Mohamed Bazoum : "Il y a un potentiel de place pour certains profils de jeunes Africains en Europe"

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Par Valérie Gauriat
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Mohamed Bazoum est le ministre de l'intérieur du Niger. Au micro de Valérie Gauriat, il préconise une politique de fermeté à l'égard des réseaux de trafic de personnes, mais aussi plus de réalisme de la part de l'Union européenne à l'égard des candidats à l'asile.

Mohamed Bazoum est le ministre de l'intérieur du Niger. Au micro de Valérie Gauriat, il préconise une politique de fermeté à l'égard des réseaux de trafic de personnes, mais aussi plus de réalisme de la part de l'Union européenne à l'égard des candidats à l'asile.

Valérie Gauriat:

"Ce souhait formulé par notamment la France de créer des centres dits des “hotspots”, ou des centres de tri dans les pays d'origine et de transit de la migration vers l'Europe, est-ce que pour vous ce concept est justifié, acceptable, réalisable? Comment percevez-vous cette idée?"

Mohamed Bazoum:

"S'il s'agit d'installer des centres de tri sur le territoire du Niger, qui est un espace plutôt de transit, ce n'est pas une bonne idée. Elle n'a pas de sens. Nous ne sommes pas un pays de départs de migrants. Nous sommes par conséquent à l'aise pour considérer que c'est une activité criminelle qui s'imbrique dans les réseaux d'une criminalité plus générale, totalement interconnectée.

Et lorsque que nous luttons contre la migration illégale, nous luttons aussi contre le trafic des armes, contre le trafic de la drogue et contre tous les réseaux justement qui sont connectés entre eux.

Dire que parmi les migrants qui sont à Agadez il y en a qui sont bons, il y en a qui ne le sont pas, peut relever de l'appel d'air tout simplement. Notre doctrine à nous, c’est que tous les migrants d'Afrique de l'Ouest qui vont en Europe sont des migrants économiques, et sont pris en charge par des réseaux criminels, et nous n'avons pas besoin de faire de tri en leur sein. Nous devons combattre les réseaux. Nous devons combattre l'économie criminelle dont le trafic des migrants est une manifestation."

Valérie Gauriat:

"Vous avez mis en œuvre une loi contre cette migration irrégulière qui a produit ses effets. Mais il y a des effets secondaires et je sais qu'à Agadez tout le monde n'est pas très satisfait de cette loi. Les gens disent “mais c'était une activité légale, normale, jusqu'à présent et maintenant on criminalise des gens qui n'ont plus de moyens de subsistance, de revenus, et que cela détruit le tissu économique local…"

Mohamed Bazoum:

"C'est une idée qu'il faut nuancer franchement. D'abord, ces réseaux, qui prennent en charge les migrants africains en partance vers la Libye, ils ont commencé à exister et à se développer surtout à partir des événements qui se sont passées en Libye à partir de l'année 2011. Donc ça n'a pas la portée économique qu'on dit.

Nous avons décidé avec nos partenaires européens de promouvoir des politiques d'économie alternatives, de substitution aux activités criminelles liées au trafic des migrants. Cela n’a pas pour le moment donné les résultats escomptés malheureusement. Il y a beaucoup de lenteur, beaucoup de beaucoup de bureaucratie. Mais nous ne perdons pas espoir que d'ici quelques temps les politiques que nous voulons mettre en oeuvre puissent donner la plénitude des possibilités qu'elle devraient offrir et atténuer un tant soit peu les effets désagréables de la politique que nous avons menée à cet égard.

Mais au total pour nous de toutes façons le plus important c’est notre sécurité. Et à chaque fois que nous mettons fin à un réseau nous accroissons les chances de notre sécurité.

Surtout, vous devez le savoir Madame, nous sommes un pays qui est encerclé par trois grands conflits caractéristiques de la zone sahélienne aujourd'hui. Vous avez Boko Haram du côté du Sud-Est de notre pays. Au Nord vous avez la Libye. Et à l’Ouest et au Nord Ouest vous avez le Nord du Mali. Et les questions de sécurité sont des questions déterminantes pour nous."

Valérie Gauriat :

“Pour en revenir à la problématique posée par la migration vers l'Europe: on demande aux pays d'origine aux pays de transit d'agir d'avantage... "

Mohamed Bazoum:

“L'Afrique ne peut pas faire quelque chose du moins les pays d'origine. Parce que lorsque un citoyen de Guinée ou de Côte d'Ivoire décide de voyager, il est difficile aux autorités de ces pays là de savoir où cette personne devait aller. Nous sommes régis par des règles qui affirment le principe de la libre circulation des citoyens. Il faut le savoir. Donc tant qu'il y a une situation qui peut commander chez un citoyen de quitter son pays pour aller chercher à vivre ailleurs, les Etats sont totalement impuissants quant à son mouvement.

Ce n'est pas les politiques qu'on peut promouvoir dans le domaine de la coopération qui auraient immédiatement un effet spectaculaire et de nature à créer des opportunités de travail qui pourraient être de nature à faire faire l'économie du besoin de voyager et de besoin d'aller ailleurs chez des citoyens non plus, il faut être lucides et il faut le dire très clairement.

Mais il faut aussi que l'Europe ne s'ouvre pas au point d'inciter les Africains à y aller très franchement. A mon avis. C'est quelque chose qui mérite d’être dit. C’est peut être tabou jusqu'à présent. Mais aussi longtemps que justement il va paraître possible aux yeux de quelqu'un qui considère qu'il vit mal et qui pense qu'il peut vivre mieux en Europe, aussi longtemps qu'il lui est possible d'avoir cette illusion, la tentation d'aller vers l'Europe existe.

Et je ne suis pas sûr que les politiques en la matière qui ont été définies par les forces les plus progressistes d'Europe étaient les plus pertinentes, et ce d'autant plus en ce moment qu'elles ont un effet pervers extrêmement dangereux qui est ce développement de la xénophobie et des forces populistes qui font leur affaire à partir de cette situation.

Il faut se débarrasser de certains complexes. Il y a une certaine générosité mais qui n'en a que l'apparence en vérité avec laquelle il faut rompre tout simplement. Moi je ne dis pas qu'il faut avoir des politiques aussi dures que celles qui sont celles qui sont préconisées par certaines forces dans les pays européens. Mais l'Europe aurait à gagner à donner sens au fait que les pays disposent en Afrique de consulats, qui auraient pu délivrer des visas à des personnes qui ont des profils où elles peuvent avoir des activités à mener en Europe.

Je suis sûr qu'il y a un potentiel de place pour des profils de jeunes Africains en Europe. Et ça c'est le travail des ambassades et consulats. C’est parce que ce travail ne se fait pas bien qu'on a fini par accepter que la migration possible c’est la migration illicite. Je ne le pense pas très franchement.

Je voudrais vous faire observer que le Niger est un pays où les populations sont plus pauvres que celles des pays d'où partent les migrants. Pourtant on a très peu de personnes sont tentées par l'Europe parce qu'elles n'en ont tout simplement pas la capacité.

Ce ne sont pas les plus pauvres qui vont en Europe. Ce sont parfois des gens qui pourraient avoir une vie très décente chez eux. Donc il faut le réfléchir. Ces personnes là on peut leur donner des opportunités justement de se retrouver en Europe par d'autres canaux, que ceux là auxquels ils sont tentés parce que c'est la seule offre que ces personnes là ont pour le moment."

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