Réflexions critiques sur les processus quotidiens de « Comment devenir un homme » | View

Le Dr Amon Ashaba Mwiine est Maître de conférences à la School of Women and Gender Studies de l'Université de Makerere.
Le Dr Amon Ashaba Mwiine est Maître de conférences à la School of Women and Gender Studies de l'Université de Makerere. Tous droits réservés Dr Amon Ashaba Mwiine
Par Dr Amon Ashaba Mwiine
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Onaba Musajja nabaki ggwe ? Réflexions critiques sur les processus quotidiens de « Comment devenir un homme » en Ouganda.

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Jusqu’à une date assez récente, on n’a prêté que peu d’intérêt à l’identité, la conduite, le comportement des hommes et des jeunes garçons, et aux différentes contraintes que les hommes rencontrent dans leur vie quotidienne. Cette vague soudaine d’intérêt est inspirée, en quelque sorte, par le désir réel de révéler la dynamique des genres, incluant des conversations d’hommes dans des discours publics sur des expérience passées et non étudiées, des études et des comportements activistes, mais aussi dans la vie de tous les jours. Focaliser sur les hommes en tant que sujets de conversation reliés au genre, pourrait initier un changement certain.

Ce changement inclut la remise en question des privilèges et du pouvoir patriarcal sous ses formes historiques, le questionnement du processus social selon lequel les comportements et les pratiques des hommes et des femmes sont cadrés, surveillés et reproduits et les effets inhérents à l’identité des genres.

C’est cette vague de pensée qui m’a amené à réfléchir aux apprentissages sociaux et aux attentes des hommes en Ouganda. Des approbations sociales, telles que : «Quelle sorte d’homme voulez-vous être ? » sont communes à toutes les communautés ougandaises.

Au début de l’année 2008, j’ai perdu ma sœur après une courte maladie. Elle était dans la fleur de l’âge, venait de terminer ses études et travaillait à l’une des universités du pays. Quand elle est décédée, mon père venait de prendre sa retraite du service public pour lequel il avait travaillé pendant 40 ans. Au moment de ces douloureuses épreuves familiales, je venais, moi, de commencer mes études supérieures à l’Université de Makerere, et ma sœur était l’une de mes sponsors volontaires. Son décès, et les circonstances dans lesquelles j’ai vécu cette période ont été juste insupportables. Cependant, ce fut la réaction de mon père à tous ces défis que la vie nous lançait qui me poussèrent à me demander qui il était vraiment.

J’avais vivement remarqué que, contrairement à nous tous qui avions craqué émotionnellement, mon père, lui, n’avait pas versé la moindre larme pendant cette période de deuil, même pas au moment du départ ultime de ma sœur. A mon retour de l’université, un mois après le décès, je trouvais mon père plongé dans un album de photos de ma sœur. Je ne lui ai jamais demandé ce qu’il recherchait alors. De plus, nos conversations étaient très limitées et toujours très prévisibles. Elles tournaient autour des frais de scolarité et des dates de réunions de parents à l’école. Il nous arrivait rarement de discuter, de plaisanter ou de rire comme nous le faisions avec les autres membres de la famille.

En nous retournant implicitement sur ces moments de vie quotidienne - la relation que nous entretenions avec notre père et ses réactions émotionnelles dans son deuil, ou plutôt son manque de réactions évidentes - nous sommes sensibilisés aux différentes façons dont les comportements des hommes et leurs actions sont guidés par toute une série d’attentes. Pourquoi mon père n’a-t-il pas pleuré à la mort de sa fille si jeune ? Et s’il l’a fait, comment et où l’a-t-il fait ? Qu’est-ce qui retient un homme à exprimer en public de telles émotions ? Quelles sont les conséquences de la suppression de ces émotions masculines pour les gens autour ? Ces questions, et d’autres encore, peuvent faire partie des sujets d’intérêt actuels.

