Tunisie : Saied, "Robocop" conservateur, Karoui, prisonnier bon vendeur

Tunisie : Saied, "Robocop" conservateur, Karoui, prisonnier bon vendeur
Tous droits réservés 
Par Joël Chatreau
Partager cet articleDiscussion
Partager cet articleClose Button

Des résultats partiels confirment que le candidat en tête de la présidentielle en Tunisie est Kais Saied, un conservateur austère surnommé "Robocop". Nabil Karoui, homme de médias qui se "vend" bien mais reste en prison, pourrait se maintenir en seconde position. Qui sont ces deux personnalités ?

PUBLICITÉ

La Tunisie est gagnée à son tour par le rejet des élites des partis politiques au pouvoir et par l'émergence d'une forme de populisme anti-système : c'est la première certitude au lendemain du premier tour de l'élection présidentielle. L'Isie, la commission électorale locale, confirme par des résultats partiels que Kais Saied a pris la première place, Nabil Karoui pourrait remporter la seconde.

Ce scrutin a également été marqué par une nette désaffection des électeurs - le taux de participation n'est que d'environ 45%, soit 19% de moins qu'au premier tour de la présidentielle de 2014 -, alors que les observateurs disaient s'attendre à un regain de civisme. C'est totalement raté, notablement chez les jeunes Tunisiens qui montrent un ras-le-bol de la classe politique "officielle".

Kais Saied, sans parti mais pas sans positions fermes

S'il y a UN candidat qui n'avait jamais touché à la politique jusque-là, sauf pour la commenter sur des plateaux de télévision, c'est bien Kais Saied. Cet universitaire de 61 ans n'a aucun parti, aucune structure pour le soutenir, une quinzaine de personnes, pas plus, l'ont aidé au cours de la campagne électorale et il n'a organisé aucun meeting. Mais alors, direz-vous, d'où vient un tel succès ? Justement parce qu'il ne cesse pas de dénoncer les élites, les accusant de simplement vendre de "l'illusion" et les mettant toutes dans le même sac.

Et Saied a privilégié le porte-à-porte, la rencontre directe avec les habitants. Il s'est rendu dans une centaine de villes du pays, il est resté longtemps pour parler dans les cafés et sur les marchés et il a souvent écouté les jeunes travailleurs et les étudiants. Pourtant, l'homme est loin d'être bavard et chaleureux, il est au contraire rigide, le visage peu expressif. Il est d'ailleurs surnommé "Robocop" à cause de son débit de parole saccadé.

Il a aussi des opinions très tranchées et passe pour un conservateur des plus sévères. Kais Saied a eu l'occasion d'affirmer qu'il reste favorable à la peine de mort en Tunisie, à la loi qui punit l'homosexualité et même l'atteinte à la pudeur, qui peut même concerner l'échange d'un baiser dans la rue pour un couple pas encore marié. Des arguments qui peuvent forcément plaire aux islamistes... Sinon, le candidat indépendant prône un changement radical des institutions, plus de décentralisation du pouvoir et une réforme de la Constitution. Là, il touche une grande partie de la population et il enfonce le clou en une phrase : "Le peuple crée la richesse et doit en bénéficier".

Nabil Karoui, inculpé et emprisonné mais habile et tenace

La percée de la deuxième personnalité qui pourrait être qualifiée pour le second tour de la présidentielle provoque moins de surprise, elle était annoncée par les instituts de sondage. Nabil Karoui, 56 ans, a même certainement bénéficié de sa situation jamais vécue auparavant dans le monde - il a été emprisonné le 23 août dernier et reste derrière les barreaux malgré plusieurs demandes de libération -, passant pour une sorte de "martyr", image qu'il a accentué en menant une grève de la faim.

La réalité, c'est que cet homme d'affaires controversé, naviguant dans les milieux du commerce pour des grandes marques, de la publicité et des médias, a été inculpé en juillet dernier pour "blanchiment d'argent" et "évasion fiscale". La chaîne de télévision Nessma dont il est le fondateur est devenue l'un des principaux médias privés de Tunisie, et pourtant elle émet sans aucune licence. Pour la justice, son capital financier est trop opaque; selon l'ONG française Reporters sans Frontières, ce capital serait en partie détenu par un autre magnat des médias et ancien Premier ministre, l'Italien Silvio Berlusconi.

Nessma est un instrument de propagande idéal pour Karoui. Depuis sa déclaration de candidature au scrutin présidentiel fin mai dernier, la chaîne lui a longuement donné la parole et a relayé ses déplacements dans plusieurs régions défavorisées du pays. Il y entretient sa bonne réputation en distribuant gratuitement aux habitants, et cela depuis quelques années, des appareils électroménagers et aides alimentaires. Modestement, il s'est déjà comparé à Mère Teresa.

Contrairement à Kais Saied, Karoui a son parti, Qalb Tounes (en français "Au coeur de la Tunisie"), qu'il a fondé. Mais il le rejoint dans son exploitation de la veine populiste, n'ayant absolument pas peur de ses contradictions. Il dit être un candidat anti-système, oubliant que lors de la précédente présidentielle, en 2014, sa chaîne de télévision avait soutenu le mouvement Nidaa Tounes et son représentant, Béji Caïd Essebsi, finalement élu président et décédé le 25 juillet dernier.

Partager cet articleDiscussion

À découvrir également

Migrants bloqués à la frontière : la Tunisie et la Libye parviennent à un accord

La Tunisie et l'UE scellent un "partenariat stratégique" sur l'immigration

Tunisie : des ONG appellent à secourir des migrants chassés de Sfax