"Car je vis dans la rue, certains ne me voient pas comme un homme" : le sort des zogos du Liberia

Mohammed Saliba, connu sous le nom de Pacon, l'un de ces hommes vivant dans les rues de Monrovia et considérés comme des "zogos"
Mohammed Saliba, connu sous le nom de Pacon, l'un de ces hommes vivant dans les rues de Monrovia et considérés comme des "zogos" Tous droits réservés Dounard Bondo
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Pacon et beaucoup d'autres comme lui sont appelés "zogos", un terme péjoratif utilisé au Liberia pour désigner les personnes défavorisées qui vivent dans la rue et gagnent péniblement leur vie.

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"Boulevard, Jonction, Feu rouge !" Pacon crie les noms des arrêts alpaguant d'éventuels passagers pour qu'ils partagent un taxi pour le moment vide. Une fois le taxi rempli, le chauffeur lui donne 20 dollars libériens (environ 10 centimes d'euro). Pour Pacon – de son vrai nom Mohammed Saliba – ce qu'il gagne chaque jour lui suffit à peine pour manger et combler sa dépendance à la drogue.

Après que son frère aîné l'a amené dans la rue à l'âge de 11 ans pour vendre des snacks et des fruits, Pacon a commencé à prendre de la drogue et n'a plus jamais cessé. La nuit, Pacon, qui a maintenant 27 ans, dort dans un bâtiment abandonné qu'il partage avec d'autres toxicomanes et des jeunes sans abri.

Au Libéria, Pacon et beaucoup d'autres comme lui sont appelés des "zogos", un terme péjoratif utilisé pour désigner les personnes défavorisées qui gagnent péniblement leur vie dans la rue. La plupart d'entre eux sont confrontés au sans-abrisme, à la violence, à la toxicomanie et au manque d'accès aux services sociaux de base.

Bien que les zogos puissent être de n'importe quel sexe, une enquête menée en 2019 par le gouvernement libérien a révélé que 91 % d'entre eux étaient des hommes. Ils doivent naviguer dans la masculinité au sein d'une société libérienne patriarcale qui place les hommes au sommet de la société alors que les zogos sont classés parmi les plus bas.

Selon une étude des Nations unies sur les normes de genre et les masculinités au Liberia, de nombreux Libériens associent la masculinité au rôle de soutien de famille, à la force physique, à la protection, à la prise de décisions, à la dissimulation des émotions, à la dureté et à la domination.

Pour Pacon, le fait d'être un homme est lié à sa capacité à "vivre, racoler et gagner de l'argent". Cependant, il dit qu'il ne gagne pas assez pour remplir ce rôle.

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Prince Barclay, connu sous le nom de Fifty, l'un de ces hommes vivant dans les rues de Monrovia et considérés comme des "zogos"Dounard Bondo

"Je suis dans la rue et je racole. Je n'ai pas d'argent donc je dépends de ce que les gens me donnent. Je souffre, alors je fume (de la marijuana et d'autres drogues) pour me changer les idées."

Les zogos doivent faire face à la discrimination et à des traitements inhumains, notamment des descentes de police dans les ghettos et les bâtiments délabrés où ils vivent.

C'est ce que confirme un autre zogo qui se fait appeler Fifty, Prince Barclay de son vrai nom.

"Parce que je vis dans la rue, certaines personnes ne me voient pas comme un homme", dit Fifty. "Certains me traitent comme si je n'étais pas un être humain, mais comme j'ai besoin de leur aide, j'accepte tout ce qu'ils disent. Parfois, les larmes me montent aux yeux à cause de la façon dont je vis et de la façon dont certaines personnes me traitent."

Comme Pacon, Fifty vit dans les rues de la capitale Monrovia, où il lave des voitures et mendie pour survivre.

Ni Pacon ni Fifty ne sont mariés et ils ne communiquent plus avec leurs familles.

La stigmatisation des zogos

Pour tous deux, gagner sa vie est rendu plus difficile par le fait que les zogos sont stigmatisés comme des criminels. S'ils admettent que certains se livrent à de petits larcins, ils insistent sur le fait que ce stéréotype est injuste.

