Washington a annoncé qu'elle interdisait à l'ancien commissaire européen chargé de la technologie, Thierry Breton, et à quatre autres militants européens d'entrer sur le territoire américain, une décision que le principal intéressé a qualifiée de "chasse aux sorcières".
Le département d'État américain a imposé, ce mardi 23 décembre, des interdictions de visa à l'encontre de Thierry Breton, ancien commissaire européen au marché intérieur de 2019 à 2024, ainsi qu'à quatre autres personnes, les accusant de forcer les réseaux sociaux états-uniens à censurer les utilisateurs et leurs points de vue.
Le secrétaire d'État Marco Rubio a déclaré que les cinq personnes visées par les interdictions de visa "ont mené des efforts organisés pour contraindre les plateformes américaines à censurer, démonétiser et supprimer les points de vue américains auxquels elles s'opposent".
"Ces militants radicaux et ces ONG militantes ont favorisé les mesures de censure prises par des États étrangers, en ciblant dans chaque cas des orateurs et des entreprises américains", a-t-il également déclaré dans un communiqué.
Marco Rubio n'a pas nommé les personnes visées dans un premier temps, mais la sous-secrétaire américaine à la diplomatie publique, Sarah Rogers, les a identifiées sur X, les accusant de "fomenter la censure de la parole américaine".
Sarah Rogers décrit Thierry Breton comme le "cerveau" du règlement européen sur les services numériques (DSA) de l'UE, règlement de la sphère numérique dans l'Union qui impose la modération du contenu ainsi que d'autres normes aux principales plateformes de réseaux sociaux opérant en Europe.
L'interdiction de visa vise également Anna-Lena von Hodenberg et Josephine Ballon, de l'association allemande HateAid, Clare Melford, cofondatrice de l'organisation britannique Global Disinformation Index, et Imran Ahmed, directeur général britannique du Center for Countering Digital Hate (centre de lutte contre la haine numérique), dont le siège est aux États-Unis.
Condamnation unanime
"La chasse aux sorcières de McCarthy est-elle de retour ?", a écrit, en anglais, Thierry Breton, sur X. "Pour rappel : 90 % du Parlement européen — démocratiquement élu — et les 27 États membres à l’unanimité ont voté le DSA. À nos amis américains : la censure n’est pas là où vous le pensez."
Ces interdictions "relèvent de l'intimidation et de la coercition à l'encontre de la souveraineté numérique européenne", a jugé Emmanuel Macron. "La France dénonce les décisions de restriction de visa prises par les États-Unis à l'encontre de Thierry Breton et de quatre autres personnalités européennes", a-t-il écrit sur X, assurant que l'Europe continuerait à défendre sa "souveraineté numérique" et son "autonomie réglementaire".
L'ancien ministre de l'Économie français a reçu le soutien du ministre des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot. Ce dernier a assuré que la France "condamnait fermement" les restrictions en matière de visas, ajoutant que l'Europe "ne peut pas se laisser imposer par d'autres les règles qui régissent son espace numérique".
"La loi sur les services numériques a été adoptée démocratiquement en Europe. Elle n'a absolument aucune portée extraterritoriale et n'affecte en rien les États-Unis", a-t-il également assuré.
"Nous ne sommes pas une colonie des États-Unis ! [...] Cette sanction scandaleuse rend hommage à son combat pour notre souveraineté", a réagi l'eurodéputé social-démocrate Raphaël Glucksmann. "Nous sommes Européens, nous devons défendre nos lois, nos principes, nos intérêts."
"La Commission européenne condamne fermement la décision des États-Unis d'imposer des restrictions de voyage à cinq ressortissants européens [...] La liberté d'expression est un droit fondamental en Europe et une valeur fondamentale partagée avec les États-Unis dans l'ensemble du monde démocratique", a écrit la Commission dans un communiqué.
Les trois organisations à but non-lucratif ont également rejeté les affirmations de Washington et critiqué la décision d'interdiction de visa prise mardi.
La lettre qui a tout déclenché ?
Pour imposer ces sanctions, Washington s'est appuyé sur une lettre que Thierry Breton a envoyé à Elon Musk, propriétaire de X, en août 2024, quelques jours avant que le milliardaire n'accorde une interview à Donald Trump, alors candidat à la présidence des États-Unis.
Dans cette lettre, Thierry Breton prévenait Elon Musk en assurant qu'il devait se conformer à la loi sur les services numériques.
SARAH Rogers a alors accusé Thierry Breton d'avoir "rappelé de manière inquiétante à Elon Musk les obligations légales de X" et les "procédures formelles" en cours pour non-respect présumé des exigences en matière de "contenu illégal" et de "désinformation" en vertu de la loi sur les services numériques.
En février, lors d'un de ses premiers grands discours, le vice-président américain J.D. Vance a critiqué ce qu'il a décrit comme des efforts de censure en Europe.
Il a affirmé que les dirigeants avaient "menacé et intimidé les entreprises de réseaux sociaux pour qu'elles censurent les soi-disant fausses informations", citant l'exemple de la théorie de la fuite du laboratoire Covid-19.
L'ASN stipule que les grandes plateformes doivent expliquer les décisions de modération de contenu, assurer la transparence pour les utilisateurs et veiller à ce que les chercheurs puissent effectuer des travaux essentiels, tels que l'évaluation de l'exposition des enfants à des contenus dangereux.
Le règlement numérique de l'UE est devenu un point de ralliement pour les conservateurs américains, qui le considèrent comme une arme de censure contre les voix de droite en Europe et au-delà, une accusation que Bruxelles réfute.
En août dernier, la Commission européenne a rejeté les allégations de censure des États-Unis, les qualifiant d'"absurdes" et de "totalement infondées".
Au début du mois, la Commission européenne a estimé que la plateforme X était en infraction avec les règles de la DSA sur la transparence de la publicité et les méthodes de vérification, ce qui a déclenché un nouveau tollé aux États-Unis.
Romane Armangau a contribué à la rédaction de cet article.