Immigrés, al-Thani, gaz et LGBT : ce qu'il faut savoir sur le Qatar autour du Mondial 2022

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Par Joshua Askew avec Olivier Péguy, AFP & AP
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A l'heure où va débuter la Coupe du monde de football au Qatar, voici un aperçu de cet émirat du Moyen-Orient : histoire, économie, pouvoir politique et controverses autour du Mondial

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A l'heure où va débuter la Coupe du monde de football au Qatar, voici un aperçu de cet émirat du Moyen-Orient : histoire, économie, pouvoir politique et controverses autour du Mondial.

Fiche d'identité

  • Le Qatar est un pays situé dans la péninsule arabique. Sa superficie est de 11 500 km².
  • Il compte 2,6 millions d'habitants, dont les trois-quarts vivent dans la capitale Doha. Les Qataris ne représentent que 10 à 15% de la population. Le reste est constitué d'immigrés.
  • L’islam est la religion principale : elle possède le titre de religion d’État. Comme en Arabie Saoudite, le wahabisme est la variante dominante de l'Islam, généralement considéré comme plus fondamental et conservateur.
  • Le Qatar est une ancienne colonie britannique ayant accédé à l'indépendance en 1971.
  • L'économie repose essentiellement sur le gaz. Le pays possède les deuxièmes réserves mondiales de gaz naturel.
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Carte du Qatar et de la péninsule arabiqueeuronews

Population : quelques Qataris et de nombreux immigrés

Près de 90 % de la population est constituée d'immigrés, principalement originaires d'Asie du Sud, mais aussi d'Afrique de l'Est.

La majorité de ces travailleurs migrants sont des hommes célibataires qui travaillent dans des secteurs tels que la construction, l'hôtellerie et la sécurité.

Les femmes qui émigrent au Qatar viennent souvent là pour des emplois de ménage et de garde d'enfants. 

Niranjan Shrestha/Copyright 2016 The AP. All rights reserved.
Archives : publicité pour la compagnie Qatar Airways sur un mur de Janakpur (Népal), le 30/11/2016Niranjan Shrestha/Copyright 2016 The AP. All rights reserved.

Pete Pattisson est un journaliste britannique qui a enquêté sur le traitement des travailleurs à bas salaire dans le pays. "Le Qatar est une société très hiérarchisée, stratifiée", a-t-il expliqué à Euronews. "Les personnes originaires d'Asie du Sud et d'Afrique de l'Est sont tout en bas de l'échelle. Ces gens vivent essentiellement des vies parallèles à celles de tout le monde au Qatar, en particulier les Occidentaux communément appelés  'expats' ('expatriés')."

Dans un rapport en 2020, l'ONU avait fait part de "sérieuses préoccupations relatives à un racisme structurel et une discrimination contre les non-nationaux", constatant qu'"un système de castes de facto" existe dans le pays.

Histoire : de la tutelle britannique au pouvoir des al-Thani

Avant d'obtenir son indépendance en 1971, le petit État du Golfe était un protectorat de la Grande-Bretagne, Londres contrôlant ses affaires étrangères et assurant sa sécurité.

Contrairement à d'autres anciennes colonies, Allen James Fromherz, auteur de Qatar : Rise to Power and Influence, affirme qu'"il n'y a pas eu de véritable pression [de la part des dirigeants du Qatar] pour que les Britanniques partent... [ils] appréciaient leur protection militaire".

L'indépendance de l'émirat a été proclamée le 3 septembre 1971. A sa tête, Ahmad ben Ali al-Thani, alors âgé de 51 ans. Il est membre de la dynastie des al-Thani, qui domine le Qatar depuis le XIXe siècle. 

Son cousin Khalifa ben Hamad al-Thani le renverse quelques mois plus tard, en février 1972, pour prendre sa place. Il règne pendant une vingtaine d'années, avant d'être à son tour destitué par son fils Hamad ben Khalifa al-Thani le 27 juin 1995.

Hamad dirige (et modernise) le pays pendant deux décennies avant d'abdiquer au profit de son fils Tamim en 2013. Le cheikh Tamim ben Hamad al-Thani est aujourd'hui âgé de 42 ans.

Vyacheslav Prokofyev/Sputnik
L'émir du Qatar, cheikh Tamim bin Hamad al-Thani, lors d'un sommet international à Astana (Kazakhstan), le 13/10/2022Vyacheslav Prokofyev/Sputnik

L'émir du Qatar nomme personnellement les ministres - généralement des membres de sa famille - et un tiers du Conseil de la Shura, un conseil législatif, les autres étant élus.

