Présidentielle française : pourquoi le président de la République a-t-il autant de pouvoir ?

Le président français Emmanuel Macron au palais de l'Élysée à Paris, en 2019.
Le président français Emmanuel Macron au palais de l'Élysée à Paris, en 2019. Tous droits réservés Yoan Valat, AP
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Par Lauren ChadwickHuseyin Koyuncu
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La France élit son prochain président. Selon les politologues, le chef d'Etat est un des dirigeants européens qui a le plus de pouvoir ? Comment expliquer cette situation?

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Avant son premier mandat présidentiel, le candidat Emmanuel Macron avait annoncé qu'il souhaitait incarner un président "jupitérien", arguant qu’une personne "normale" à la présidence de la république serait une source d'instabilité.

Un président "jupitérien" serait donc un chef d'Etat, qui comme Jupiter - le dieu romain de tous les dieux - gouvernerait d'un caractère impérieux et dominateur. Cette comparaison peut sembler paradoxale pour un pays qui a violemment renversé sa monarchie et mis fin à des siècles de privilèges.

Pourtant, au cours des 50 dernières années, le système politique français et la constitution ont évolué, accordant un pouvoir renforcé au président de la République.

"En France, nous avons un chef d'Etat qui préside la République, qui contrôle le gouvernement, qui contrôle le parlement et qui contrôle la Cour constitutionnelle. Cela participe effectivement à la création d’un 'super président', comme Jupiter", explique Christophe Chabrot, maître de conférences de droit public à l'Université Lumière Lyon 2.

"C'est un peu comme si nous étions revenus en 1830, lorsque, au sein des monarchies européennes, le roi commençait à perdre ses pouvoirs au profit du Premier ministre, tout en conservant beaucoup de pouvoir", poursuit M. Chabrot.

Le Parlement français est souvent accusé d'être devenu "une chambre d'enregistrement" qui n’aurait que pour but d’approuver les décisions du chef de l'Etat.

"Le président de la République en France a, de par la loi, beaucoup plus de pouvoir que n'importe quel autre président en Europe", dit Delphine Dulong, professeure en science politique à l'Université Paris 1.

"Et dans la pratique, les présidents qui se sont succédé, ont fait un usage très large, très étendu de leurs pouvoirs accordés par la constitution", ajoute la professeure.

Comment est née la Ve République ?

La constitution qui est en vigueur en France remonte à 1958, lorsque le général Charles de Gaulle a formé ce qui deviendra la Ve République à la suite du putsch d'Alger.

Suite aux mouvements d'Alger, le président de l'époque René Coty, annonce qu’il s’est "tourné vers le plus illustre des Français" pour former un nouveau gouvernement. De Gaulle qui voulait absolument la stabilité gouvernementale lance rapidement le processus de rédaction de la nouvelle constitution.

Selon les politologues, la précédente république datait de la fin de la Seconde Guerre mondiale, accordait plus de pouvoir au Parlement, et provoquait une instabilité ministérielle et une concurrence entre les partis politiques.

Le 4 septembre 1958, le projet définitif de Constitution est présenté aux Français par Charle de Gaulle sur la place de la République à Paris.

Le texte est soumis au référendum le 28 septembre 1958. Le peuple l’approuve à une très grande majorité (82,6%) et la Constitution de la Ve République est promulguée le 4 octobre 1958.

Incontestablement, la nouvelle république renforce le rôle du président, et limite les pouvoirs de l’Assemblée nationale.

"De Gaulle voulait un président qui ne soit pas limité. Dans son esprit, le président était au-dessus des partis politiques et devait être politiquement neutre ", explique Delphine Dulong.

En réalité, ce sont les changements qui ont suivi, qui vont à la fois renforcer le pouvoir présidentiel et s'éloigner de cette vision originale, engendrant ainsi le régime présidentiel en place aujourd'hui.

Le suffrage universel : politisation de la fonction présidentielle

Depuis la révision constitutionnelle du 6 novembre 1962, en France le président de la République est élu au suffrage universel direct et non plus, comme c'était initialement le cas en 1958, par un collège de grands électeurs.

