Grâce à une politique intelligente, au courage et à la collaboration, les États baltes peuvent servir d'inspiration à de nombreux pays dans le monde, écrivent le directeur exécutif de l'AIE et les ministres de l'Énergie des trois États baltes dans une tribune sur Euronews.
Les crises récentes ont mis en évidence le rôle essentiel que joue l'énergie dans nos économies et nos sociétés.
De l'invasion massive de l'Ukraine par la Russie aux conflits au Moyen-Orient, en passant par les pannes d'électricité au Chili et en Espagne, la nécessité d'assurer la sécurité et la fiabilité de nos approvisionnements en énergie, qui ne peuvent jamais être considérés comme acquis, nous a été rappelée à maintes reprises.
Dans ce contexte, l'Estonie, la Lettonie et la Lituanie ont pris cette année des mesures audacieuses pour renforcer leur sécurité énergétique, ce qui mérite une grande attention.
Pendant 65 ans, les systèmes électriques des trois États baltes ont fonctionné entièrement au sein du système russe et bélarusse, contrôlé par la Russie. Pourtant, au début de l'année, après des préparatifs approfondis, ils ont abandonné ce système et se sont connectés au réseau de l'Europe continentale.
Il s'agit d'un exemple clair et concret de ce que signifie prendre des mesures difficiles mais nécessaires pour renforcer la sécurité énergétique, en particulier à une époque où les tensions géopolitiques sont exacerbées.
Ce changement n'est pas seulement une réussite technique importante, mais aussi une victoire politique pour l'ensemble de l'Union européenne. La synchronisation des systèmes électriques des États baltes avec le reste de l'Europe contribue à garantir la fiabilité de l'approvisionnement en électricité des foyers, des entreprises, des hôpitaux et des écoles.
Elle renforce la sécurité nationale et économique. Enfin, elle marque une étape importante vers une intégration plus étroite dans le marché intérieur de l'énergie de l'UE, ce à quoi l'Estonie, la Lettonie et la Lituanie travaillent depuis leur indépendance de l'Union soviétique en 1990.
Des étapes stratégiques vers l'indépendance
Avant cette réorientation, la Russie conservait le contrôle exclusif d'un paramètre essentiel des systèmes électriques des pays baltes : la fréquence.
Cela signifiait qu'elle avait la capacité d'influencer le fonctionnement des systèmes électriques des États baltes, les rendant vulnérables à la militarisation de l'énergie par la Russie.
Les pays baltes reconnaissent depuis longtemps qu'il s'agit d'une menace potentielle. En 2007, l'Estonie, la Lettonie et la Lituanie ont manifesté leur volonté politique de se désynchroniser du système russe et, en 2018, elles ont fait part de leur intention de rejoindre le système européen continental d'ici à la fin de 2025.
Dans les années qui ont suivi, les États baltes ont pris des mesures stratégiques en vue d'une plus grande indépendance énergétique vis-à-vis de la Russie, en continuant à mettre l'accent sur leurs systèmes électriques.
Ils ont approuvé et mis en œuvre des investissements clés dans les infrastructures, y compris les connexions électriques avec la Pologne, la Finlande et la Suède, ainsi qu'entre les États baltes eux-mêmes.
Plus de 40 projets ont été réalisés dans le cadre du seul projet de synchronisation, notamment l'installation de lignes électriques nouvelles ou reconstruites, de sous-stations, de condensateurs synchrones et de capacités de stockage supplémentaires.
Par conséquent, lorsque la Russie a envahi l'Ukraine au début de l'année 2022, les États baltes ont pu réagir rapidement et mettre fin immédiatement aux importations d'électricité en provenance de Russie, qui couvraient en moyenne entre 10 % et 25 % de la demande totale d'électricité des États baltes.
Puis, le 9 février 2025, l'Estonie, la Lettonie et la Lituanie se sont déconnectées du système électrique russe et se sont synchronisées avec celui de l'Europe par l'intermédiaire de la Pologne, atteignant ainsi cet objectif de longue date plus tôt que prévu et sans incident.
Les États baltes peuvent servir d'inspiration à d'autres pays
La reconfiguration d'un réseau électrique est une entreprise de grande envergure, et cette réussite est le fruit de nombreux ingrédients. L'ingénierie n'est que l'un d'entre eux.
Une forte volonté politique et une vision à long terme ont permis d'assurer la direction et la continuité entre les différents gouvernements. Dans le même temps, la coopération - à la fois entre le réseau tentaculaire des parties prenantes du système électrique et au niveau régional - s'est également avérée essentielle.
La Pologne a joué un rôle central en fournissant l'infrastructure et le soutien politique nécessaires. L'Union européenne a également apporté une contribution significative en finançant 75 % des coûts d'investissement liés à la synchronisation.
Ce solide exemple de coopération régionale peut servir de modèle à suivre dans d'autres régions du monde qui cherchent à mieux intégrer leurs systèmes et marchés électriques, notamment en Asie du Sud-Est et dans d'autres régions.
Aujourd'hui, les pays baltes formulent de nouveaux objectifs pour renforcer leur sécurité énergétique. Ils s'efforcent notamment, avec la Pologne, d'assurer la protection et la résilience des infrastructures énergétiques essentielles, qui ont récemment été menacées.
Un nouveau cadre phare pour y parvenir, basé sur quatre priorités - prévention, détection, réponse et réparation - pourrait à terme servir de modèle pour la sauvegarde des infrastructures énergétiques critiques dans toute l'Union européenne et au-delà.
La mise en œuvre réussie et rapide de ce nouveau modèle nécessitera également un soutien politique et financier de la part de l'Union européenne.
Nous vivons aujourd'hui dans un monde complexe et dangereux, avec un large éventail de défis sérieux en matière de sécurité énergétique - des tensions géopolitiques aux cyberattaques en passant par les conditions météorologiques extrêmes. Dans ce contexte, il est vital d'anticiper et de se préparer aux événements indésirables avant qu'ils ne se produisent.
Grâce à une politique intelligente, au courage et à la collaboration, les États baltes montrent à quoi cela ressemble - et peuvent servir d'inspiration à de nombreux pays dans le monde.
Fatih Birol est directeur exécutif de l'Agence internationale de l'énergie (AIE), Kaspars Melnis est ministre du Climat et de l'Énergie de Lettonie, Andres Sutt est ministre de l'Énergie et de l'Environnement d'Estonie, et Žygimantas Vaičiūnas est ministre de l'Énergie de Lituanie.