Coronavirus : les futurs parents d'orphelins russes dans la tourmente de la pandémie

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Par Maria Gorkovskaya
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La pandémie de Covid-19 est devenue un obstacle de plus à franchir pour les couples souhaitant adopter des orphelins russes.

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"J'arrive à comprendre la douleur que ressent un parent qui n'a plus son enfant du jour au lendemain. On se sent impuissant et meurtri. C’est le sentiment d’être parent sans pouvoir l’être. Il faut se poser la question de savoir quels sont les priorités de chaque pays et dans quelle mesure peuvent-ils faire preuve d'empathie avec les gens ?" se demande Xavier Lacombe.

Lui et sa femme Estelle, deux Français, se sont vu refuser un visa pour la Russie en raison de la pandémie de coronavirus, et n'ont donc pas pu se rendre à Saint-Pétersbourg pour une décision de justice décisive dans leur dossier d'adoption d'un orphelin de trois ans.

Le consulat russe a estimé que la promesse d'une nouvelle famille pour cet enfant n'était pas une raison suffisante pour délivrer un visa prioritaire. Au même moment, deux jours après l'audition manquée du couple français le 2 novembre, toute l'équipe de football italienne de la Lazio de Rome se rendait dans la deuxième plus grande ville russe pour jouer le troisième tour de la phase de groupes de la Ligue des champions contre le Zenit Saint-Petersbourg.

"D'un côté, le football, le divertissement, même s'il rapporte beaucoup d'argent, et de l'autre, la famille. Qu'est-ce qui est le plus important ?" s'interroge M. Lacombe.

"Des montages russes émotionnelles"

Sa femme a appris en janvier qu'il leur était possible d'adopter ce jeune enfant à Saint-Pétersbourg. Ils ont rencontré leur fils, comme le couple l'appelle, en février. Ils ont eu une semaine pour faire sa connaissance. En raison de l'âge du garçon, ils n'ont pu le voir qu'une heure le matin et une heure l'après-midi. Malgré le mauvais temps, ils ont même réussi à se promener dans Saint-Pétersbourg.

De retour en France, le couple a immédiatement commencé à rassembler les documents nécessaires. Mais il ne leur a pas été possible de compléter ce dossier en raison de la fermeture des frontières partout dans le monde à cause de la Covid-19. À la mi-octobre, les candidats à l'adoption ont finalement reçu une invitation d'un juge russe. Mais en raison de la décision du ministère russe des Affaires étrangères concernant leur visa, la procédure d'adoption a de nouveau été suspendue pour une durée indéterminée.

Le couple qualifie ce qu'il a vécu ces 11 derniers mois de "montagnes russes émotionnelles". "Aujourd'hui, nous sommes des parents par correspondance. Depuis le départ, nous envoyons des e-mails, avec une photo de nous en pièce jointe à chaque fois, pour qu'il ne nous oublie pas", explique Estelle. Elle dit que le personnel de l'orphelinat a remarqué que le comportement de l'enfant a changé depuis qu'elle a rencontré les parents potentiels.

La santé d'un enfant est en jeu

Selon l'Association française des parents ayant adopté des enfants en Russie (APAER), un couple a quand même réussi à se rendre en Russie pour leur bébé début octobre. Cette organisation s'efforce de faire en sorte qu'une procédure de visa spéciale soit également mise au point pour les autres. Près de 40 couples français sont actuellement en cours de procédure d'acceptation.

Selon la présidente de l'APAER, Marie Garidou, pour décrocher cette réunion tant attendue, ils sont tous prêts à passer un test de dépistage pour la Covid-19, à passer deux semaines de quarantaine et à limiter leur cercle de relations sociales au maximum. Ces démarches attestent de leur extreme motivation.

Cette solution est recherchée non seulement par les Français, mais aussi par de nombreux autres candidats à l'adoption dans toute l'Europe. Mais, les organisations qui les aident, auxquelles Euronews a demandé de rendre compte de l'état d'avancement des négociations avec Moscou, ont refusé de commenter. En effet, certaines d'entre elles, en particulier en Italie, refuse d'évoquer la situation dans la presse car elles sont actuellement engagées dans des discussions avec des responsables russes sur cette question. Elles craignent que leurs remarques publiées puissent avoir un impact négatif sur ces négociations, sur les dossiers d'adoption et sur les enfants. Actuellement, c'est l'Italie qui accueille le plus grand nombre d'orphelins de Russie.

"Pour qu'un enfant ait une famille, il faut prendre des risques"

En 2019, 10 % des enfants russes adoptés par des étrangers étaient handicapés. Seuls 3 % des parents russes de ces enfants souffraient d'un handicap. Une autre catégorie d'orphelins russes le plus souvent placés dans des familles françaises sont les enfants "plus âgés" de 3 à 7 ans, ainsi que ceux qui ont des frères et sœurs, qui, selon la loi, ne peuvent être séparés. En d'autres termes, ce sont des enfants dont les chances d'être acceptés dans une famille en Russie sont très faibles.

Aujourd'hui, l'association APAER, qui existe depuis près de 20 ans, compte environ un millier de membres. Mais le nombre de nouveaux adhérents diminue chaque année. L'année dernière, seuls une vingtaine de couples ont pu trouver leur enfant en Russie. Les deux autres associations qui ont aidé les familles françaises dans ces démarches ont cessé d'exister.

La fermeture de l'une des associations s'est avérée être le principal obstacle sur le chemin d'une petite fille d'un des orphelinats de la région de Sverdlovsk vers la maison d'Amélie et Hern de la région parisienne.

