agence des Nations unies pour les réfugiés, notant que toute personne, y compris celles désignées comme des "instruments d'influence", a le droit de demander le statut de réfugié et de déposer une demande d'asile.

S'écarter de ces normes "est non seulement contraire au droit international et européen, mais crée également un dangereux précédent pour l'érosion des droits des réfugiés au niveau mondial".

La charge imposée aux gardes-frontières a également été contestée.

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Le Conseil finlandais pour les réfugiés estime que la loi impose une "responsabilité déraisonnable et risquée" aux agents, car il leur sera demandé de procéder à des examens préliminaires et d'identifier les vulnérabilités dans des circonstances imprévisibles et en mouvement rapide à la frontière. En outre, il est peu probable que les demandeurs, qui sont envoyés en Russie par avion depuis des pays déchirés par la guerre, soient en mesure de fournir les documents nécessaires, qu'ils soient physiques ou électroniques, pour plaider leur cause.

Dans une déclaration à Euronews, les gardes-frontières finlandais ont exclu la perspective de déportations collectives et ont insisté sur le fait que seules des "expulsions individuelles" auraient lieu après des "évaluations au cas par cas". Le corps est actuellement formé en fonction des "caractéristiques particulières" de la loi et "une formation supplémentaire pourrait être dispensée au cours de la mise en œuvre".

Silence à Bruxelles

Les contradictions juridiques, telles que l'absence d'appel qui nuit à l'accès à des recours efficaces, sont loin d'être le seul aspect "extraordinaire" du projet de loi, estime Martti Koskenniemi, professeure émérite de droit international à l'université d'Helsinki.

Au lieu de promouvoir le texte litigieux, le gouvernement Orpo aurait pu instaurer l'état d'urgence pour donner aux gardes-frontières une plus grande marge de manœuvre dans leurs opérations. Toutefois, la Constitution finlandaise prévoit que, dans le cadre de l'état d'urgence, les mesures provisoires doivent être "compatibles" avec les obligations internationales en matière de droits de l'homme.

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"Le gouvernement a choisi la voie la moins dramatique, qui consiste à faire une exception à la Constitution, pour promulguer des exceptions plus dramatiques aux droits de l'homme internationaux, qui n'auraient pas pu être prises si l'état d'urgence, plus dramatique, avait été déclaré ", a déclaré Mme Koskenniemi à Euronews. "C'est paradoxal. Cela viole le sens de la légalité".

"Le parlement finlandais a commis une erreur, et c'est une erreur juridique", a ajouté la professeure. "C'est un point noir dans l'histoire constitutionnelle finlandaise. Et je ne doute pas qu'elle sera corrigée - tôt ou tard".

Mais qui doit procéder à cette correction ?

Ursula vn der Leyen et Petteri Orpo se sont rendus ensemble à la frontière finlandaise en mai dernier.
Ursula vn der Leyen et Petteri Orpo se sont rendus ensemble à la frontière finlandaise en mai dernier.European Union, 2024.

La Commission européenne, qui est chargée de veiller à ce que les législations nationales respectent les normes de l'UE, est restée silencieuse dans le débat, dans l'attente de la finalisation d'une analyse interne. L'exécutif lance régulièrement des procédures d'infraction à l'encontre des pays qui ne respectent pas la législation européenne, comme cela a été le cas à plusieurs reprises avec la Hongrie.

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Toutefois, ces décisions peuvent être influencées par des considérations politiques. Petteri Orpo et Ursula von der Leyen sont issus de la même famille politique, le Parti populaire européen (PPE) de centre-droit, qui a fait de la gestion des frontières un pilier de sa campagne pour 2024.

La réforme de la politique d'immigration et d'asile menée par Ursula von der Leyen contient des articles précis pour traiter les cas d'instrumentalisation, une demande clé des Etats de l'Est. En vertu du règlement sur la crise, les États membres disposeront d'un délai supplémentaire pour enregistrer et examiner les demandes d'asile sans laisser les demandeurs entrer sur le territoire national.

Toutefois, la révision, qui couvre minutieusement toutes les étapes de la procédure d'asile, ne prévoit pas le rejet automatique des demandes, ni même l'autorisation de les repousser.

"Ces dérogations fourniront aux Etats membres des moyens solides et ciblés pour protéger nos frontières extérieures", a déclaré un porte-parole de la Commission à Euronews.

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"Tout en autorisant des dérogations spécifiques, les Etats membres doivent garantir un accès effectif et réel à la procédure de protection internationale, conformément à l'article 18 de la Charte des droits fondamentaux de l'UE et à la Convention de Genève", a-t-il conclu.

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