La normalisation des relations entre l'Arménie et la Turquie est-elle possible ?

Match Turquie Arménie à Bursa, Turquie, le 14 octobre 2009
Match Turquie Arménie à Bursa, Turquie, le 14 octobre 2009 Tous droits réservés BURHAN OZBILICI/AP2009
Par Stephane Hamalian
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Alors que l'Arménie et la Turquie s'affrontent samedi en éliminatoire de l'Euro 2024, Euronews fait le point sur les relations entre ces deux pays, au point mort depuis 30 ans.

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L'Arménie et la Turquie s'affrontent ce samedi lors d'un match de football comptant pour les éliminatoires de l'Euro 2024. L'occasion pour Euronews de se pencher sur ces deux pays voisins, déchirés par l'histoire et le souvenir du génocide de 1915, et qui n'entretiennent pas de relations diplomatiques.

Le football avait pourtant déjà servi de pont entre Erevan et Ankara. C'était entre 2008 et 2009, à la faveur de deux matchs, l'un à Erevan, l'autre à Bursa. La fameuse "diplomatie du foot" avait permis la signature en grande pompe à Zurich de protocoles prévoyant l'établissement de relations diplomatiques.

Malgré les échanges d'amabilités et déclarations d'intentions, ces protocoles n'ont rien donné, et ce statu quo devrait se poursuivre selon le journaliste Tigrane Yegavian, qui souligne que le président Erdogan "compte trop sur sa base électorale pour être reconduit président".

Le rôle central de l'Azerbaïdjan et du conflit du Haut-Karabakh

Le président turc "s'appuie énormément sur un électorat ultranationaliste" pour sa politique intérieure indique-t-il. "Et vous avez le facteur géopolitique avec l'alliance avec l'Azerbaïdjan" poursuit-il. Une relation résumée par un slogan repris régulièrement par les gouvernements d'Ankara et de Bakou, qui estiment appartenir à "deux États et une nation".

Lors de la guerre de 2020 dans le Haut-Karabakh, "la Turquie a fourni des drones à Bakou qui ont été décisifs"
Ahmet Insel
Politologue et économiste

En solidarité avec l'Azerbaïdjan, "la République de Turquie a unilatéralement suspendu ses relations avec l'Arménie en 1993" après la victoire d'Erevan lors de la première guerre du Haut-Karabakh fait remarquer le politologue Ahmet Insel. Dès lors, Bakou est devenu un acteur central du dossier armeno-turc, et exige, depuis, qu'Erevan reconnaisse sa souveraineté sur ce territoire disputé peuplé d'Arméniens.

Ankara s'aligne donc sur les exigences azerbaïdjanaises en maintenant sa frontière arménienne fermée, "le coût à payer d'une normalisation armeno-turque étant trop élevé pour le président turc" analyse Tigrane Yegavian.

Lors de la deuxième guerre en 2020, "la Turquie a fourni des drones à Bakou, qui ont été décisifs" dans la déroute arménienne, indique Ahmet Insel, une défaite vécue comme une humiliation nationale à Erevan.

"L'Azerbaïdjan est plus qu'un partenaire et un pays turcophone. C'est aussi un important investisseur en Turquie" souligne-t-il, le pays caucasien exerçant une forte pression pour que la Turquie maintienne sa frontière fermée avec l'Arménie, pour tordre le bras d'Erevan.

Déjà à l'époque des protocoles de Zurich de 2009, "les azerbaïdjanais étaient vent debout contre ce processus" indique Tigrane Yegavian, qui ajoute : "mais la Turquie n'est absolument pas opposée à l'ouverture des frontières si les Arméniens arrivent justement à mettre de côté à la question du Karabakh et surtout à répondre aux demandes des Azéris, c'est à dire des concessions territoriales, un corridor dans le Sud de l'Arménie" (ndlr : vers l'exclave du Nakhichevan) parce que les Turcs voient ce pays comme une voie de communication importante pour les relier à l'Azerbaïdjan".

