La Commission européenne a dévoilé des plans visant à emprunter 150 milliards d'euros pour financer une importante campagne de réarmement. Cette proposition d'emprunt conjoint prend la forme de prêts plutôt que de subventions, une idée largement rejetée par les pays dits "frugaux", tels que l'Allemagne et les Pays-Bas.
L'UE est officiellement entrée dans son "ère de réarmement" et est désormais prête à intensifier ses efforts pour soutenir l'Ukraine à court terme et garantir son autonomie stratégique pour se défendre à long terme.
Lors du sommet extraordinaire des dirigeants de l'UE jeudi (6 mars) à Bruxelles, les 27 chefs d'État et de gouvernement discuteront du plan de réponse en cinq points, baptisé "REARM Europe", proposé mardi par la Commission européenne.
Le dispositif vise à mobiliser environ 800 milliards d'euros au cours des quatre prochaines années, dont la majeure partie proviendra de l'augmentation par les États membres de leurs dépenses nationales en matière de défense et de sécurité.
"Si les États membres augmentaient leurs dépenses de défense de 1,5 % du PIB en moyenne (ce qui correspond au plafond fixé par la Commission pour les dépenses de défense supplémentaires par an), cela pourrait créer une marge de manœuvre budgétaire de près de 650 milliards d'euros sur une période de quatre ans", a assuré mardi la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen.
Les 150 milliards d'euros restants proviendraient d'un nouvel instrument de défense, permettant à la Commission d'emprunter sur les marchés et prêter aux États membres.
Ce plan rappelle la manière dont l'UE a levé des fonds pour relancer l'économie en pleine pandémie de Covid-19 avec l'instrument européen de soutien temporaire visant à atténuer les risques de chômage en cas d'urgence (SURE). Toutefois dans la proposition de la Commission pour la défense, les fonds seraient distribués sous forme de prêts plutôt que de subventions, sur la base des plans nationaux d'achat.
"Nous parlons de [financer] des domaines de capacités paneuropéens comme, par exemple, la défense aérienne et antimissile, les systèmes d'artillerie, les missiles et les munitions, les drones et les systèmes anti-drones, mais aussi de répondre à d'autres besoins allant de la cybernétique à la mobilité militaire", a précisé la présidente de la Commission.
"À court terme, je ne pense pas que nous ayons une alternative au financement par la dette. Nous devrons avoir le financement de la dette pour garantir le lissage des impôts, le lissage des dépenses et pour obtenir des majorités politiques ", a estimé à Euronews Guntram Wolff, chercheur principal à l'Institut Bruegel.
"Mais il devrait être clair qu'il ne peut s'agir d'une solution permanente", prévient-il.
L'un des piliers du plan de réarmement de la Commission consiste à donner aux États membres une plus grande marge de manœuvre fiscale pour augmenter les dépenses de défense en activant ce que l'on appelle la clause dérogatoire nationale du pacte de stabilité et de croissance.
Ce pacte impose des règles budgétaires strictes qui obligent les États membres à maintenir leur dette en dessous de 60 % du PIB et leur déficit en dessous de 3 %.
Des pays tels que la Pologne et les États baltes réclament depuis longtemps des règles plus souples afin de pouvoir augmenter les dépenses de défense sans être pénalisés. Toutefois, Ursula von der Leyen n'a pas précisé comment les dépenses des pays très endettés, comme la France et l'Espagne, seraient contrôlées.
Les dépenses de défense supplémentaires, jusqu'à 1,5 % du PIB, seront exemptées des limites de l'UE pendant quatre ans, mais au-delà, l'augmentation des dépenses de défense devra s'inscrire dans le cadre des budgets nationaux.
"Nous avons besoin d'efforts européens au-delà de l'UE. Si l'UE prend cette mesure aux côtés du Royaume-Uni et de la Norvège, nous aurons plus de poids dans les achats de défense et le soutien à l'Ukraine ", a estimé Maria Martisiute, analyste politique au European Policy Centre, à Euronews.
