Le laboratoire de recherche humanitaire de Yale a publié un nouveau rapport sur l'adoption forcée d'enfants ukrainiens par la Russie.
Enlevés à leur famille, détenus pendant des mois et soumis à une propagande intense avant d'être adoptés sous la contrainte : un nouveau rapport de l'École de santé publique de Yale a fait la lumière sur l'expulsion forcée d'enfants ukrainiens par la Russie et a révélé des informations et des détails inconnus jusqu'à présent.
Les chercheurs ont pu déterminer comment Moscou enlève les enfants de leur foyer, les rééduque de force et les place ensuite dans des familles russes dans le cadre de programmes d'adoption forcée, et ce de manière "systématique".
L'opération aurait été lancée par le président russe Vladimir Poutine et ses subordonnés dans le but de "russifier" les enfants ukrainiens.
Selon les autorités ukrainiennes, la Russie aurait expulsé de force plus de 19 500 enfants ukrainiens. Yale HRL a identifié 314 d'entre eux qui ont été adoptés par des familles russes et placés dans des institutions dans 21 régions de Russie.
Plus grave encore, les enfants enlevés à l'Ukraine sont présentés dans les bases de données russes comme s'ils étaient originaires de Russie.
Aucune des bases de données analysées par Yale HRL ne contient d'informations suggérant que l'enfant est originaire d'Ukraine ou reconnaissant sa nationalité ukrainienne ou son lieu d'origine.
Environ la moitié (46,6 %) des enfants identifiés ont des frères et sœurs également répertoriés dans les bases de données. Dans un cas au moins, trois enfants d'une famille de quatre ont été placés auprès d'un citoyen russe sans leur quatrième frère ou sœur qui restait inscrit dans les bases de données russes en vue d'une adoption.
Le système d'adoption forcée de Moscou
En septembre 2022, sept mois après le lancement de son invasion, la Russie a déclaré l'annexion unilatérale de quatre régions ukrainiennes : Donetsk, Louhansk, Kherson et Zaporijjia, sans pour autant contrôler pleinement ces territoires.
À ce moment-là, les forces russes avaient déjà emmené des enfants ukrainiens à ce que Yale HRL appelle des "points médians" et les avaient inscrits dans les bases de données russes de placement d'enfants.
"Après l'annexion en septembre de la zone occupée par la Russie, ils ont déplacé les enfants des "points médians" - des refuges où ils les avaient gardés pendant six mois - et les ont ensuite placés dans la base de données", explique Nathaniel Raymond, directeur du laboratoire de recherche humanitaire de Yale.
"A ce moment-là, environ 140 d'entre eux sont entrés dans la base de données et nous savons que plusieurs d'entre eux ont été placés dans des familles russes", a-t-il ajouté.
Pendant ces périodes intermédiaires, les enfants ukrainiens ont subi une rééducation forcée, déclare Nathaniel Raymond.
"Celle-ci inclut, pour les garçons plus âgés, une formation militaire, y compris l'utilisation de véhicules et d'armes, ou encore le saut en parachute", explique-t-il à Euronews. "Les enfants plus jeunes sont eux soumis à un endoctrinement dans des récits russes, des chants russes et ne sont plus autorisés à parler ukrainien".
Au moins 67 des 314 enfants ukrainiens ont été officiellement "naturalisés" en tant que citoyens russes depuis qu'ils ont été enlevés, mais Yale HRL suppose que le chiffre réel est nettement plus élevé.
Mais Nathaniel Raymond explique que beaucoup d'enfants plus âgés ont essayé de quitter la Russie "une fois qu'ils ont obtenu la citoyenneté ou juste avant que celle-ci ne leur soit imposée, souvent parce qu'ils ne veulent pas s'engager dans le service militaire".
"Beaucoup des enfants qui ont été soumis à ce programme à 17 ans ont maintenant 20 ou 21 ans, et ont donc atteint l'âge de la majorité. Et beaucoup ont essayé de retourner en Ukraine ou ailleurs en Europe de l'Ouest".
Participer à l'invasion, à la déportation et à l'adoption forcée
Dans son nouveau rapport, Yale HRL a également retrouvé les tout premiers cas de stratégie d'adoption forcée de la Russie, afin de prouver qu'il s'agit d'un élément essentiel de l'invasion, tout aussi important pour Moscou que l'aspect militaire.
Le Kremlin a lancé ce programme dans les premières semaines de 2022, parallèlement à la préparation de son invasion de l'Ukraine. La Russie détenait déjà des parties du Donbas depuis 2014, lorsque Moscou a également occupé et annexé unilatéralement la péninsule de Crimée.
Moscou a commencé à transporter systématiquement des enfants de deux écoles de l'oblast occupé de Donetsk vers la Russie dès le 18 février 2022, six jours avant que les troupes russes ne pénètrent pour la première fois en Ukraine.
Nathaniel Raymond affirme qu'il ne s'agit pas d'une coïncidence.
"C'était directement lié et calibré à l'invasion militaire et, comme nous l'avons vu, aux actions d'annexion", explique-t-il. "Les actions militaires, les actions politiques et le traitement des enfants ont tous été synchronisés intentionnellement".
Vladimir Poutine impliqué personnellement dans les expulsions forcées
Autre preuve de l'importance de l'expulsion et de l'adoption forcée d'enfants ukrainiens pour Moscou : l'utilisation dans ce but de l'avion et des fonds présidentiels russes.
Entre mai et octobre 2022, les forces aérospatiales russes et des avions sous le contrôle direct du bureau du président Vladimir Poutine ont transporté de nombreux enfants ukrainiens.
"Vladimir Poutine avait un rôle direct de commandement et de contrôle en tant que chef d'État, mais son bureau était également impliqué dans la gestion logistique de ce programme", indique Nathaniel Raymond.
"Maria Lvova-Belova, la commissaire russe aux Droits de l'enfant, a utilisé les ressources dont elle disposait avant que le programme ne soit officialisé par la Douma. Et ces ressources provenaient du bureau du président", ajoute-t-il.
Mandats d'arrêt contre Vladimir Poutine et Maria Lvova-Belova
Selon Kyiv, depuis le début de l'invasion, Moscou a déporté de force plus de 19 500 enfants ukrainiens, un chiffre qui pourrait toutefois être beaucoup plus élevé étant donné que l'Ukraine n'a pas accès aux données des zones occupées du pays.
Maria Lvova-Belova a révélé en juillet dernier qu'environ 700 000 mineurs ukrainiens avaient été "transférés" dans le pays depuis le début de la guerre, alors qu'environ 1,5 million d'enfants vivent encore dans les zones ukrainiennes occupées.
En mars dernier, la Cour pénale internationale (CPI) de La Haye a lancé un mandat d'arrêt contre Vladimir Poutine et Maria Lvova-Belova pour leur implication dans la déportation illégale d'enfants des zones occupées de l'Ukraine vers la Russie.
Cette dernière a elle-même déclaré avoir personnellement "adopté" un adolescent de Marioupol, ville ukrainienne détruite et prise par la Russie au printemps 2022.
"Les conclusions de ce rapport, que nous avons transmis directement à la Cour pénale internationale, sont des preuves évidentes de crimes contre l'humanité", précise Nathaniel Raymond.
"Il appartient maintenant à la CPI de décider s'il y a lieu d'engager des poursuites. Nous leur avons donné toutes les informations dont nous disposons, et nous pensons que le dossier est clair".