L'entretien des autoroutes en Italie, scandale d'une ampleur insoupçonnée

L'entretien des autoroutes en Italie, scandale d'une ampleur insoupçonnée
Tous droits réservés euronews
Par Monica Pinna
Partager cet articleDiscussion
Partager cet articleClose Button
Copier/coller le lien embed de la vidéo de l'article :Copy to clipboardLien copié

L'effondrement du pont Morandi à Gênes en août 2018 a révélé les failles dans la gestion des autoroutes italiennes. Des citoyens s'organisent pour dénoncer ces manquements en attendant les conclusions des enquêtes judiciaires en cours.

L'état des autoroutes italiennes est un scandale national : une vingtaine de ponts autoroutiers font actuellement, l'objet d'enquêtes judiciaires à travers le pays et 200 tunnels ne respectent pas les normes européennes. La Ligurie, région italienne qui compte le plus grand nombre d'ouvrages de ce type, est au centre de cette crise.

Luca Ternavasio a fondé une association citoyenne qui réclame plus de sécurité et de justice dans la gestion des autoroutes italiennes. Autostrade Chiare - c'est son nom - a gagné plus de 60.000 soutiens depuis décembre. "Il y a un an et demi, un viaduc s'est effondré : ce qui a causé la mort de 43 personnes," rappelle-t-il. "Au cours des deux derniers mois, deux tonnes et demi de débris sont tombées sur la route dans un tunnel : c'est clair que quand on roule en Ligurie, on prend des risques," fait-il remarquer.

Monica Pinna
Pont TecciMonica Pinna

"Cela fait des décennies que l'on fait des économies sur la maintenance"

L'effondrement du pont Morandi en août 2018 a été une catastrophe révélatrice : elle a mis en lumière le lien qu'il y avait entre toute une série d'incidents. En 2016, un pont près de Milan s'était affaissé sous le poids d'un camion, faisant une victime. L'année précédente, un ouvrage similaire s'était effondré près d'Ancone, provoquant deux décès. Deux autres accidents se sont produits en Ligurie, plus récemment, depuis le désastre du pont Morandi : la chute d'un pont sur l'autoroute A6 en raison d'un glissement de terrain et celle de pans de la voûte d'un tunnel sur l'A26 non loin de Gênes. Dans les deux cas, il n'y a pas eu de victime.

Luca Ternavasio veut nous montrer les dessous du viaduc Tecci, un ouvrage de l'autoroute qui relie Savone et Turin. Nous sommes accompagnés de Paolo Forzano, l'ancien ingénieur civil qui a été le premier à alerter sur l'état des ponts dans ce secteur.

"Cela fait des décennies que l'on fait des économies sur la maintenance de cette autoroute, depuis sa construction, il y a eu très peu d'opérations d'entretien qui ont été menées,"affirme Paolo Forzano. "Il faudrait prouver avec des données techniques que la situation est sûre, que nous pouvons avoir confiance dans cette infrastructure," réclame-t-il.

"Le pont tombe en morceaux au-dessus de nos têtes"

Sous un autre pont, le viaduc Bisagno, les habitants vivent dans la crainte d'un effondrement similaire à celui de Gênes.

Sa structure est considérée comme saine. Pourtant, il fait l'objet d'une restauration planifiée sur trois ans et demi.

Monica Pinna
Pont BisagnoMonica Pinna

Chiara Ottonello réside dessous depuis douze ans. Aujourd'hui, elle rêve de déménager. Elle nous montre l'ouvrage depuis l'une des fenêtres de son appartement. "Notre immeuble est là depuis 1925 et le pont a été inauguré en 1967," précise-t-elle avant d'ajouter : "Il tombe en morceaux au-dessus de nos têtes. On a vraiment peur de vivre ici."

Chiara Ottonello veut nous montrer sa "récolte parmi les choses qui sont tombées du pont : elles ont atterri sur nos maisons, dans nos jardins, nos vergers, dans des endroits où on devrait vivre sans souci et en sécurité," dit-elle. Elle nous montre une partie d'une gouttière de trois mètres qui est tombée sur l'arrêt de bus et un boulon qui provient de la structure de l'autoroute. "On peut encore lire son numéro d'identification, c'est le troisième boulon qu'on a trouvé," explique-t-elle.

Malgré les travaux qui sont prévus pour ce pont, Luca Ternavasio est sceptique. "Pour le pont Morandi, on disait aussi que tout allait bien ; pourtant, il s'est effondré," fait-il remarquer. "Il y a des ponts qui ont des symptômes très similaires à ceux que présentait le pont Morandi : c'est pour cela qu'on ne croit plus à ce que dit le concessionnaire de l'autoroute," indique-t-il.