"Nous avons vécu en Europe de l'Est pendant plusieurs années. Nous avons rêvé que notre futur enfant serait issu d'un environnement familier - en termes de culture, de religion. Nous aimons beaucoup la littérature russe, la musique. Et nous aimerions soutenir sincèrement notre enfant si un jour, une fois adulte, il décide de retourner dans sa patrie", explique Amélie à la question de savoir pourquoi leur choix s'est porté sur la Russie.

Après des mois passés à rassembler des documents et à consulter des psychologues, en 2017, les autorités françaises ont accordé au couple l'autorisation d'adopter un enfant de moins de 7 ans. En septembre 2018, l'association loi 1901 De Pauline à Anaëlle a envoyé leur dossier de candidature en Russie. La direction de l'organisation leur a assuré que désormais la question n'est plus de savoir si ils auront un enfant, mais quand il arrivera. Elle a noté qu'en moyenne il faut attendre entre 12 et 18 mois pour un bébé russe.

Le piège de la pandémie

En novembre 2019, ils ont reçu le dossier d'une fille qui avait alors 5 ans et demi. En décembre, ils ont envoyé une demande au ministère de la politique sociale de la région de Sverdlovsk pour obtenir une autorisation officielle pour rencontrer l'enfant. En janvier 2020, le processus s'est arrêté.

"Le président de l'association a expliqué que le nouveau ministre de l'Education, nommé par le Premier ministre Mikhaïl Michoustine, a l'intention de durcir la procédure d'adoption, en particulier de modifier la procédure de sélection des enfants qui peuvent être confiés à des familles étrangères", explique le couple.

"Puis il y a eu le Covid-19 : nous avons suivi le nombre de personnes malades en Russie chaque jour. Et lorsque le nombre de nouvelles infections a commencé à diminuer au cours de l'été, De Pauline à Anaëlle a annoncé sa dissolution et le transfert de notre dossier à l'AFA. Mais ils nous ont dit que nous n'avions pas d'offres officielles et nous ont conseillé de 'chercher un enfant ailleurs' ".

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Contacté par Euronews, l'Agence Française de l'Adoption (AFA) a déclaré qu'elle ne ferait pas de commentaires sur la situation des adoptions internationales durant à la pandémie.

Ce n'est que grâce aux liens de l'APAER que le coupe a appris que les autorités régionales de la région de Sverdlovsk ont motivé leur refus par l'actuelle pandémie. L'enfant a désormais 6 ans et demi. Et si la situation ne change pas dans les prochaines semaines, Amélie et Hern ne pourront pas l'adopter en raison des restrictions concernant l'âge de l'enfant, qui sont précisées dans l'autorisation délivrée par l'administration française.

Hern raconte qu'il a écrit une lettre au ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, pour lui présenter leur situation : "C'est notre futur enfant, et quand on n'a pas le droit de voir ses enfants, il ne reste qu'une chose à faire : se battre."

"Le pire pour nous, ce n'est pas tant que nous ne puissions pas l'adopter, mais que peut-être personne ne l'adoptera jamais. Elle est dans un orphelinat depuis l'âge de deux mois. Bien sûr, elle a été proposée à des couples russes, ils ont la priorité - et c'est normal. Mais elle grandit toujours sans parents. A 18 ans, ces enfants sont totalement abandonnés : en France, un quart des personnes vivant dans la rue sont d'anciens pensionnaires d'institutions sociales similaires", explique Amélie.

L'adoption comme politique

Aujourd'hui, en Russie, la priorité en matière d'adoption est donnée aux couples nationaux. Les étrangers passent après. Mais les experts soulignent qu'il existe encore une adoption plutôt sélective dans le pays ; il s'agit principalement d'enfants en bonne santé et en bas âge. Selon diverses données, 70 à 82 % de tous les enfants qui restent aujourd'hui dans les institutions sociales sont les adolescents .

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Dans le même temps, le nombre d'enfants vivant dans des orphelinats est en baisse. Tout d'abord, cela s'explique par le développement de la culture de l'adoption et des différentes formes de placement des enfants dans le pays, explique Armen Popov, le fondateur du portail Internet "Adopt.ru".

Selon lui, dans les années 1990, le quasi-totalité des placements d'enfants étaient internationaux, et les files d'attente dans les organismes de tutelle étaient presque exclusivement formées d'étrangers. Pendant ces années, les Américains à eux seuls ont accueilli entre 90 à 100 000 bébés.

M. Popov note que le président Vladimir Poutine a souligné pour la première fois la nécessité de développer la structure familiale des mineurs au niveau de l'État en 2006, lors de son message à l'Assemblée fédérale. Le sujet est devenu ensuite politique : en 2013, la loi "sur les mesures visant à influencer les personnes impliquées dans des violations des droits et libertés fondamentaux de l'homme, les droits et libertés des citoyens de la Fédération de Russie" (connue sous le nom de "loi des canailles" ou "loi de Dima Yakovlev" - en mémoire d'un orphelin russe mort aux États-Unis en 2008 à cause de la négligence de ses parents adoptifs) est entrée en vigueur, interdisant aux citoyens américains d'adopter des enfants de Russie.

Le nombre d'orphelins placés dans des familles étrangères a commencé à diminuer rapidement : alors qu'en 2012, ils étaient 2 604, en 2019, ils ne sont plus que 240.

M. Popov analyse ce changement comme venant surtout du développement de nouvelles institutions de tutelle et de curatelle et, surtout, de famille d'accueil — une alternative pour laquelle des paiements mensuels sont versés (les montants diffèrent selon les régions). Malgré le problème du "retour" des enfants dans les institutions d'accueil par les familles adoptives, (le nombre de renvois a augmenté de 10 % au cours des trois dernières années, et en 2019 il y en avait plus de 5 000), le nombre d'orphelins enregistrés a diminué.

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Sources additionnelles • Traduction et adaptation : Thomas Seymat

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