Carte service graphisme d'Euronews
L'Arménie, l'Azerbaïdjan et le territoire disputé du Haut-KarabakhCarte service graphisme d'Euronews

Ces concessions demandées par l'Azerbaïdjan sont catégoriquement rejetées par l'Arménie, qui invoque sa souveraineté. Ce corridor est aussi vu comme une menace par l'Iran, qui ne souhaite pas que son accès à l'Arménie puisse être entravé.

S'il y a un changement de gouvernement et de majorité, il ne faut pas trop s'attendre à des changements rapides et significatifs sur ce terrain-là
Ahmet Insel
Politologue et économiste

Qu'attendre de la présidentielle turque sur les relations entre Ankara et Erevan ?

Dès lors l'élection présidentielle turque du 14 mai peut-elle faire bouger les lignes et permettre d'enclencher un rapprochement entre Erevan et Ankara ?

"S'il y a un changement de gouvernement et de majorité, il ne faut pas trop s'attendre à des changements rapides et significatifs sur ce terrain-là" estime Ahmet Insel, la coalition formée autour du candidat d'opposition Kemal Kiliçdaroglu étant très hétéroclite, composée notamment de partis nationalistes, dont le IYI Parti.

Cette formation politique "est issue du parti d'extrême droite nationaliste des Loups gris et serait très réticente à passer outre la volonté de l'Azerbaïdjan" juge-t-il.

"Par contre, ce qui peut changer, c'est peut être une attitude moins agressive et menaçante vis-à-vis des pays voisins que l'attitude déployée ces derniers temps par la diplomatie du président Erdogan" dit-il, énumérant les cas de la Grèce, de la Libye, de la Syrie et de l'Irak. 

En cas de victoire de l'opposition, "on peut peut-être s'attendre à avoir un peu de calme, des relations un peu paisibles et, peut-être, préparer le terrain d'une diplomatie discrète pour pouvoir établir au moment venu, au moment opportun, des relations entre l'Arménie et la Turquie" dit-il, soulignant que des signaux positifs permettent d'espérer.

L'opinion publique turque ne s'attendait pas à une telle démonstration de solidarité de la part de l'Arménie lors du séisme
Tigrane Yegavian
Journaliste, auteur de "Géopolitique de l'Arménie"

"Il y a eu une ouverture exceptionnelle de la frontière armeno-turque le 7 février, quand l'Arménie a envoyé de l'aide pour secourir les victimes du tremblement de terre de 6 février" dans le sud de la Turquie, dit-il.

"L'opinion publique turque ne s'attendait pas à une telle démonstration de solidarité de la part de ce voisin complètement fantasmé qu'est l'Arménie" explique Tigrane Yegavian. "En Turquie, il y a toute un narratif extrêmement hostile aux Arméniens, qui sont perçus encore comme des ennemis intérieurs, comme des traîtres ou comme des ennemis extérieurs qui visent à ternir l'image de la Turquie, parce qu’ils ne reconnaissent pas ce génocide" dit-il.

Le génocide arménien, sujet tabou, mais qui ne conditionne pas la normalisation

L'aide humanitaire arménienne a permis une rencontre entre les ministres des Affaires étrangères des deux pays. "Il y a un rapprochement et le football peut s'ajouter à cela dans cette dynamique" souligne Ahmet Insel, qui espère qu'un dialogue est possible entre les deux peuples.

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"La normalisation et la réconciliation sont deux choses différentes", dit-il, mais "avec l'établissement de relations diplomatiques, des échanges entre les sociétés civiles permettront beaucoup plus la compréhension par la majorité des Turcs qui ignorent ou qui refusent de reconnaître le génocide, et cela permettra de préparer le terrain d'une reconnaissance, mais cela peut prendre encore beaucoup d'années" concède-t-il.

Si l’actuel gouvernement à Erevan se dit prêt à nouer des relations avec la Turquie pour sortir de son isolement géographique, et de son ultra dépendance à la Russie, il semble que le verrou azerbaïdjanais empêche, pour l’heure, le développement des relations arméno-turques.

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