L'Espagne accélère-t-elle trop la production d'hydrogène vert ?

Des panneaux solaires près de la petite ville de Milagro, dans le nord de l'Espagne.
Des panneaux solaires près de la petite ville de Milagro, dans le nord de l'Espagne. Tous droits réservés AP Photo/Alvaro Barrientos
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L'Espagne accélère sa production d'hydrogène vert, mais son secteur des énergies renouvelables peut-il suivre ?

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Avec une abondance de soleil et de vent, l'Espagne se positionne comme le futur leader européen de la production d'hydrogène vert.

Mais certains experts du secteur énergétique mettent en garde contre le développement d'une industrie qui dépendrait d'une augmentation considérable de l'énergie renouvelable.

Actuellement, la majeure partie de l'hydrogène est produite à partir de combustibles fossiles. L'hydrogène dit "vert" est produit à partir d'énergies renouvelables - telles que l'énergie éolienne, solaire et hydraulique.

Voici pourquoi l'UE redouble d'efforts dans le domaine de l'hydrogène vert, comment l'Espagne est impliquée et pourquoi certains critiquent ce "carburant du futur".

Pourquoi la production d'hydrogène vert est-elle importante en Europe ?

Depuis l'invasion de l'Ukraine par la Russie, le secteur de l'hydrogène a pris de l'importance en Europe.

La Russie, deuxième producteur mondial de gaz naturel, alimente la majeure partie de la production mondiale d'hydrogène. Avec les sanctions en place, l'Union européenne se recentre sur ses chaînes d'approvisionnement internes pour répondre à ses besoins énergétiques. "Les énergies renouvelables, y compris l'hydrogène renouvelable, sont un pilier central du plan REPowerEU, la stratégie de l'UE pour se débarrasser des combustibles fossiles russes dès que possible", explique Kadri Simson, commissaire européenne à l'Energie.

En plus de renforcer la sécurité énergétique, l'hydrogène vert joue un rôle important dans les efforts déployés par l'UE pour parvenir à la neutralité carbone. D'ici à 2030, le bloc a pour objectif de réduire ses émissions de 55% par rapport à celles des années 1990.

Dans ce cadre, l'UE compte produire 10 millions de tonnes métriques d'hydrogène renouvelable d'ici à 2030 et en importer 10 millions de tonnes métriques supplémentaires.

L'Espagne, la France, l'Allemagne et le Portugal ont convenu de construire un pipeline d'hydrogène d'ici à 2030 pour transporter quelque 2 millions de tonnes d'hydrogène annuelles vers la France.

Comment fabrique-t-on l'hydrogène vert ?

L'hydrogène vert est généré lorsque des sources d'énergie renouvelables alimentent un courant électrique qui traverse l'eau, séparant ses molécules d'hydrogène et d'oxygène par l'intermédiaire d'une électrolyse.

Ce processus ne produit pas de dioxyde de carbone qui réchauffe la planète, mais moins de 0,1 % de la production mondiale d'hydrogène est actuellement réalisée de cette manière, selon l'Agence internationale de l'énergie (AIE).

Toutefois, l'hydrogène est plus couramment produit par un processus appelé vaporeformage du méthane. Ce procédé utilise généralement le méthane (CH4) du gaz naturel. Les atomes d'hydrogène sont séparés des atomes de carbone à l'aide de vapeur à haute température et sous pression. De l'hydrogène "gris", du monoxyde de carbone et du CO2 sont produits lors de ce processus.

L'hydrogène séparé peut être utilisé dans la production d'acier, d'ammoniac et de produits chimiques, dont les processus industriels se passent difficilement de combustibles fossiles.

Il peut également être utilisé comme carburant pour les transports, ce qui pourrait un jour transformer les secteurs très polluants du transport maritime et de l'aviation.

Pourquoi l'Espagne est-elle bien placée pour jouer un rôle de premier plan dans la production d'hydrogène vert ?

Le vaste territoire espagnol, balayé par les vents et peu peuplé, bénéficie d'une moyenne annuelle de plus de 2 500 heures d'ensoleillement, selon l'agence météorologique nationale (AEMET). Cette situation offre des conditions idéales pour l'énergie éolienne et solaire, et donc pour l'hydrogène vert.

Le gouvernement espagnol a annoncé une feuille de route pour l'hydrogène en 2020. L'Espagne a déjà atteint quatre fois ses objectifs en matière de capacité de production d'hydrogène vert - le pays dispose aujourd'hui d'une capacité de 15,5 gigawatts, alors que son objectif initial pour 2030 était de quatre gigawatts.

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Panneaux solaires à Los Arcos, dans la province de Navarre, dans le nord de l'Espagne.AP Photo/Alvaro Barrientos

L'AIE a déclaré en décembre que l'Espagne représenterait la moitié de la croissance européenne en matière de capacité renouvelable dédiée à la production d'hydrogène.

