De l'Angola à Lisbonne : ma vie face à la masculinité toxique | View

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"Grandir en tant qu'enfant queer en Afrique est dangereux à cause de toutes les règles sur la façon dont un homme est censé se comporter dans la société."

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Ma première expérience de la masculinité toxique remonte à l'époque où j'étais enfant.

J'étais dans un centre commercial avec mes parents et je voulais monter sur une de ces machines électriques que l'on trouve dans les parcs d'attractions. Celle-ci était un petit Donald Duck. Mon père pensait que le "jouet" n'était pas assez masculin et a décidé de me faire monter dans un autre manège, un hélicoptère qui était un peu plus haut que le sol. Il était plus grand et, en fait, peu sûr pour un petit enfant. Quand l'hélicoptère s'est mis à bouger, j'ai eu tellement peur que je n'ai pas pu m'arrêter de pleurer et de crier, alors que je tendais les bras pour que mon père me ramène au sol.

Mais il ne l'a pas fait ; il a ri à la place. Cette même situation a développé en moi une nouvelle peur : le vertige. Je continue à souffrir de vertiges aujourd'hui. En y repensant, il s'agissait peut-être pour mon père de l'idée, un peu tordue, qu'il se faisait de la façon dont il devait m'initier à un monde difficile.

Il est dangereux d'élever un enfant queer en Afrique à cause de toutes les règles sur la façon dont un homme est censé se comporter dans la société. Et pour moi, ces règles étaient particulièrement strictes.

Mon père était un militaire, comme la plupart des figures familiales masculines qu'il avait comme références. Son nom, Gaspar, a été hérité de son oncle Gaspar da Silva, qui était général dans l'infanterie.

Cette énergie militaire était une force que je devais affronter tous les jours quand j'étais enfant. Je n'avais pas de place pour être ce que j'apprenais à être de façon naturelle, car mes parents faisaient comme s'ils savaient exactement quoi faire chaque fois que je faisais preuve d'un peu de sensibilité.

Je me souviens avoir pensé que la plupart de mes cousins, oncles et connaissances étaient agressifs avec moi quand j'étais plus jeune. "Les garçons ne pleurent pas". "Tu as l'air d'une fille". "Tu veux être une petite fille ?". Des phrases comme celles-ci ont résonné dans mon esprit pendant des années. Elles m'ont éloigné de ma véritable essence.

En grandissant, les sévices sont devenus aussi naturels que la douleur. Ce qui signifie que, quelles que soient les conséquences si je me faisais prendre, s'habiller en fille, jouer à la poupée et se maquiller sont devenus partie prenante de mon identité.

Mon père a été assassiné en 1989, alors que j'avais environ 7 ans. Je m'en suis voulu car je pensais que c'était moi qui l'avais souhaité, ce qui a encore aggravé le traumatisme de sa mort. Ma mère a été chassée de la famille parce qu'elle avait refusé d'épouser le cousin le plus proche de mon père après sa mort, ce qui était la tradition. À partir de ce moment, j'ai été élevé par des femmes : mes tantes et ma grand-mère.

Je pensais que la mort de mon père aurait rendu ma vie un peu plus facile, mais j'avais tort. Parce que la façon dont notre société est structurée a fait que les femmes perpétuent aussi la masculinité toxique qu'elles subissent et affrontent elles-mêmes.

J'ai été témoin de plus de violence que je n'aurais souhaité, même au sein de mon foyer, à cause de désaccords sur la façon dont je devais être traité.

Dans la plupart des sociétés, l'"hyper masculinité" et sa volonté de rester hégémonique ont fait payer un prix très élevé à certaines personnes, notamment les homosexuels, les groupes ethniques minoritaires, les migrants, les pauvres et les travailleurs victimes d'exploiteurs.

Je me souviens qu'à l'âge de 8 ans, j'ai essayé de sortir de la maison habillé comme mes sœurs, en exigeant que tout le monde m'appelle Paula. J'ai été battu par un groupe de garçons. Je savais que certains de ces garçons aimaient aussi cela, en secret. Mais si l'un d'entre nous se faisait prendre en train de commettre l'un de ces actes, il allait toujours être confronté à de la violence.

Pendant mon enfance, l'Angola était impliqué dans une guerre civile entre le Mouvement populaire pour la libération de l'Angola (MPLA) et l'Union nationale pour l'indépendance totale de l'Angola (UNITA) jusqu'à la signature d'un accord de paix en avril 2002. J'avais échappé aux combats dès 1994, lorsque j'ai été envoyé étudier dans un internat en Espagne.

