Fumer à la plage, au parc ou sous un abribus est interdit depuis ce dimanche. Le décret annoncé par le gouvernement pour étendre l'interdiction de fumer dans certains espaces extérieurs est paru ce samedi au Journal officiel.
Brigitte Bardot se prélassait pieds nus sur une plage de Saint-Tropez, tirant de longues bouffées de cigarette. Un autre acteur, Jean-Paul Belmondo, descendait les Champs-Élysées d'un pas assuré, la fumée s'échappant de ses lèvres provocatrices, capturant la rébellion incessante d'une génération.
En France, les cigarettes n'étaient pas de simples cigarettes : elles étaient des déclarations cinématographiques, des flirts et des rébellions enveloppés dans du papier à rouler.
Pourtant, à compter du 1er juillet, si les scènes emblématiques de Bardot et Belmondo étaient reproduites dans la réalité, elles seraient passibles d'amendes pouvant aller jusqu'à 135 € (153 $) - même si le ministère de la Santé avait évoqué fin mai devant la presse une période de "pédagogie". Le décret paru samedi matin n'évoque pas de contravention en cas d'infraction.
Le décret doit encore être complété par un arrêté de la ministre en charge de la Santé pour définir les périmètres précis où il ne sera plus possible de fumer aux abords des établissements scolaires, bibliothèques, équipements sportifs et établissements destinés à l'accueil, à la formation ou à l'hébergement des mineurs. Cette mesure avait été promise par le gouvernement fin 2023 et confirmée fin mai par la ministre de la Santé, Catherine Vautrin, pour une entrée en vigueur initialement fixée au 1er juillet dans toute la France.
Après avoir glorifié le tabac pendant des décennies, la France lance donc sa plus vaste interdiction de fumer à ce jour. Les nouvelles restrictions, annoncées par Catherine Vautrin, interdiront de fumer dans la quasi-totalité des espaces publics extérieurs où les enfants peuvent se rassembler, notamment les plages, les parcs, les jardins, les aires de jeux, les stades, les entrées d'école et les arrêts de bus.
« Le tabac doit disparaître là où il y a des enfants », a déclaré Vautrin aux médias français. La liberté de fumer « s'arrête là où commence le droit des enfants à respirer un air pur ».
Si la loi Vautrin reflète les priorités de santé publique, elle signale également un changement culturel plus profond. Le tabagisme définit l'identité, la mode et le cinéma français depuis si longtemps que cette nouvelle mesure fait l'effet d'une révolution française silencieuse dans un pays dont la relation au tabac est notoirement complexe.
Selon la Ligue contre le cancer, plus de 90 % des films français de 2015 à 2019 comportaient des scènes de tabagisme, soit plus du double du taux observé dans les productions hollywoodiennes. Chaque film français comportait en moyenne près de trois minutes de tabagisme à l'écran, soit l'équivalent de six spots publicitaires de 30 secondes à la télévision.
Le cinéma a eu une influence particulière. Le fumeur rebelle de Belmondo dans « À bout de souffle » de Jean-Luc Godard est devenu un symbole de défiance juvénile dans le monde entier. La fumée de cigarette de Bardot flottait dans « Et Dieu créa la femme », symbolisant une sensualité débridée.
Pourtant, cette glamourisation a des conséquences. Selon les autorités sanitaires françaises, environ 75 000 personnes meurent chaque année de maladies liées au tabac. Bien que le taux de tabagisme ait récemment diminué – moins de 25 % des adultes français fument désormais quotidiennement, un niveau historiquement bas –, cette habitude reste profondément ancrée, notamment chez les jeunes et les citadins chics.
La relation de la France avec le tabac est depuis longtemps pleine de contradictions. Air France n'a interdit le tabac sur tous ses vols qu'en 2000, des années après que les grandes compagnies américaines ont commencé à l'éliminer progressivement à la fin des années 1980 et au début des années 1990. Ce retard témoigne d'une lenteur du pays à rompre son amour culturel pour la cigarette, même à 10 600 mètres d'altitude.
En flânant dans les rues élégantes du Marais, le quartier le plus branché de Paris, les réactions à l'interdiction de fumer allaient de l'acceptation pragmatique à la défiance nostalgique.
« Il était temps. Je ne veux pas que mes enfants grandissent en pensant que fumer est romantique », a déclaré Clémence Laurent, acheteuse de mode de 34 ans, sirotant un expresso à la terrasse d'un café bondé. « Certes, Bardot a rendu les cigarettes glamour. Mais Bardot ne s'est pas souciée des avertissements d'aujourd'hui sur le cancer du poumon. »
Dans une boutique voisine, le brocanteur Luc Baudry, 53 ans, a perçu l'interdiction comme une attaque contre une culture essentiellement française. « Fumer a toujours fait partie de notre culture. Si on nous enlève les cigarettes, que nous reste-t-il ? Des smoothies au chou frisé ? » a-t-il raillé.
En face de lui, Jeanne Lévy, 72 ans, ricanait d'une voix rauque, profondément marquée – dit-elle – par des décennies de Gauloises. « J'ai fumé ma première cigarette en regardant Jeanne Moreau », a-t-elle avoué, les yeux pétillants derrière des lunettes de soleil vintage. « C'était sa voix – enfumée, sexy, vécue. Qui n'aurait pas voulu de cette voix ? »
En effet, la voix rauque et râpée par la nicotine de Jeanne Moreau a transformé le tabac en poésie, immortalisée dans des classiques comme « Jules et Jim » de François Truffaut. Fumer a acquis un prestige existentiel qui a rendu l'arrêt du tabac inimaginable pour des générations de fumeurs français.
La nouvelle loi française reflète des tendances européennes plus larges. Des pays comme la Grande-Bretagne et la Suède ont déjà renforcé la réglementation sur le tabagisme dans les espaces publics. La Suède a interdit de fumer sur les terrasses des restaurants, aux arrêts de bus et près des cours d'école en 2019. L'Espagne, quant à elle, étend son interdiction de fumer aux terrasses des cafés et restaurants, des espaces qui restent exemptés en France, du moins pour l'instant.
Il est désormais interdit de fumer dans les espaces extérieurs et publics de Milan, la capitale italienne de la finance et de la mode. Il s'agit de l'extension la plus stricte d'une série d'interdictions qui ont débuté en 2021 et qui visent à "améliorer la qualité de l'air de la ville".
Finalement, la Commission européenne recommandera d'étendre l'interdiction de fumer aux terrasses des cafés, aux arrêts de bus et dans les zoos, et prévoit également d'inclure dans l'interdiction les produits sans nicotine, selon un document qui a fait l'objet d'une fuite et qu'Euronews s'est procuré.
Sur la place des Vosges, à Paris, l'étudiant en lettres Thomas Bouchard serrait une cigarette électronique toujours exemptée de la nouvelle interdiction et haussait les épaules.
« Peut-être que le vapotage est notre compromis », dit-il en expirant doucement. « Un peu moins sexy, peut-être. Mais moins de rides aussi. »