Mongolie : Emmanuel Macron soutient l’exploitation controversée de gisements d’uranium

Le président mongol Ukhnaagiin Khürelsükh accueille le président français Emmanuel Macron à son arrivée au palais du gouvernement à Oulan-Bator, le 21 mai 2023.
Le président mongol Ukhnaagiin Khürelsükh accueille le président français Emmanuel Macron à son arrivée au palais du gouvernement à Oulan-Bator, le 21 mai 2023. Tous droits réservés LUDOVIC MARIN / AFP
Par Gael Camba
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Lors de son retour du G7 à Hiroshima, Emmanuel Macron a fait une escale en Mongolie. Outre le renforcement des liens diplomatiques entre les deux pays, la France lorgne sur l’uranium naturel local.

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Emmanuel Macron est le premier président français en exercice à fouler le sol de la Mongolie depuis l’établissement des relations diplomatiques en 1965 entre les deux pays. Le président mongol Ukhnaagiin Khürelsükh a accueilli Emmanuel Macron dimanche 21 mai dans un pays presque trois fois plus grand que la France mais peuplé de seulement 3,3 millions d’habitants.

Ce n’est pas un hasard si le chef d’Etat français s’est arrêté à Oulan-Bator, la capitale. Il multiplie les efforts pour discuter avec des pays n’ayant pas clairement condamné la guerre menée par la Russie en Ukraine. Le chef d’Etat français a pu y voir une occasion de consolider ses relations avec des pays frontaliers de la Russie comme il l’a fait récemment en accueillant les présidents ouzbek et kazakh à Paris.

Paris a annoncé vouloir "desserrer la contrainte qui s’exerce sur les voisins de la Russie et leur ouvrir le choix de leurs options". Car la Mongolie est enclavée entre la Russie et la Chine et reste dépendante en termes d'exportations, 86% atterrissent en Chine, toutes marchandises confondues.

Depuis la guerre en Ukraine, la France cherche à se détacher de la Russie pour s'approvisionner en uranium en diversifiant ses importations entre plusieurs pays (Kazakhstan, Niger, Australie...). La Mongolie est sur la liste des prochains fournisseurs.

Un sol riche en uranium

Le groupe nucléaire français Orano (ex-Areva) est sur place depuis 1997 avec plusieurs projets d’exploitation minière de l’uranium naturel. Les exportations d’uranium vers la France sont encore insignifiantes mais Orano tient une place importante en Mongolie où le groupe collabore avec des sociétés publiques pour exploiter des gisements dans le désert du Gobi au sud–est du pays.

Les deux chefs d’Etats se sont engagés à accélérer la mise en place de l'exploitation de deux gisements d'uranium : Dulaan Uul et Zoovch Ovoo, dont les ressources sont estimées à 64 000 tonnes. La France consomme environ 7 000 tonnes d'uranium naturel par an pour produire 40% de son énergie.

L'activité de la mine pourrait durer une trentaine d'années et employer 800 personnes selon les estimations d'Orano.

Problème, la population locale ne plébiscite pas ce projet qui "apporte beaucoup d’amertume", estime Khishig-Erdene Gonchig, docteure en sciences juridiques et porteuse de projets culturels et éducatifs en Mongolie.

MARK RALSTON / AFP
Les installations de traitement de la mine d'or et de cuivre d'Oyu Tolgoi, exploitée par Rio Tinto et Ivanhoe Mines ont commencé l'extraction en mars après un long bras de ferMARK RALSTON / AFP

Elle se rappelle de la visite en Mongolie de Laurent Fabius en 2013 lors de laquelle Areva (aujourd'hui Orano) signait un accord d'association avec la société publique mongole Mon-Atom pour développer ces deux mines d'uranium dans le désert de Gobi. A l’époque déjà, "il n’était pas tout à fait applaudi", ironise-t-elle.

Les Mongols respectent la "terre-mère" qu'ils considèrent comme sacrée et voient d'un mauvais œil l'établissement d'industriels à l'image de la mise en route de la mine de cuivre du géant anglo-australien Rio Tinto en mars.

En 2018, Orano avait été visée par une enquête judiciaire du parquet national financier pour des soupçons "de corruption d'agent public étranger" en Mongolie. C'est Eurotradia International, la société de conseil qui a joué un rôle décisif dans l'autorisation d'exploitation d'uranium dans le désert de Gobi qui est soupçonnée de corruption. Orano a depuis annoncé "mettre fin aux contrats avec Eurotradia".

La gestion des ressources pétrolières et minières du pays est depuis des années en proie à une corruption endémique. En décembre 2022, des milliers de personnes défilaient dans la capitale accusant des députés et des cadres d'entreprises de détournement de fonds après la révélation du détournement d'un million de tonnes de charbon sur neuf ans.

Une plainte déposée contre le projet d'Orano

La visite d’Emmanuel Macron apportait "quelque-chose de très joyeux mais marqué par un état d’esprit marchand" indique à Euronews Chimegmaa Orsoo, docteure en sciences politiques et militante antinucléaire installée en France. Elle a recensé des incidents sanitaires graves chez des populations locales vivant autour des sites d’exploitation.

Avec un collectif de citoyens mongols, elle a déposé plainte en 2018 contre Badrakh Energy, la filiale d’Orano en Mongolie. Les requérants assurent que l’exploitation minière a notamment provoqué des malformations du cheptel, des cancers et des fausses couches. Orano assure de son côté que sa méthode d'extraction "lixiviation in situ" (ISL) est "sans danger pour l’homme et l’environnement".

Le réseau d'association Sortir du nucléaire dénonce cette méthode d'extraction qui injecterait dans le sol "d'énormes quantités d'acide sulfurique, des centaines de tonnes pour extraire 1 tonne d’uranium". Ce qui pourrait contaminer les puits utilisés dans cette région désertique par les populations.

LUDOVIC MARIN / AFP
Le président mongol Ukhnaagiin Khürelsükh s'entretient avec le président français Emmanuel Macron à l'intérieur d'une yourte traditionnelle le 21 mai 2023.LUDOVIC MARIN / AFP

Euronews a eu accès à des documents de la procédure judiciaire semblant indiquer que des puits proches de l'exploitation d'Orano ont été contaminés au strontium et à l'arsenic. Orano répondait à Euronews dans un courrier que les eaux souterraines de la région "sont impropres à la consommation humaine [...] en raison de leur composition chimique naturelle". "La mauvaise qualité de l'eau a été enregistrée dans la zone du pilote bien avant le début des premières opérations de Badrakh Energy".

Orano explique également avoir fait appel à l'organisation internationale indépendante Stantec pour mener une étude concluant que "le projet de mine d’uranium n’a pas d'impact négatif sur l'environnement, la santé des personnes et du bétail."

Les requérants cherchent aujourd'hui une expertise indépendante qui pourrait prouver ou non, lors du procès, le lien entre l’exploitation des gisements en uranium et les problèmes sanitaires constatés à leur alentours.

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Contactés par Euronews, l'ambassade de Mongolie en France n'a pas pu répondre à nos sollicitations.

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