En Pologne, des historiens, biographes et passionnés plaident pour intégrer Wojciech Bogumił Jastrzębowski, penseur du XIXe siècle, au rang des pères fondateurs de l'idée européenne, comme Konrad Adenauer, Robert Schuman, Winston Churchill ou Jean Monnet.
Jastrzębowski avait déjà formulé une vision de l'unification pacifique du Vieux Continent plus d'un siècle avant les Pères reconnus de l'Europe.
Wojciech Bogumił Jastrzębowski nait en avril 1799 à Szczepkowo-Giewarty, près de Mława, à quelque 150 km de Varsovie. Botaniste, physicien et zoologiste, il cultive sa passion pour la nature et engagement social, tout en menant des recherches dans des domaines aussi variés que la météorologie et l'ergonomie. Au fil du temps, son attention s'est également portée sur la géopolitique. Un domaine qui marquera fortement son parcours.
Comme le rappelle sa biographe Alicja Wejner, il avait l'habitude de dire qu'un monde sans guerre, un air pur et une eau propre étaient nécessaires au bonheur de l'homme. Selon lui, la réalisation de ces exigences nécessitait une coopération, tant au niveau local qu'à l'échelle du continent.
D'un champ de bataille sanglant à une vision de paix
L'expérience marquante a été le soulèvement de novembre 1830. Malgré son statut de scientifique, Jastrzębowski s'engage comme simple artilleur dans la Garde nationale. Le destin le jette au milieu de l'escarmouche la plus sanglante du conflit, la bataille d'Olszynka Grochowska, le 25 février 1831. La violence de cette bataille, au cours de laquelle des personnes des deux camps ont trouvé la mort, l'a profondément ébranlé.
Alors que l'armée russe menace de prendre Varsovie, le jeune érudit écrit ses pensées. Quelques jours après la bataille, un texte intitulé "Sur la paix éternelle entre les nations - Moments libres du soldat polonais, ou pensées sur la paix éternelle entre les nations civilisées" voit le jour dans le journal Mercure. Ce document de 77 articles peut être considéré comme le premier projet de constitution d'une Europe unie de l'histoire.
Vision révolutionnaire
L'auteur voyait l'Europe comme une seule république sans frontières intérieures, avec une législation unifiée et des organes directeurs composés de représentants de toutes les nations.
Voici des extraits de ce document :
On peut également y lire : "Le passage sur la solidarité européenne est particulièrement propice à la réflexion :
Le passage sur la solidarité européenne est particulièrement prophétique dans le contexte de la guerre en Ukraine :
Le fondement de cette vision devait être le "droit universel des nations", qui - introduit d'abord dans une Europe unie - devait ensuite s'étendre à d'autres continents. Jastrzębowski appelle au désarmement universel, à l'abolition des frontières, à la garantie des libertés civiles et à la tolérance religieuse.
Cette idée audacieuse n'a pas échappé aux autorités tsaristes qui régnaient alors sur la Pologne. Après la répression du soulèvement de novembre, les Russes ont interdit la distribution du pamphlet. Cette interdiction a effectivement condamné l'œuvre à l'oubli pour les décennies à venir.
Comme l'explique le vulgarisateur contemporain de l'héritage de Jastrzębowski, l'acteur Olgierd Łukaszewicz, dans une interview accordée à Euronews : "Notre histoire ne nous a pas permis d'aborder les idées des Polonais sur une Europe unie et pacifique." Son projet "devrait être analysé dans toutes les écoles", ajoute-t-il.
La "Constitution pour l'Europe" redécouverte
Le texte de Jastrzębowski n'a été sorti de l'oubli qu'au XXe siècle par l'historien professeur Janusz Iwaszkiewicz. Cette étape importante de l'évocation du visionnaire polonais a eu lieu avant la Seconde Guerre mondiale, mais les événements dramatiques des années suivantes ont relégué sa figure à l'arrière-plan.
La mission d'Iwaszkiewicz de se souvenir de Jastrzębowski a été inspirée par Olgierd Łukaszewicz, acteur de théâtre et de cinéma. C'est lui qui, depuis deux décennies, popularise l'héritage de ce penseur oublié et s'efforce au premier plan de la pensée politique européenne.
Wojciech Bogumił Jastrzębowski est mort le 30 décembre 1882 à Varsovie, sans que sa vision ne se soit réalisée de son vivant. Ses réflexions acquièrent aujourd'hui une nouvelle pertinence face aux défis européens contemporains.
"Dans ce texte, nous trouvons des slogans qui nous rappellent la situation de l'Ukraine aujourd'hui et, en même temps, ce qu'était le soulèvement de novembre. Les Polonais rêvaient de liberté, d'indépendance et de respect de leur Constitution du 3 mai. Malheureusement, ces slogans du XIXe siècle, ces pensées sont de nouveau d'actualité et nous devons nous impliquer", déclare Olgierd Łukaszewicz.
Se battre pour le label du patrimoine européen 2025
Récemment, grâce aux efforts de la fondation MyOcitizens EU, fondée par Lukaszewicz, le manuscrit de la "Constitution pour l'Europe" postule au statut prestigieux de label du patrimoine européen.
Pour Lukaszewicz, au même titre que Konrad Adenauer, Jean Monnet ou Robert Schuman, Wojciech B. Jastrzębowski "doit être placé aux côtés des penseurs, des hommes politiques qui ont vu l'hécatombe de la Seconde Guerre mondiale et qui ont vu ce qui se passait en Pologne". "Si la Commission européenne décide avec le Parlement qu'il mérite le label du patrimoine européen, nous serons satisfaits", plaide Lukaszewicz.
Ce Label européen a pour objectif de mettre en valeur la dimension européenne de biens culturels, monuments, sites culturels, lieux de mémoire, etc.., témoins de l'histoire de l’Europe ou de la construction européenne. Jusqu'à présent, une soixantaine ont été labellisés, dont plusieurs polonais, comme les chantiers naval de Gdańsk ou les monuments liés à l'Union de Lublin (signé le 1er juillet 1569, le traité unit le royaume de Pologne et le grand-duché de Lituanie en un seul État dirigé par une monarchie élective). Le verdict sera connu le 1er mars 2026.
Voir plus de photos de la visite d'Euronews à la Fondation Nous, citoyens de l'Union européenne, fondée par Olgierd Łukaszewicz :