Bien que de nombreuses consultations aient lieu à huis clos, le pouvoir est largement entre les mains de l'émir, qui contrôle en dernier ressort les décisions politiques, l'élaboration des lois et le système judiciaire.

Les partis politiques sont interdits.

"Le problème [au Qatar]", explique Rothna Begum, chercheuse à Human Rights Watch, "c'est que leurs lois limitent la liberté d'expression, d'association et de réunion... ce qui rend la tâche vraiment difficile à quiconque veut faire un travail sur les droits des femmes ou quelque chose de ce genre".

Freedom House, une ONG qui surveille les droits politiques et les libertés civiles, classe le Qatar comme "non libre".

Pétrodollars et soft power

Le Qatar est le troisième pays le plus riche du monde, au regard du PIB par habitant.

Cette richesse est due en grande partie aux vastes réserves de pétrole et de gaz.

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Leader mondial sur le marché du gaz naturel liquéfié, le Qatar a vu sa position économique être renforcée du fait de la guerre en Ukraine et des sanctions contre la Russie (autre grand producteur de gaz). C'est ce que souligne Allen James Fromherz.

"Avec les États-Unis, le Qatar est l'un des principaux fournisseurs mondiaux et constitue une alternative à la Russie", a-t-il déclaré à Euronews. "Il s'est positionné de manière stratégique à l'égard de l'Europe, qui doit s'assurer que le gaz et le pétrole continuent à circuler".

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Archives : un super-tanker transportant du gaz naturel liquéfié, dans le port de Ras Laffan (Qatar) - photo non datée.AP/Copyright 2005 The AP. All rights reserved

Mais la puissance du Qatar dépasse cette dimension purement économique.

L'émirat s'est fait un nom sur la carte médiatique mondiale à travers "sa" chaîne de télévision, Al Jazeera, lancée en 1996.

"Le Qatar dispose d'un énorme poids en matière de soft-power, plus que n'importe quelle autre nation dans toute la région", affirme Allen James Fromherz. 

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Contrairement au "hard power", qui consiste à utiliser la force pour arriver à ses fins, le "soft power" est la capacité d'influencer les autres par la culture et les valeurs.

L'accueil de la Coupe du monde participe de ce soft power. En décrochant l'organisation de cette compétition, l'émirat est devenu le premier pays du Moyen-Orient à accueillir cet événement.

"Le Qatar essaie de se présenter au monde comme un acteur international sérieux", explique Rothna Begum, de Human Rights Watch. 

Mondial et controverses

L'obtention du Mondial 2022 est perçue comme une grande opportunité pour le pays. Mais ce coup de projecteur mondial n'a pas que des aspects positifs. 

Le traitement des ouvriers

Selon le journaliste d'investigation Pete Pattisson, quelque 30 000 travailleurs ont été amenés au Qatar pour construire les stades et les infrastructures nécessaires à la Coupe du monde. Selon lui, la situation des émigrés au Qatar était déjà catastrophique avant l'attribution de la compétition.

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"La Coupe du monde n'a fait qu'empirer les choses dans la mesure où elle a rendu davantage de personnes vulnérables aux abus", commente-t-il.

Les faibles salaires, les conditions de travail dangereuses, le travail forcé, les confiscations de passeports, ainsi que le grand nombre de décès inexpliqués ont tous été largement documentés par les organisations de défense des droits de l'Homme et les journalistes au Qatar, ce que Pete Pattisson a appelé la "tragédie humaine" derrière le Mondial.

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Archives : ouvriers travaillant à la construction du stade Lusail (Qatar), le 20/12/2019Hassan Ammar/Copyright 2019 The AP. All rights reserved.

À la base de tout cela, explique Pete Pattisson, il y a le système de kafala. Il s'agit d'une forme de parrainage, légal, interdisant aux travailleurs de changer d'emploi sans l'autorisation de leur employeur.

"Si vous ne pouvez pas changer d'emploi, alors rien n'incite l'employeur à s'occuper de vous", dit-il. "Vous avez une main-d'œuvre contrôlée".

Jusqu'à récemment, il n'y avait pas de salaire minimum au Qatar.

