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Une vision humanisante des soldats russes suscite la controverse à la Mostra de Venise

Aperçu du Lido de Venise
Aperçu du Lido de Venise Tous droits réservés AP
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Par Jonny WalfiszSerge Duchêne
Publié le Mis à jour
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Cet article a été initialement publié en anglais

La cinéaste russo-canadienne Anastasia Trofimova a défendu son film "Russians at War" comme une "tentative de voir à travers le brouillard de la guerre".

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Les russes veulent-ils la guerre ? Le titre d'une chanson soviétique populaire - qui supposait que, évidemment, non (à quoi a répondu favorablement Sting avec son "Russians love their children too") - est à nouveau sur toutes les lèvres après une programmation pour le moins polémique à la Mostra cinématographique de Venise.

Un nouveau film de la documentariste russo-canadienne Anastasia Trofimova a déclenché une polémique pour sa représentation humanisante et avec sympathie des soldats russes (qui sont vu par beaucoup comme envahisseurs et agresseurs) sur la ligne de front de la guerre menée par Vladimir Poutine en Ukraine.

Anastasia Trofimova a passé sept mois à vivre avec des soldats russes sur la ligne de front pour créer Russians at War, dont la première a eu lieu hors compétition à Venise. La réalisatrice entend "changer les stéréotypes occidentaux sur les soldats russes". Les propos que certains ont tout de suite associé aux manuels des propagandistes du Kremlin.

"En Russie, ce sont des héros immortels. En Occident, ce sont surtout des criminels de guerre, des criminels de guerre, des criminels de guerre", a déclaré Mme Trofimova à la presse avant la première de son film. "Pour moi, le plus grand choc a été de voir à quel point ils étaient ordinaires. Des gens tout à fait ordinaires, avec des familles, un sens de l'humour, leur propre compréhension de ce qui se passe dans cette guerre".

A cela, les détracteurs de Trofimova citent les atrocités de Boutcha et Marioupol et lui rappellent que le mot "ordinaire" faisait partie du titre d'un autre monument de la culture soviétique - "Fascisme ordinaire", un documentaire réalisé par Mikhail Romm et sorti en 1965.

Pour Russians at War, Mme Trofimova affirme avoir travaillé sans l'autorisation du Kremlin pour créer le documentaire. Il dépeint un bataillon usé par les combats qui se déplace à travers l'Ukraine, aux prises avec la mauvaise gestion des forces armées russes.

De nombreux soldats admettent qu'ils ne participent à la guerre que pour l'argent, tandis que d'autres affirment qu'ils sont motivés par la camaraderie. Le film suit également un groupe de médecins russes qui ramassent les corps de leurs compagnons d'armes.

Le film a été critiqué parce qu'il donne peu d'indications sur les combats réels et ne donne aucune idée de la destruction de l'Ukraine par les forces russes, et parce qu'un soldat russe rejette les accusations selon lesquelles l'armée du pays a commis des crimes de guerre au cours de son invasion illégale de l'Ukraine.

Levée des boucliers en Ukraine

L'ambassadeur d'Ukraine en Italie, Yaroslav Melnyk, a condamné ce dimanche 08 septembre la projection du film Russians at War et a demandé aux organisateurs de faire blocus à la propagande russe.

L'ambassadeur ukrainien a déclaré que Kyiv était « choqué par la décision du jury du festival du film de Venise » de sélectionner Russians at War, qu'il considère comme « inapproprié et offensant pour le peuple ukrainien ».

Le chef de l'administration présidentielle de l'Ukraine, Andriy Yermak, a exprimé son indignation face à la projection du tableau à Venise sur sa chaîne Telegram et a appelé à « interdire cette absurdité ».

UNITED24, la plateforme caritative gérée par le gouvernement pour les efforts de guerre de l'Ukraine, a répondu aux affirmations de Trofimova sur Twitter en écrivant : "Elle a manifestement négligé des événements tels que le bombardement de l'hôpital pour enfants de Kyiv, largement condamné comme un crime de guerre. Mme Trofimova n'a pas non plus abordé les réalités auxquelles sont confrontés les Ukrainiens vivant sous l'occupation russe dans les régions qu'elle a visitées, ce qui soulève des inquiétudes quant à la légalité de sa présence dans ces régions au regard du droit ukrainien".