Inspections partielles et falsification de documents

Des enquêtes ont montré que le principal concessionnaire autoroutier d'Italie, Autostrade per l'Italia a menti pendant des années sur l'état réel des infrastructures de son réseau en commençant par celui du pont Morandi.

Monica Pinna
Ivan Bixio, Guardia di FinanzaMonica Pinna

Près du site où l'on reconstruit l'ouvrage, nous nous rendons dans le hangar où ses débris sont inspectés et interrogeons l'un des responsables de l'enquête sur cet accident.

"En partant du cas du pont Morandi et donc, de la manière dont les contrôles avaient été faits, nous avons découvert les mêmes pratiques de falsification sur d'autres structures," fait savoir Ivan Bixio. "Il y a eu des cas où les inspections n'étaient que partielles, d'autres où les documents étaient des faux et ces faits se sont produits avant et après l'effondrement du pont Morandi," assure-t-il.

Les magistrats ont découvert que Autostrade per l'Italia faisait appel à une entreprise sous-traitante pour contrôler l'état de son réseau autoroutier. Les seuls contrôles qui étaient menés étaient donc, réalisés par l'exploitant lui-même.

25 contrats de concession

Le gouvernement a conclu 25 contrats de concession avec des sociétés d'autoroute, le système italien étant l'un des plus complexes en Europe.

La plus importante, Autostrade per l'Italia gère un réseau de plus de 3000 km. Cette filiale du groupe international d'infrastructures Atlantia contrôlé par la famille Benetton a comme les autres concessionnaires, financé des partis politiques de toute tendance.

Monica Pinna
Réseau autoroutier italienMonica PinnaPinna, Monica

"Le gouvernement n'a pas fait son travail, en commençant par les concessions," estime Luca Ternavasio, le fondateur de l'association citoyenne. "Il y a un contrat de concession qui dit littéralement que même en cas de négligence totale ou d'insolvabilité de la part du concessionnaire, nous - et je parle de l'Etat - sommes tenus de re-financer le manque à gagner jusqu'à la fin du contrat de concession : c'est comme signer un chèque d'environ 20 milliards d'euros à une entreprise privée qui gère un bien public, c'est un contrat que personne n'accepterait raisonnablement de conclure," s'indigne-t-il.

Vers une révocation par le gouvernement ?

Le gouvernement envisage de révoquer la concession octroyée à Autostrade per l'Italia et veut renforcer le système d'inspection des infrastructures. Pour ce faire, il a créé une agence de supervision, mais celle-ci n'est pas encore opérationnelle. Il a aussi mandaté un super-inspecteur pour vérifier l'état des ponts et des tunnels qui présentent un risque.

Nous rencontrons un représentant du ministère de l'infrastructure et des transports. "D'après la loi, les activités de contrôle sont de la responsabilité de l'exploitant de l'autoroute," déclare Felice Morisco. "Les effectifs de techniciens au sein du ministère sont très limités parce que ce ne devrait pas être de notre ressort de mener ce type d'activités, les inspections que nous menons ont un caractère exceptionnel," reconnaît-il.

Accélération des chantiers de rénovation

De son côté, Autostrade per l'Italia semble vouloir agir vite pour restaurer son réseau et son image. Le nouveau pont de Gênes dont la reconstruction est financée par le concessionnaire devrait être mis en service ce printemps.

Monica Pinna
Inspection d'un tunnel sur autoroute A26Monica Pinna

Près d'une centaine de chantiers sont en cours sur son réseau en Ligurie et le montant de ses investissements prévus sur les quatre prochaines années a presque triplé.

Des travaux dans les tunnels ont démarré il y a un mois. "On estime que dans trois à cinq mois, nous aurons inspecté tous les tunnels : à la fois, ceux qui ont été construits entre 1930 et 1979 qui ne sont pas étanches et ceux construits depuis 1980 qui sont étanches, mais n'ont pas de système de drainage des eaux," précise Alessandro Damiani, directeur technique de Lombardi engineering.

Au-delà des chantiers, les usagers des autoroutes attendent que la justice passe pour ne plus penser à des contrats douteux et ne plus craindre d'accident quand ils prennent le volant.

Partager cet articleDiscussion

À découvrir également

Effondrement du pont Morandi : l'Italie se souvient

Gênes : 1e phase du démantèlement du pont en présence de Conte

Pont Morandi : de nouvelles images de l'effondrement