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En réponse à ces revendications, les autorités qataries ont aboli le système de la kafala et introduit un salaire minimum (équivalent à 1 £ par heure), bien que les critiques disent que les règles ne sont pas appliquées.

L'impact environnemental

Les organisateurs ont promis de faire de ce tournoi un événement neutre en carbone, mais il s'annonce beaucoup plus nocif pour le climat que prévu.

"Nous sommes engagés à assurer une Coupe du monde de football totalement neutre en carbone. Nous y arriverons en mesurant, réduisant et compensant toutes les émissions de gaz à effet de serre associées au tournoi", a promis Hassan Al-Thawadi, le secrétaire général du Comité d'organisation du Mondial.

Cet engagement peine pourtant à convaincre et des personnalités ont annoncé vouloir boycotter la Coupe du monde en raison de son bilan écologique et humain. L'ancienne star de Manchester United Eric Cantona a dénoncé une "aberration écologique, avec tous ces stades climatisés" ainsi qu'une "horreur humaine", tandis que plusieurs grandes villes françaises ont renoncé à installer des écrans géants pour diffuser les matchs.

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Système de climatisation du "Qatar Education Stadium" à Doha, le 15/12/2019Hassan Ammar/Copyright 2019 The AP. All rights reserved.

La promesse de neutralité carbone est "de la poudre aux yeux", juge Julien Jreissati, directeur de programme pour Greenpeace au Moyen-Orient. Ce "n'est pas une réponse à l'urgence climatique et cela peut être considéré comme du greenwashing/sportswashing", selon lui.

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Selon un rapport commandé par la Fifa, la compétition devrait générer 3,6 millions de tonnes équivalent CO2, contre 2,1 millions lors de la précédente édition en Russie en 2018. La vaste majorité (95%) provient d'émissions indirectes, liées essentiellement au transport, à la construction des infrastructures et au logement.

L'accueil des homosexuels

L'accueil des membres de la communauté LGBT+ sera aussi scruté dans cet État musulman conservateur où la législation criminalise les relations sexuelles entre personnes du même sexe.

"Pendant la Coupe du monde, beaucoup de choses vont arriver ici dans le pays. Parlons des gays (...). Le plus important, c'est que tout le monde acceptera qu'ils viennent ici mais ils devront accepter nos règles", a récemment déclaré l'ancien international qatari, chargé de la promotion du Mondial, Khalid Salman, lors d'une interview à la chaîne publique allemande ZDF. L'homosexualité, "c'est 'haram' ("illicite", NDLR) car c'est un dommage mental", avait ajouté l'homme âgé de 60 ans, avant d'être interrompu par un attaché de presse. 

Il a ensuite "regretté" que son propos ait été "sorti de son contexte", mais estimé que la culture conservatrice du Qatar "ne changera(it) pas pour la compétition".

Le Qatar assure que tous les supporters seront accueillis "sans discrimination" lors de la compétition. 

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L'instance dirigeante du foot mondial, la Fifa, réaffirme de son côté que les drapeaux arc-en-ciel, symboles de la communauté LGBT+, sont autorisés dans les stades.

Doha dénonce les "calomnies"

Un mois avant le début de la compétition, l'émir du Qatar a fustigé une campagne "sans précédent" contre l'organisation de la Coupe du monde de football. 

Dans un discours devant le conseil législatif à Doha le 25 octobre, il a exprimé publiquement et sans ambages son mécontentement face aux critiques, dénonçant des "calomnies".

"Depuis que nous avons eu l'honneur d'accueillir la Coupe du monde, le Qatar a été la cible d'une campagne sans précédent qu'aucun autre pays hôte n'a subi", a-t-il déclaré.

"Au départ, nous avons traité [les sujets de critiques] en toute bonne foi, et nous avons même considéré que certaines critiques étaient positives et utiles, nous aidant à développer des aspects qui devaient l'être", a concédé l'émir.

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"Mais il nous a vite semblé clair que la campagne persiste, s'étend, qu'il y a des calomnies et du deux poids deux mesures, atteignant un niveau d'acharnement qui a amené beaucoup de gens à s'interroger, malheureusement, sur les véritables raisons et motivations de cette campagne", a-t-il fustigé.

Le dirigeant de la Fifa, Gianni Infantino, défend le Qatar, en répétant que la Coupe du monde serait "la meilleure de tous les temps, sur le terrain et en dehors".

La compétition se déroulera du 20 novembre au 18 décembre.

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