"Si vous regardez où l'hydrogène sera produit en Europe à l'avenir, vous trouvez deux pays : l'Espagne et le Portugal, estime Thierry Lepercq, fondateur et président de HyDeal Ambition, une plateforme industrielle réunissant 30 entreprises. L'hydrogène est le nouveau pétrole".

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Les critiques se sont concentrées sur le coût plus élevé de l'hydrogène vert par rapport à l'hydrogène gris, très polluant, tiré du gaz naturel.

Thierry Lepercq affirme que le prix de l'énergie solaire produite en Espagne est suffisamment bas pour rester compétitif. Il travaille avec des entreprises telles que la société espagnole de pipeline Enagas et le géant mondial de l'acier ArcelorMittal pour concevoir un modèle de production, de distribution et de fourniture d'hydrogène vert à un prix compétitif.

L'hydrogène vert peut contribuer à réduire les combustibles fossiles là où l'électrification n'est pas viable

Si certains secteurs sont de plus en plus électrifiés, d'autres sont à l'inverse plus difficiles à exploiter. Par rapport à l'électricité, l'hydrogène peut mieux s'adapter températures élevées requises par l'industrie lourde. Mais dans des secteurs comme l'automobile et le chauffage, l'électricité est plus efficace.

Pour ce type de secteurs, "il est fondamental d'électrifier", estime la ministre espagnole de la Transition écologique et du Défi démographique, Teresa Ribera. Toutefois, selon elle, l'Espagne doit également réduire les combustibles fossiles pour "les secteurs dans lesquels l'utilisation de l'électricité n'est pas si simple".

Au niveau mondial, explique Thierry Lepercq, "l'électricité représente 20%_ de la consommation d'énergie. Qu'en est-il des 80__%__ qui ne sont pas électrifiés ? Il faut remplacer ces combustibles fossiles. Pas dans 50 ans. Il faut les remplacer maintenant."_

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Son entreprise d'hydrogène vert, HyDeal, vise à remplacer les processus à fortes émissions, comme l'utilisation du coke (charbon concentré) et des hauts-fourneaux dans la fabrication de l'acier, et du gaz naturel dans la production d'ammoniac pour les engrais. Elle doit d'abord construire des fermes solaires et des électrolyseurs dans le nord de l'Espagne, rejoignant ainsi d'autres usines d'hydrogène vert récemment inaugurées dans le centre de l'Espagne et à Majorque.

Alvaro Barrientos/Copyright 2022 The AP. All rights reserved
Panneaux solaires à Los Arcos, dans la province de Navarre, au nord de l'Espagne.Alvaro Barrientos/Copyright 2022 The AP. All rights reserved

Pourquoi certains critiquent-ils les efforts de l'Europe en faveur de l'hydrogène vert ?

Un énorme volume de production d'énergie renouvelable supplémentaire sera nécessaire pour construire l'avenir de l'hydrogène vert. Selon l'AIE, le monde aura besoin de 50 gigawatts de capacité renouvelable dédiée à la production d'hydrogène vert d'ici à 2027 - soit une multiplication par 100.

Teresa Ribera sait que l'hydrogène vert demande un investissement qui ne sera rentable qu'à long terme. La réduction des émissions "nécessite une phase initiale qui peut être couverte par les énergies renouvelables", dit-elle.

Certains experts de l'industrie estiment que la promotion de l'hydrogène vert n'est pas le bon objectif à un moment où les énergies renouvelables sont en train de basculer, suite aux conséquences de la guerre en Ukraine sur le secteur de l'énergie.

"En Europe en particulier, il y a eu une forte poussée pour l'hydrogène, ce qui, à mon avis, est injustifiable", déclare Antonella Battaglini, DG de la Renewables Grid Initiative (Initiative pour le réseau des énergies renouvelables). L'objectif de l'UE de 20 millions de tonnes métriques d'hydrogène vert d'ici à 2030 nécessite de l'électricité "pour lesquelles nous n'avons pas les ressources renouvelables propres à la production", ajoute-t-elle.

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Selon Antonella Battaglini, la demande actuelle d'hydrogène dépasse largement l'offre prévue par l'UE, ce qui pose "le risque que nous nous éloignions de l'électrification directe pour entrer dans une bulle d'hydrogène".

Elle fait partie des experts qui craignent que les entreprises ne fassent valoir qu'en l'absence d'énergie renouvelable suffisante, elles devront continuer à compter sur les combustibles fossiles.

"Le coût pourrait être très élevé. En termes économiques, mais aussi en termes environnementaux. Les émissions risquent d'être plus élevées qu'aujourd'hui", explique-t-elle.

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