Dans le but de renforcer sa légitimité en tant que président, Charles de Gaulle a organisé un référendum sur le mode d'élection du président. 62% des Français ont voté "oui" pour élire eux-mêmes leur chef d'Etat.

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Selon de nombreux analystes, c'est le suffrage universel qui va véritablement renforcer le pouvoir et la légitimité du président tout en politisant son rôle. "Le président devient nécessairement le leader ou le champion d'un camp politique. Il y a donc une politisation du rôle présidentiel", déclare Mme. Dulong.

Après le référendum, Charles de Gaulle a suivi le mouvement en dissolvant le parlement et en organisant de nouvelles élections, retrouvant ainsi sa majorité parlementaire.

Pourquoi le mandat présidentiel a-t-il été réduit ?

Avec le nouveau suffrage, un nouveau problème est apparu : la cohabitation. Il s'agit de la conjoncture politique dans laquelle le chef d'Etat et la majorité des députés sont de tendances politiques opposées.

Depuis le début de la Ve République, la France a connu trois périodes de cohabitation : 1986, 1993 et 1997.

Lors de la dernière cohabitation, le président de droite Jacques Chirac a été contraint de nommer le socialiste Lionel Jospin comme Premier ministre après avoir convoqué des élections anticipées.

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Jacques Chirac a ensuite présenté une loi pour modifier la constitution en 2000, limitant le mandat présidentiel à cinq ans au lieu de sept.

"Le président incarne l'intérêt général et la continuité de la république. Vous les choisirez plus souvent. Votre voix, votre décision compteront davantage. Votre devoir démocratique sera renforcé", a déclaré Jacques Chirac.

La question a été soumise à la population par référendum, et a obtenu 73% de votes favorables.

Le passage au quinquennat et le fait que l’élection présidentielle précède de quelques semaines l’élection des députés rendent hypothétiques les situations de cohabitation.

"On ne change pas d'opinion politique en un mois. Donc l'élection du corps législatif donnera souvent la même majorité que celle du président", explique M. Chabrot.

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Cela s'est vérifié pour tous les présidents depuis, y compris avec Emmanuel Macron qui a remporté la majorité parlementaire avec un tout nouveau parti politique et des députés qui étaient auparavant inconnus des électeurs.

Georges Gobet, AFP
Le Premier ministre Lionel Jospin et le président Jacques Chirac, mai 2000Georges Gobet, AFP

La France peut-elle changer de système politique ?

Selon certains politologues critiques, le système politique doit changer pour rééquilibrer les institutions, de manière à ce que ce ne soit pas une seule personne qui prenne toutes les grandes décisions sans assumer les responsabilités.

"Nous avons vu très récemment en France que c'était principalement le président, soutenu par un conseil, qui prenait les décisions pendant la pandémie. Mais comme le président ne peut pas être attaqué en justice, c'est le Premier ministre Edouard Philippe qui a été poursuivi en justice", dit Delphine Dulong.

Le leader de la France insoumise Jean-Luc Mélenchon fait partie de ceux qui appellent à une Sixième République pour "abolir la monarchie présidentielle" dans une nouvelle constitution.

Mais M. Chabrot, de l'université de Lyon, estime que la suppression de l'article 9 de la Constitution, qui désigne le président comme chef du conseil des ministres, pourrait déjà rééquilibrer considérablement le système politique français.

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Suppression du suffrage universel ?

Un autre changement pourrait être la suppression de l'élection présidentielle au suffrage universel. Comme avant la Constitution de 1958, le président serait élu par les députés, les sénateurs et les élus locaux.

"Tout le monde affirme que les Français sont très attachés à l'élection présidentielle, que c'est un droit démocratique sur lequel on ne peut pas revenir. Cela reste à voir. Quand on regarde le taux d'abstention et les votes blancs depuis les années 1980, on voit que l'élection présidentielle est un scrutin qui est en crise", affirme Delphine Dulong.

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