Un secouriste retire des décombres une jeune fille blessée dans un hôtel endommagé par une attaque russe à Zaporijjia, en Ukraine.
Un secouriste retire des décombres une jeune fille blessée dans un hôtel endommagé par une attaque russe à Zaporijjia, en Ukraine.AP Photo

"Depuis le début de la guerre, le 24 février 2022, de nombreux ponts ont été détruits entre la Russie et l'Occident", a déclaré Mme Trofimova. "J'aimerais que ce film ne soit peut-être pas un pont, mais au moins une corde que je puisse lancer pour nous aider à nous voir les uns les autres".

"Ses remarques soulignent une omission flagrante : les voix des Ukrainiens", a répondu UNITED24. "Ses commentaires décrivent la guerre uniquement sous l'angle des relations russo-occidentales, sans tenir compte des expériences vécues par les Ukrainiens, suggérant ainsi un récit qui ignore totalement leurs souffrances."

La journaliste ukrainienne Olga Tokariuk a critiqué la projection du film sur le Lido : "Un exemple parfait de la propagande russe au festival du film de Venise. Un documentaire du réalisateur qui a précédemment réalisé des films pour RT et qui cherche à dissimuler les crimes de guerre russes en Ukraine et à décrire les soldats russes comme de "pauvres victimes" du régime".

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Trofimova a déclaré qu'elle n'avait été témoin d'aucun signe de crimes de guerre pendant son séjour au sein des forces russes. "Je pense que dans les médias occidentaux, c'est à cela que les soldats russes sont associés à ce stade, parce qu'il n'y a pas eu d'autres histoires. C'est une autre histoire", a-t-elle déclaré à la presse.

La productrice ukrainienne Darya Bassel a également critiqué le film dans un long message sur Facebook, déclarant que Trofimova ignore les multiples invasions et guerres de la Russie, affirmant que sa surprise face à l'invasion de l'Ukraine est suspecte et qu'elle qualifie à tort l'invasion de guerre civile.

"Vous éprouverez de la pitié pour les personnes que l'on voit mourir dans le film et pour celles que l'on voit pleurer leurs proches. Et c'est normal - si vous êtes un être humain normal, vous devriez ressentir de la pitié, de la tristesse et de l'émotion. Cependant, il est également important de se rappeler que ces personnes ont rejoint l'armée qui a envahi un pays indépendant, et que nombre d'entre elles l'ont fait de leur plein gré, comme nous l'apprend le film. Il faut aussi se souvenir de Boutcha, Irpin, Marioupol et des civils qui y ont été assassinés. Souvenez-vous des milliers d'enfants qui ont été sortis illégalement d'Ukraine en Russie. Alors que j'écris ces lignes et que vous les lisez, des missiles frappent les villes ukrainiennes. Ce sont des Russes ordinaires qui appuient sur les boutons. Leurs crimes sont-ils moins importants simplement parce qu'ils prétendent ne pas savoir pourquoi ils sont impliqués dans cette guerre ?", écrit Bassel.

Le film doit maintenant être présenté au Festival international du film de Toronto. Le consul général d'Ukraine dans cette ville canadienne, Oleg Nikolenko, a demandé aux organisateurs du festival d'annuler la projection. Il a accusé le réalisateur de « déformer délibérément les réalités de la guerre menée par la Russie contre l'Ukraine ».

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"En présentant les soldats russes comme de simples « pions » et l'invasion de l'Ukraine par la Russie comme un « jeu infâme », nous donnons de la crédibilité aux récits de la propagande russe qui minimisent la gravité et les souffrances causées par les actions militaires de la Russie", a écrit M. Nikolenko sur ses comptes de médias sociaux.

Le consul général d'Ukraine à Toronto a également souligné que Trofimova travaillait pour la chaîne officielle propagandiste russe RT (censurée en France) et qu'elle était entrée illégalement dans le territoire occupé de l'Ukraine avec une unité de l'armée russe.

Trofimova, quant à elle, a nié les allégations de propagande. « La suggestion que notre film est de la propagande est risible, étant donné que je suis maintenant sous la menace de poursuites pénales en Russie », a déclaré la réalisatrice citée par l'AFP dans son communiqué.

Un autre documentaire, Songs of Slow Burning Earth, présenté pour la première fois au festival, décrit les effets dévastateurs de l'invasion russe sur la vie des Ukrainiens. Sa réalisatrice, Olha Zhurba, a également critiqué la projection de Russians at War : "Je pense que les cinéastes russes devraient montrer le vrai visage des criminels de cette guerre" et qu'il était trop tôt pour présenter les agresseurs de ce conflit comme sympathiques.

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Sources additionnelles • BBC Russian

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