Les manifestations de masse déclenchées par l'arrestation du maire d'Istanbul surviennent alors que l'UE tente de se rapprocher de la Turquie au sujet de la Syrie et de l'Ukraine.
L'arrestation d'Ekrem İmamoğlu, le maire d'Istanbul, soulève des questions quant à "l'adhésion de la Turquie à sa tradition démocratique établie de longue date", a déclaré la Commission européenne, qui s'est cependant abstenue de toute condamnation explicite.
"En tant que candidat à l'UE, la Turquie doit respecter les valeurs démocratiques. Les droits des élus, ainsi que le droit de manifester pacifiquement, doivent être pleinement respectés", a déclaré un porte-parole de la Commission lundi.
"Nous voulons que la Turquie reste ancrée à l'Europe, mais cela nécessite un engagement clair en faveur des normes et des pratiques démocratiques. Et il est essentiel que la Turquie respecte ces principes fondamentaux".
L'édile réfute les accusations de corruption
Les autorités turques ont emprisonné Ekrem İmamoğlu dimanche après l'avoir inculpé de corruption, d'extorsion, de pots-de-vin et de blanchiment d'argent, ainsi que d'aide au PKK, considéré comme un groupe terroriste, en raison de son alliance électorale avec un parti pro-kurde DEM.
Le maire d'Istanbul et ses avocats ont vigoureusement réfuté les accusations, les qualifiant de fabriquées et de politiquement motivées.
"Aujourd'hui, la Turquie s'est réveillée avec un sentiment profond de trahison. Le processus judiciaire en cours est loin d'être équitable - c'est une exécution sans procès", a écrit Ekrem İmamoğlu sur les réseaux sociaux.
Sa détention a déclenché plusieurs jours consécutifs de manifestations de masse à travers la Turquie, les plus importantes depuis plus d'une décennie.
Au total, 1 133 personnes ont été arrêtées en cinq jours de mobilisation, a déclaré le ministre de l'intérieur Ali Yerlikaya. Pas moins de 123 policiers ont été blessés lors des manifestations, a-t-il ajouté, précisant que de l'acide, des bombes incendiaires et des couteaux ont été saisis.
Membre du Parti républicain du peuple (CHP), Ekrem İmamoğlu était considéré comme l'un des principaux candidats à l'élection présidentielle de 2028. Lors d'une primaire organisée dimanche, quelques jours après l'arrestation, il a été choisi comme candidat principal des kémalistes avec les votes de 1,7 million de membres du parti et de 13,2 millions de personnes n'appartenant pas au parti.
Le CHP est le deuxième plus grand parti du parlement turc après le parti islamo-conservateur AKP du président Recep Tayyip Erdoğan. Ce dernier arrive au bout de ses mandats et n'est pas autorisé à se représenter en 2018, bien que la constitution puisse en principe être modifiée pour permettre un troisième mandat.
L'opposition considère l'emprisonnement d'Ekrem İmamoğlu comme un acte de représailles de la part de Recep Tayyip Erdoğan pour faire dérailler les espoirs électoraux de son principal opposant. Le gouvernement rejette cette accusation et affirme que les tribunaux turcs fonctionnent de manière indépendante.
Plusieurs gouvernements européens condamnent l'arrestation d'İmamoğlu
Le Conseil de l'Europe, une organisation de défense des droits de l'Homme basée à Strasbourg, a condamné l'arrestation d'Ekrem İmamoğlu et exigé sa "libération immédiate".
"Il s'agit d'une manœuvre calculée visant à saper l'intégrité et l'équité des processus électoraux et qui constitue une atteinte à la démocratie", a déclaré le président du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l'Europe, Marc Cools, dans un communiqué, ajoutant que les accusations de corruption et de terrorisme "semblent être un faux-semblant".
Le ministère français des Affaires étrangères, s'est également montré très critique, parlant d'une "atteinte grave à la démocratie" et exhortant la Turquie à respecter les "engagements" juridiques qu'elle a "librement contractés" en tant que pays candidat à l'adhésion à l'Union européenne.
Le ministère allemand des Affaires étrangères a également décrit l'arrestation comme un revers pour la démocratie.
"La compétition politique ne doit pas être menée par le biais de tribunaux et de prisons", déclare un porte-parole. "Nous attendons que les allégations fassent l'objet d'une enquête transparente aussi rapidement que possible et que les procédures soient menées sur la base de l'État de droit".
Un rapprochement progressif
Dans la salle de presse de la Commission européenne, la réaction a été nettement plus modérée, reflétant la position délicate de Bruxelles vis-à-vis d'Ankara.
L'importance stratégique de la Turquie pour l'UE a été amplifiée par deux développements géopolitiques récents : la chute de Bachar al-Assad en Syrie et les négociations lancées par Donald Trump pour mettre fin à l'invasion russe en Ukraine.
Le président turc a exprimé un vif intérêt pour la coalition de volontaires que la France et le Royaume-Uni ont proposée pour fournir des garanties de sécurité à Kyiv en cas de cessez-le-feu avec Moscou. La Turquie possède la deuxième armée de l'OTAN et jouit d'une position stratégique en mer Noire.
La Turquie a été déclarée pays candidat à l'UE en 1999, mais les négociations d'adhésion ont depuis été entravées par des reculs démocratiques dans le pays, avant d'être officiellement suspendues en 2018, deux ans après une tentative de coup d'État qui a vu Recep Tayyip Erdoğan renforcer son emprise sur le pouvoir et étouffer les voix de l'opposition.
Dans son dernier rapport sur l'élargissement, la Commission a identifié de nombreuses lacunes et un manque généralisé de réformes dans le domaine de la démocratie et des droits fondamentaux.
"Le système présidentiel reste caractérisé par un manque d'équilibre des pouvoirs", indique le rapport. "Les pressions exercées par le gouvernement sur les maires des partis d'opposition ont continué à affaiblir la démocratie locale".