"Nous ne sommes pas tous des criminels ; nous vivons simplement dans la rue. Lorsque nous voyons des criminels, nous appelons la police", explique Fifty.

Le fait d'être étiquetés comme des criminels expose également les zogos tels que Fifty et Pacon à des représailles violentes.

En 2019, un habitant de Redlight (un quartier où se trouve un grand marché à Monrovia) est mort de coups de couteau lors d'une altercation avec un zogo qui avait tenté de le voler.

Incapables d'identifier le véritable voleur, les habitants de Redlight ont riposté en attaquant les zogos dans les rues sans distinction, tuant quatre d'entre eux et détruisant les cabanes où ils vivaient. Personne n'a été poursuivi pour ces meurtres.

La stigmatisation de la criminalité est influencée par la perception erronée que les zogos sont tous d'anciens enfants soldats, dont beaucoup ont commis des atrocités pendant les 14 années de guerre civile au Liberia.

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Au cours du conflit sanglant qui s'est déroulé de 1989 à 2003, les combattants rebelles ont recruté de force des milliers d'enfants pour servir comme soldats. Pour beaucoup, ces enfants avaient moins de 10 ans. Ils ont participé à des actes de violence monstrueux et ont été profondément traumatisés.

La fausse généralisation selon laquelle tous les zogos sont des ex-combattants et des criminels est largement reprise par les médias nationaux, ce qui alimente la violence à leur encontre.

Si des milliers d'enfants soldats et de jeunes non accompagnés se sont retrouvés dans la rue après la guerre civile libérienne, de nombreux zogos, dont Pacon et Fifty, n'ont pas ce passé. Cependant, ils doivent tous faire face à cette stigmatisation collective.

"Lorsque nous mendions dans les rues, certaines personnes nous disent de les laisser tranquille parce que nous sommes des ex-combattants ou des rebelles. Mais je ne fais que vivre dans la rue, je n'ai pas fait la guerre, j'essaie juste de me débrouiller et de survivre", explique Pacon.

Manque de soins de santé mentale

Les deux hommes disent qu'en dépit du fait qu'ils veulent quitter la rue, ils ne voient pas d'alternative.

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Alors que les travailleurs sociaux les approchent occasionnellement pour leur proposer des services sociaux et de réinsertion, la plupart d'entre eux ne donnent jamais suite à leurs promesses, se plaignent-ils, et l'accès aux soins de santé mentale est limité, voire inexistant.

Un fonctionnaire du ministère de la Jeunesse et des Sports du Liberia a déclaré à Euronews que le ministère offre un soutien psychologique et une aide pratique aux jeunes qui vivent dans la rue et consomment de la marijuana. Après une période de suivi, les profils adaptés se voient proposer une formation professionnelle.

Bien qu'il n'existe pas de programme spécifique pour les zogos, le Centre Carter, un groupe de défense des droits de l'homme fondé par l'ancien président américain Jimmy Carter, travaille beaucoup avec le gouvernement libérien pour améliorer la politique de santé mentale et l'accès aux traitements.

Au micro d'Euronews, Benedict Dossen, responsable du programme de santé mentale du Centre au Libéria, a déclaré : "Nous ne travaillons pas directement avec les zogos. Cependant, nous formons des cliniciens en santé mentale. Nous travaillons également avec les journalistes en ce qui concerne des reportages appropriés sur les questions de santé mentale."

La plupart du travail direct avec les zogos est effectué par des ONG locales. Mais ce travail se trouve limité par un manque de financement adéquat et de centres de réhabilitation, ce qui rend difficile le fait de briser le cycle du sans-abrisme et de la toxicomanie.

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"Je veux quitter la rue, mais il faudrait qu'ils me donnent un endroit où dormir", explique Fifty.

"S'ils m'aident à quitter la drogue, mais qu'ils me laissent dormir dans la rue, je retournerai à la drogue".

Ce programme est financé par le European Journalism Centre, dans le cadre du programme European Development Journalism Grants avec le soutien de la Fondation Bill & Melinda Gates.

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