Les députés français ont validé l’opposition du gouvernement au traité lors d'un vote mardi soir.
C'est un vote qui revêt l'apparence d'une opération de déminage pour le gouvernement français face à la colère des agriculteurs, mais sa portée pourrait-elle s'avérer uniquement symbolique ?
Dans un contexte politique compliqué, les députés se sont exprimés contre l'accord de libre-échange entre l'UE et les pays du Mercosur, par 484 voix pour et 70 contre lors d'un vote à l'Assemblée nationale mardi soir.
La France espère toujours peser sur les négociations menées par la Commission européenne, et parvenir à une minorité de blocage en ralliant à sa cause quatre autres pays de l'Union, représentant 35 % de la population européenne.
Mais ce faisant, serait-il pertinent de bloquer un accord, dont la dernière mouture a été achevée en juin 2019 ? "Ce n'est pas un accord qui a été conclu il y a trois semaines", en référence aux 25 ans de discussions qui ont permis d'aboutir au traité en question.
"Il faut fournir des arguments, dire pour quelles raisons on est contre", estime Pascale Joannin, politologue et directrice de la Fondation Robert Schuman, rappelant que "les États membres, dont la France, ont transféré la politique commerciale à l'Union européenne". "Il faut que cela soit constructif, et faire la part des choses. Il existe des volets [de l'accord] qui ne posent pas de problème, donc il ne faudrait pas bloquer l'ensemble [des dispositions]".
De son côté, la Commission pourrait-elle tenter un passage en force de ce texte ?
"Non", estime Pascale Joannin. "Je pense qu'elle essaierait plutôt de trouver une voie médiane. La Commission va sans doute regarder les points qui posent problèmes [pour la France], et les examiner de manière spécifique". "Les articles concernant les vins et les spiritueux ne posent pas de problème, contrairement à ceux sur les produits alimentaires, et notamment sur la viande".
Un appel à la nuance, donc, afin de ne pas porter atteinte aux intérêts des 27. "Il ne faut pas que l'on se tire une balle dans le pied", prévient-elle, évoquant "la tournée" du "président chinois à l'occasion du G20". "Si on veut jouer à se faire peur, on sera seuls".
Il conviendrait donc d'envisager un certain nombre d'outils juridiques, à l'instar d'une "application temporaire", ou "la mise en place de garde-fous sur certains points mais pas sur d'autres", de manière à "envoyer un message".
De potentiels infléchissements auxquels ne croit guère Patrick Martin-Genier, enseignant à Sciences-Po Paris, et spécialiste des questions européennes. En cause, tout d'abord, les atermoiements qui ont longtemps caractérisé la position de Paris dans ce dossier.
"La France ne s'est pas forcément opposée [à ce traité]", relevant un revirement lié à la mobilisation su monde agricole. "Des tracteurs se sont rendus jusque devant le Parlement européen, et c'est un élément qui avait été sous-estimé", assure l'universitaire.
"Elle n'a pas toujours été active pour tenter de trouver une alternative ou une opposition à Bruxelles, étant donné que l'on vote à la majorité qualifiée au sein du Conseil des ministres". Mais certains États montrent désormais des signes d'hésitation, pour des raisons de politique intérieure.
"Il y a en effet la possibilité d'obtenir une minorité de blocage, car l'Italie et la Pologne ont vu leurs agriculteurs manifester l'an dernier", poursuit Patrick Martin-Genier.
"Les Polonais ont été échaudés par la concurrence agricole de l'Ukraine (des importations exonérées de droits de douane pour les produits de ce secteur). En Italie, Giorgia Meloni rencontre aussi des difficultés avec sa coalition, donc la situation a évolué car celle-ci était encore différente il y a quinze jours".
L'Allemagne, de son côté, assiste au délitement de la coalition d'Olaf Scholz. Le pays est accaparé par une campagne, dont les plans sociaux esquissent la toile de fond, entre la "suppression de milliers d'emplois chez Bosch", les coupes dans les effectifs chez ThyssenKrupp, qui va se séparer de 40% de ses salariés, et les difficultés du groupe Volkswagen, qui a confirmé des fermetures de sites.
Le surnom du Mercosur, qualifié de "vaches contre voitures", n'aura jamais été autant rattrapé par les derniers rebondissements qui minent l'industrie Outre-Rhin, qui s'ajoutent à une inflation pénalisant la consommation des ménages depuis plusieurs mois. Acculée par les difficultés, "l'Allemagne ne lâchera pas [sur la nécessité d'appliquer ce traité]", jauge ce spécialiste.
Compte tenu des choix qui ont émaillé le début du second mandat d'Ursula Von der Leyen à la tête de la Commission européenne, faut-il s'attendre à des compromis?
La présidente de la Commission n'avait pas manqué de rappeler que "tout se jouait dans la dernière ligne droite", dans une interview récente. "Elle est capable d'obtenir un accord à l'arrachée", note Patrick Martin-Genier. "C'est grâce à Giorgia Meloni qu'elle a été reconduite. Et elle écoute moins la France, qui est affaiblie par la situation que connaît le pays aujourd'hui".
"Ursula Von der Leyen ne vas pas céder face à Paris", tranche-t-il,"tout va se jouer au dernier moment", reprenant l'exemple des négociations sur le Brexit, qui s'étaient éternisées avant de connaître un tournant crucial dans les semaines qui avaient précédé l'adoption de l'accord, il y a cinq ans.
"Dans l'hypothèse d'une minorité de blocage, une clause de revoyure, par exemple, peut être mise en place. Mais au Parlement, une majorité [de députés], de tendance plus libérale, sont favorables au Mercosur", dans l'optique de "le ratifier". "La présidente de la Commission a donc encore un atout dans sa manche", elle qui avait précisé qu'il était "hors de question de rouvrir les négociations sur le volet agricole".