Il est étonnant de voir à quel point ces retenues émotionnelles des hommes sont répandues dans diverses cultures, avec cependant des particularités qui leur sont propres. Bien souvent,

il y a des moments dans ma communauté où l’on refuse à tout jeune garçon le droit de pleurer, tout simplement parce qu’on attend de lui qu’il supporte la souffrance comme « l’idéal de la virilité ». Dans notre dialecte régional ougandais, il est très courant qu’un jeune garçon en pleurs soit taquiné et qu’on lui demande : « Quel genre d’homme veux-tu donc être ? ». Dans l’est du pays, la pratique culturelle courante de la circoncision est un rite de passage à l’âge adulte. Pendant la cérémonie, le garçon, tout en regardant le couteau, doit se tenir droit, rester fort et faire face aux applaudissements des gens sans broncher. Aller à l’encontre de cette tradition, c’est-à-dire choisir une circoncision sous anesthésie à l’hôpital, peut avoir des répercussions à vie sur le crédit que l’on vous accordera d’être un homme.

De telles expériences nous font réfléchir sur les façons dont les hommes et les femmes doivent rendre compte publiquement de qui ils sont. Très souvent, les actions quotidiennes des hommes et des femmes sont dictées par ce que la société attend d’eux, c’est-à-dire leur apparence et leurs actes. Le fait de négativer, de réprimer ou de réduire au silence les émotions des hommes – comme par exemple interdire à un jeune garçon ou à un adulte de pleurer – peut nous révéler les cadres sous-jacents fondamentaux qui régulent le comportement acceptable des hommes et des femmes. Cependant, ces actions contraintes par le sexe sont lourdes de conséquences.

Contrôler les expressions des hommes, c’est-à-dire leur ordonner de ne pas pleurer, de rester droit, de faire face aux difficultés en homme, entre autres stéréotypes, a pour effet de priver les hommes de toutes ressources émotionnelles sur le plan culturel, social et linguistique et qui ont des effets thérapeutiques bénéfiques. En effet, qualifier les vertus émotionnelles de contraire à la virilité prive les hommes d’expériences relationnelles et les conduit tout droit vers des troubles d’ordre dépressif. Par exemple, des études médicales indiquent que les expériences de socialisation liées au genre, qui renforcent les réactions de colère et de suppression des émotions des hommes, peuvent causer et contribuer à la dépression. Il y a des expériences où des cas « graves » de comportement masculin sont liées à des risques de mort violente, que cette violence soit entre pairs masculins ou qu'elle soit perpétrée contre des femmes et des filles.

Je dois constater que, sans tenir compte du caractère omniprésent de ce patriarcat et du caractère prédominent de la socialisation des sexes dans lesquels la conduite des hommes et des femmes est soumise à des institutions sociales imposées, aucun système basé sur le genre n’est donné. Le comportement et les pratiques des hommes et des femmes sont le produit des sociétés dans lesquelles ils vivent. En tant que telle, la notion de sexe est totalement innovante, bien qu’il soit clair qu’il existe des punitions strictes pour contestation des documents écrits (agir sans autorisation ou improviser de façon injustifiée). Comprendre que le genre est un phénomène social et que les attentes et les comportements nocifs qu’il entraîne peuvent changer, est un aspect optimiste de tout effort tendant à la transformation des relations entre sexes inégaux. Les hommes et les femmes peuvent agir de façon différente en passant outre les pratiques et les comportements normalisés et cependant nocifs. Les hommes peuvent se mettre à l’abri du pouvoir et renverser les lois existantes. Ce qu’il convient de savoir, c’est le prix qu’implique cette vision nouvelle de la virilité qui s’inscrit dans une démarche progressive et le genre de ressources sociales, culturelles et linguistiques que cela exige nécessairement.

Le Dr Amon Ashaba Mwiine est Maître de conférences à la School of Women and Gender Studies de l'Université de Makerere. Soutenu par la Fondation Andrew W. Mellon, il est chargé de recherche au College of Humanities and Social Sciences de l'université de Makerere et travaille sur les rencontres entre le féminisme et la masculinité. Le Dr Amon Ashaba Mwiine Mwiine est l'auteur de "Negotiating patriarchy ? & Men in Kitchens and the (re) configurations of masculinity in domestic spaces during Covid-19 Lockdown". ("Négocier le patriarcat ? Les hommes à la cuisine et les (re) configurations de la masculinité dans les foyers pendant le confinement lié au Covid-19".

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