L'une des principales raisons pour lesquelles ma famille m'avait envoyé à l'étranger pour y étudier était qu'elle savait que ma vie en Angola aurait été trop difficile si je n'étais pas parti, à cause de comment j'étais. On m'a envoyé donc dans un séminaire en Espagne, à San Agustin. Là, j'ai commencé à penser que peut-être consacrer ma vie à Dieu serait la meilleure option pour moi, et je me suis concentré sur mes études de théologie.

Aujourd'hui, peu de choses ont changé. Nous vivons à une époque où, dans de nombreux endroits du monde, les gens sont en mesure de réclamer l'égalité des droits, et où Internet a apporté une vision transversale et horizontale de la réalité. Pourtant, dans de nombreuses sociétés africaines, cette réalité n'inclut pas les personnes LGBTQIA+, et être homosexuel ou simplement une personne non binaire peut être une peine de mort. La religion est souvent la principale justification, dans ces cas, lorsqu'on croit, et qu'on prêche, qu'il vaut mieux être mort que d'être une sorte de "déviant sexuel".

En 2013, de retour en Angola, j'ai décidé de faire connaître publiquement mon homosexualité, alors que je prenais la parole lors d'une conférence TEDx à Luanda. C'était un grand pas pour moi, en tant que personnalité publique. Après mon discours, de nombreuses personnes m'ont conseillé de quitter le pays parce que j'étais en danger.

Il m'avait fallu plus de 30 ans pour trouver la force de me battre et me positionner comme le personnage central de ma propre histoire. Et cela, tout en lisant ou en entendant des choses comme "les hommes bantous ne sont pas homosexuels", "l'homosexualité est une importation européenne" ou que c'est "contre les lois de Dieu", et que j'avais besoin de me consacrer à Dieu et d'être "spirituellement guéri". Que j'étais une abomination.

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J'ai également eu des conversations sincères avec des amis et des membres de ma famille qui ont appris à m'accepter. Cependant, ils refusent d'accepter les autres. Je me suis identifié comme homosexuel depuis maintenant plus de 20 ans, et il y a encore des moments où je dois me contrôler et me maîtrisé, de peur d'être rejeté, écarté ou épuisé émotionnellement.

Je vis maintenant au Portugal, où nous commençons à définir le racisme et ses structures, comment il a principalement touché les Noirs de la diaspora africaine, en particulier ceux des anciennes colonies, et comment il s'agit encore d'une blessure ouverte qu'il faut réparer. Les gens se rassemblent pour protester contre les meurtres de personnes noires, comme celui de Bruno Candé Marques, un acteur qui a été abattu par une personne ouvertement raciste.

Mais, parallèlement, je me demande pourquoi les gens se détournent encore à la vue d'un drapeau arc-en-ciel et disent que les LGBTQIA+ ne sont pas les bienvenus dans ce combat.

Il est donc d'autant plus urgent de repenser notre façon d'éduquer nos jeunes. Certains professeurs et moi-même avons lancé une pétition publique pour introduire au Portugal une nouvelle discipline appelée "Éducation à la citoyenneté", dans le but de s'assurer que nos enfants apprennent l'égalité des sexes, la reconnaissance de leur identité, la lutte contre le racisme et bien d'autres choses encore. La pétition doit être signée par 4 000 personnes pour pouvoir être présentée au Parlement. Le lien se trouve dans la biographie de mon compte Instagram.

Il n'est pas facile de devoir constamment "compartimenter" qui vous êtes, et de mettre des morceaux de vous-même dans des boîtes afin d'éviter d'être maltraité. Être queer n'a toujours pas de représentation dans notre imaginaire collectif. La discrimination est plus facile à combattre avec un statut. Donc si nous devons occuper des espaces qui mettent en valeur nos existences, que cela soit par l'art que nous faisons.

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Le système est pervers, mais nous devons continuer à nous battre pour l'égalité, surtout si c'est nous qui sommes au milieu de l'arène.

Paulo Nuno de Azevedo Pascoal est né à Lisbonne et a grandi en Angola. Il est acteur, danseur, mannequin, designer, producteur et activiste humanitaire qui se concentre sur les communautés africaines.

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Les opinions exprimées dans les articles de la catégorie View sont uniquement celles des auteurs.

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Ce programme est financé par le European Journalism Centre, dans le cadre du programme European Development Journalism Grants, avec le soutien de la Fondation Bill and Melinda Gates.

Sources additionnelles • Traduction et adaptation : Thomas Seymat

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