Plan C, D, E : plus de capitaux privés, un mandat de la BEI et un budget de l'UE flexibles
La Commission a également proposé trois mesures supplémentaires : mobiliser davantage de capitaux privés, adapter le mandat de la Banque européenne d'investissement (BEI) et encourager les investissements liés à la défense dans le budget de l'UE.
À court terme, l'UE encourage les États membres à réorienter vers la défense et la sécurité les fonds alloués aux programmes de la politique de cohésion, qui visent à combler les disparités économiques entre les régions de l'UE.
Libérer tout le potentiel de l'Union des marchés de capitaux sera également "indispensable" pour le plan d'Ursula von der Leyen.
"Nous devons veiller à ce que les milliards d'euros épargnés par les Européens soient investis sur les marchés au sein de l'UE", a-t-elle écrit aux États membres.
L'Union européenne ne manque pas de capitaux. Les ménages épargnent 1 400 milliards d'euros par an, contre 800 milliards d'euros aux États-Unis, mais 300 milliards d'euros de l'épargne des Européens sont investis chaque année sur des marchés extérieurs à l'UE.
Pour remédier à cette situation, la Commission présentera d'ici le 19 mars une communication sur une Union européenne de l'épargne et de l'investissement visant à encourager le capital-risque et à promouvoir des flux de capitaux fluides à travers l'UE.
Le dernier pilier du plan consiste à élargir le mandat de la Banque européenne d'investissement (BEI).
La BEI a déjà modifié sa politique de financement des entreprises à double usage - c'est-à-dire celles dont moins de 50 % des revenus proviennent d'activités liées à la défense - et étudie actuellement les moyens d'étendre son champ de financement tout en préservant sa capacité de prêt.
"Je pense donc qu'il est possible de modifier le mandat de la BEI et d'utiliser la BEI comme un véhicule pour financer les entreprises qui ont un grave déficit de financement de la part des banques privées et des marchés des capitaux", a expliqué Guntram Wolff.
Existe-t-il d'autres propositions visant à améliorer les capacités de défense de l'Europe ?
Les propositions de la Commission répondent à une Europe confrontée à "un danger clair et présent d'une ampleur sans précédent dans notre vie d'adulte", a souligné Ursula von der Leyen. Toutefois, d'autres options à long terme pourraient inclure l'augmentation des dépenses de défense dans le prochain budget de l'UE ou la création d'une "banque de réarmement".
Le cadre financier pluriannuel actuel (2021-2027) n'a alloué que 15 milliards d'euros (1,2 % du CFP) à la sécurité et à la défense.
Les initiatives financées par l'UE comprennent l'Acte de soutien à la production de munitions (ASAP), le Fonds européen de défense (FED) et EDIRPA. La Commission a également proposé le programme de l'industrie européenne de la défense (EDIP) pour l'après-2025 afin de renforcer les capacités.
Cependant, l'organe de surveillance financière de l'UE a prévenu que l'EDIP ne disposait pas du budget nécessaire pour atteindre ses objectifs. Au moins 500 milliards d'euros seront nécessaires au cours de la prochaine décennie pour combler les principales lacunes en matière de capacités.
Le commissaire Andrius Kubilius a suggéré d'allouer près de 100 milliards d'euros aux investissements dans la défense dans le prochain cadre financier pluriannuel (2028-2034).
Les négociations sur le prochain CFP débuteront cet été, mais ces fonds ne seront pas disponibles à court terme.
Entre-temps, l'UE discute avec des pays tiers, tels que les États-Unis et le Royaume-Uni, sur la création d'une "banque de réarmement" qui permettrait d'augmenter considérablement les dépenses de défense.
Cette nouvelle banque n'aurait pas d'incidence sur la capacité d'emprunt des pays, car elle émettrait des obligations triple A garanties par les pays actionnaires. Elle permettrait d'investir rapidement dans les acquisitions et les technologies de défense sans alourdir la dette publique.