Déclassification facilitée des archives de la guerre d'Algérie : une avancée en trompe-l’œil ?

Déclassification facilitée des archives concernant la guerre d'Algérie : une réelle avancée ?
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Par Guillaume Petit
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Après avoir reconnu la responsabilité de la France dans l'assassinat de l'avocat indépendantiste Ali Boumendjel, le président Emmanuel Macron fait un nouveau geste pour faciliter l'accès aux archives classifiées incluant notamment la guerre d'Algérie.

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L'accès restreint aux archives de la période coloniale et de la Guerre d'Algérie reste un des points de discorde entre Alger et Paris. Mais l'annonce d'Emmanuel Macron de faciliter l'accès à ces archives constitue-t-elle un grand pas ou une avancée en trompe-l'oeil ? Euronews fait le point avec deux invités, l'une en France, l'autre en Algérie.

Après avoir reconnu la responsabilité de la France dans l'assassinat de l'avocat indépendantiste Ali Boumendjel, le président Emmanuel Macron fait un nouveau geste pour faciliter l'accès aux archives classifiées incluant notamment la guerre d'Algérie.

Objectif : briser les tabous, assainir les relations entre la France et l'Algérie, apaiser des tensions qui persistent sur cette délicate période de l'histoire, mais aussi mettre la lumière sur certaines zones d'ombres. "Établir plus de vérités et parvenir à la réconciliation des mémoires", c'était justement l'une des recommandations du rapport remis par l'historien Benjamin Stora au président Macron le 20 janvier 2021.

Réduire "sensiblement" les délais

Concrètement, les Archives nationales et services des ministères des Affaires étrangères et des Armées pourront déclassifier plus vite des archives de plus de 50 ans cou­vertes par le secret de la Défense nationale, ce qui permettrait de réduire "sensiblement" les délais d'attente pour les chercheurs qui veulent y accéder. 

En théorie. Car plusieurs associations - parmi lesquelles l'Association des archi­vis­tes fran­çais, l’Association des his­to­riens contem­po­ra­néis­tes de l’ensei­gne­ment supé­rieur et de la recher­che et l’Association Josette et Maurice Audin "appellent à la plus grande vigilance".

Ces associations avaient déposé un recours devant le Conseil d’État pour contester "l'application systématique de nouvelles instructions interministérielles" qui conduisait, comme l'expliquait un communiqué de janvier dernier, "_à subor­don­ner toute com­mu­ni­ca­tion de docu­ments anté­rieurs à 1970 et por­tant un tampon « secret » à une pro­cé­dure admi­nis­tra­tive dite de déclas­si­fi­ca­tion". _

"Sur le fond rien ne changera finalement"

_Résultat, l'accès à des documents "__por­tant sur cer­tains des épisodes les plus sen­si­bles de notre passé récent" __s_e trouvait ainsi bloqué "_pen­dant des mois, et par­fois des années". _"Loin de se confor­mer à la loi sur les archi­ves de 2008, ce texte régle­men­taire entrave toujours plus l’accès aux archi­ves contem­po­rai­nes de la Nation", ajoutaient les associations.

Pour Céline Guyon, présidente de l'Association des archivistes français, si "la mobilisation citoyenne a été entendue par le président français", il ne faut pas s'emballer.

"Sur le fond rien ne changera finalement, puisqu'il s'agit d'une mesure de simplification qui est qualifiée de démarquage au carton. C'est à dire que plutôt que de démarquer pièce à pièce, le président a autorisé à démarquer carton après carton. Mais il faut savoir que les services d'archives conservent plusieurs dizaines de milliers de cartons contenant des documents secret-défense", relativise ainsi Céline Guyon.

"Plutôt que de démarquer pièce à pièce, le président français a autorisé à démarquer carton après carton"
Céline Guyon
Présidente de l'Association des archivistes français

Qu'en pensent les médias algériens ?

Dans les médias algériens, l'opinion est divisée sur la portée des actions de la présidence française."Le président français Emmanuel Macron a fait un grand pas", écrit le quotidien algérien Liberté. De son côté, l'Expression, quotidien proche du pouvoir algérien, affirme que "le président français semble vouloir mettre les bouchées doubles dans la voix d'une relation apaisée avec l'Algérie". Mais cette ouverture, ajoute le journal, "ne règle pas les contentions de l'Histoire, car les archives ne disent pas tout".

Samir Larabi, journaliste, chercheur en sociologie et membre du Parti Socialiste des Travailleurs, salue l'avancée faite avec ce geste du président français, mais met en garde contre la fiabilité des documents. "C'est une avancée que l'on déclassifie et que l'on facilite l'accès aux chercheurs et voir même à un large public. Mais je pense aussi qu'il faut faire attention à l'usage de ces archives, parce qu'il se peut aussi qu'il y ait manipulation de certains documents. Quand ce sont des archives faites par ce que l'on appelle le "Deuxième bureau" (surnom du service de renseignements des armées), qui était aussi chargé de la propagande coloniale, il est fort possible qu'il y ait des documents qui soient falsifiés, mal interprétés ou mal étudiés".

Le gouvernement compte malgré tout protéger les les informations ultra-sensibles. Les dossiers sur les essais nucléaires menés par la France dans le Sahara algérien dans les années 1960 resteront secrètes, alors qu'Alger les réclame. 

"Je considère qu'il faut tout ouvrir et ne rien laisser"
Samir Larabi
Journaliste et militant politique

"Bien sûr, ça doit être déclassifié aussi", affirme Samir Larabi. "Beaucoup d'algériens notamment dans le sud du pays ont souffert et continue de souffrir de ces essais nucléaires. Il y a beaucoup de maladies, de cancer, de déformations il y a encore des bébés ou des gens qui sont déformés."

Une déclassification permettrait de retourner sur cette période de l'histoire, encore douloureuse pour de nombreux algériens. "Je considère qu'il faut tout ouvrir et ne rien laisser", affirme Samir Larabi.

Sur la question de l'impact de cette annonce sur les relations entre la France et l'Algérie, le journaliste algérien juge que la France devrait aller plus loin et devrait présenter des excuses à l'Algérie pour les actions commises sous l'époque coloniale. "Pas uniquement demander des excuses, mais ne pas reproduire les pratiques d'hier, sous sa forme coloniale ou sous sa forme néo-coloniale", ajoute-t-il.

A noter que la France est aussi dans l'attente du rapport de l'homologue de Benjamin Stora, Abdelmadjid Chikhi. Les chercheurs français et algériens attendent aussi une réciprocité pour faciliter l'accès aux archives en Algérie.

Retrouvez l'interview complète dans la vidéo ci-dessus.

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